Developpement dans un contexte mondial.

AuthorSachs, Jeffrey

Le nombre des pays qui ont besoin d'une aide internationale au developpement n'a jamais ete aussi grand. Pourtant, de nombreuses idees fausses empechent de bien diagnostiquer leurs problemes. D'apres Jeffrey Sachs, nous devons aller au-dela des analyses economiques classiques pour commencer a realiser des progres reels.

Je voudrais commencer par quelques observations personnelles. Ayant recu une formation de macroeconomiste, j'ai appris assez tot a jouer avec les taux de change, la politique monetaire, la politique budgetaire et la politique regissant les marches financiers pour stabiliser la situation macroeconomique. Pendant longtemps, mon role a consiste a aider des pays en situation d'hyperinflation a parvenir a une certaine stabilite, souvent -- je suis heureux de pouvoir le dire -- avec des resultats raisonnables. Mais j'ai aussi appris quelques importantes lecons au sujet des limites reelles de ces outils.

Le pouvoir de la geographie

J'ai commence ma carriere internationale en Bolivie. Le pays etait tellement isole et desespere, je suppose, qu'il etait pret a accueillir n'importe qui. J'ai repondu a l'appel, sans savoir bien sur dans quoi je m'engageais et sans soupconner que cette experience allait changer ma vie d'une maniere fondamentale.

La Bolivie etait et est encore un pays tres pauvre. Dans les cinq annees qui ont precede 1985, le revenu par habitant a baisse de plus de 30 %. C'est une catastrophe quand on fait deja partie des pays les plus pauvres du monde. A mon arrivee, l'inflation des douze mois precedents avait atteint un total cumulatif de plus de 24 000 %. Ce niveau d'hyperinflation se classait alors septieme parmi les taux les plus eleves jamