Le contrat d'assurance contemporain et la reification des parties.

AuthorBelanger, Andre

The insurance relationship between the policyholder and the insurer creates a double social role, that is, the grouping of insured parties and the very definition of the risks to be addressed. And yet, both contract theory and legal]insurance practice lean towards the individualization of parties and a desocialization of the insurance contract. The author seeks to determine whether, as far as the contractual relationship with the insurer goes, the policyholder can be perceived as something other than a risky economic good that must be managed by the insurance company. Conversely, is the insurer more than merely a seller from whom the policyholder must derive the most benefit? While jurists interpret the contractual relationship first and foremost in terms of economic value, it seems necessary to reflect on the possibility of rehumanizing the contract through legal rules that call upon more than vague moral precepts which lack in legitimacy, such as utmost good faith and contractual equity. As such, it is interesting to examine the work of Csaba Varga, which addresses reification in law, as well as the more recent works of philosopher Axel Honneth, to verify whether reification can be relevant to the study of the insurance contract.

La relation d'assurance entre le preneur et l'assureur est source d'un double role social, soit celui du regroupement des assures et celui de la definition meme des risques a contrer. Or, tant la theorie des contrats que la pratique juridico-assurantielle tendent vers une individualisation des parties et une desocialisation du contrat d'assurance. L'auteur s'interroge a savoir si au sein de la relation contractuelle qui le lie a l'assureur, le preneur peut etre percu autrement qu'a titre de bien economique risque a gerer par l'entreprise assurance. Inversement, l'assureur est-il, au plan contractuel, davantage qu'un commercant duquel le preneur doit soutirer le maximum de benefices ? Alors que la relation contractuelle est d'abord et avant tout interpretee a titre de valeur economique par les juristes, il semble necessaire de reflechir a la possibilite de rehumaniser le contrat par le biais de regles juridiques qui ne font pas uniquement appel a des preceptes moraux flous en mal de legitimation tels ceux de la plus haute bonne foi et requite contractuelle. Il est donc interessant de s'attarder a certains des travaux de Csaba Varga portant sur la question de la reification en droit, de meme qu'a ceux plus recents du philosophe Axel Honneth, afin de verifier si la question de la reification peut etre pertinente a l'etude du contrat d'assurance.

Introduction I. Le role societal en transformation du contrat d'assurance A. Le role societal de l'assurance B. La nodon de lisque et le contrat d'assurance II. La reification du lien contractuel en droit des assurances A. La proliferation des risques et la marchandisation des assures B. La notion de reification et le contrat d'assurance C. Un phenomene inevitable ou a eviter? Conclusion La contemporaneite s'inscrit, en fait, dans le present en le signalant avant tout comme archaique, et seul celui qui percoit dans les choses les plus modernes et les plus recentes les indices ou la signature de l'archaisme peut etre un contemporain.

Giorgio Agamben, Qu'est-ce que le contemporain (1)

Des que les sujets commencent a regler les relations qu'ils entretiennent avec leurs congeneres sur le mode de l'echange de marchandises equivalentes, ils sont contraints d'inscrire leur rapport a renvironnement dans une relation reifiee ; ils ne peuvent plus percevoir les elements d'une situation donnee qu'en evaluant l'importance de ces elements a l'aune de leurs interets egoistes.

Axel Honneth, La reification : Petit traite de theorie critique (2)

Introduction

L'analyse du contrat d'assurance est source de paradoxes. D'un cote, la gestion des risques et la mise en commun des interets de tous les preneurs s'inscrivent dans un procede de nature sociale, si ce n'est d'envergure--osons le mot--societale. De rautre cote, tant la proliferation des risques de toutes sortes que la segmentation toujours plus precise des niehes d'assures a couvrir et l'economie actionnariale dans laquelle s'integre avee vigueur le commerce de l'assurance (3) font en sorte que le contrat est desocialise et les parties depersonnalisees. Le preneur et l'assureur sont generalement opposes l'un a l'autre et doivent se proteger de la fraude probable et des tactiques de marketing et de redaction strategique des polices. Dans un tel univers de litiges potentiels, le juriste en vient souvent a perdre de vue le role global du contrat d'assurance et de son fonctionnement pour interpreter le contrat d'assurance comme un strict echange commercial. Nul doute que la couverture expansive deployee par les assureurs et le (faux ?) besoin que nous ressentons de nous surassurer (4) contribuent a la perception d'une simple offre de service supplementaire dans une societe de consommation qui fait la part belle aux contrats prerediges. Dans ce contexte, tant la faible reconnaissance de l'aspect fondamentalement interpersonnel et humain a la base de l'assurance que la distance critique face a la mise en marche--et sa regulation par le biais de regles juridiques--nous ramenent a une notion a connotation marxiste, soit la reification.

Dans un texte anterieur (5), nous nous sommes interesses au lien possible entre la notion de reification et celle de contrat. Dans le present texte, c'est d'une maniere plus precise au contrat d'assurance que nous voulons nous attarder, ou plutot a l'idee que se fait le juriste du preneur/assure a titre de risque a evaluer. Autrement dit, au sein de la relation contractuelle qui le lie a l'assureur, le preneur/assure est-il percu, et peut-il etre percu, autrement qu'a titre de bien economique risque ? Inversement, l'assureur est-il davantage, au plan contractuel toujours, qu'un commercant dont il faut savoir soutirer le maximum de benefices ? Il nous parait pertinent de tenter de repondre a ces questions pour mieux cerner le processus obligationnel qui lie les parties. Alors que la relation contractuelle est d'abord et avant tout consideree a titre de valeur economique par les juristes, il semble necessaire de reflechir a la possibilite de rehumaniser le contrat par le biais de regles juridiques qui ne font pas uniquement appel a des preceptes moraux flous en mal de legitimation (6). Il est donc interessant de se pencher sur certains des travaux en philosophie du droit de Csaba Varga portant sur la question de la reification, ainsi que sur ceux plus recents du philosophe Axel Honneth, afin de verifier si la question de la reification peut etre pertinente a l'etude du contrat d'assurance. Ceci a pour but de stimuler une critique de la conception hegemonique actuelle en matiere de contrat d'assurance qui s'appuie sur une stricte perspective utilitariste, si ce n'est actuarielle (7).

Notre intention est de proposer quelques pistes de refiexions doctrinales qui permettront d'eclairer les relations contractuelles et d'envisager une theorie d'ensemble basee sur les rapports sociaux de communication et de recherche d'entente commune. Dans cette optique, le contrat d'assurance a titre d'objet d'echange et d'enrichissement pourrait devenir un outil de communication sociale et juridique tout autant sinon davantage qu'un bien economique. En ce sens, la relation d'assurance entre le preneur et l'assureur appelle a la consideration d'un double role social, soit celui general de l'assurance et du regroupement qu'il implique a sa base, tout comme celui de la definition et de la prise en compte des risques (I). Or, tant la theorie des contrats que la pratique juridico-assurantielle tendent vers une individualisation et une reification des parties et de la relation obligationnelle dans son ensemble (II).

  1. Le role societal en transformation du contrat d'assurance

    L'assurance et la creation de contrats qu'elle stimule est plus qu'une offre de services. Developpee avec la modernite, elle se situe au centre de la vie sociale. Il est reconnu que les systemes d'assurance > (8). Le role social de l'assurance transparait tant par son objet qu'est la protection que par sa nature d'echange et de communication importante d'informations (9). L'assurance est si bien implantee en occident (10), qu'elle sert de metaphore anachronique a la protection qu'apportaient les seigneurs a l'epoque feodale (11). De la a soutenir que les compagnies d'assurances contemporaines constituent les nouveaux seigneurs, il y a un petit pas que nous souhaiterions ne pas franchir ici de peur de sombrer dans la polemique. Restons, pour l'instant a tout le moins, dans le domaine du consensus et permettons-nous de souligner le role societal de l'assurance et, par consequent, les liens inevitables que cette derniere doit entretenir avec le droit (A). Nous pourrons ainsi aborder egalement la relation entre le developpement du contrat d'assurance par rapport a la perception de la notion de risque qu'il se doit d'encadrer (B).

    1. Le role Societal de l'assurance

      L'assurance, qui prenait a rorigine la forme d'un contrat isole et d'un genre unique, s'est transformee en une entreprise qui ne qualifie pas uniquement diverses formes de contrats, mais qui fait desormais l'objet d'un droit parficulier (12). A partir de ce constat juridique, un lien doit etre fait avec la consideration globale de l'assurance a titre de protection des impr6vus: elle concerne la catastrophe, la menace et l'accident. L'assurance est aujourd'hui surpresente. Nous vivons dans une societe assurantielle, selon l'expression celebre de Francois Ewald, soeiete dans laquelle le risque occupe une place, qui a tort ou a raison, joue un role societal. Quelles qu'en soient les raisons sociologiques et economiques--ce qui ne peut evidemment faire l'objet du present texte--la societe occidentale tend a se diviser de plus en plus entre riscophiles et riscophobes, comme...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT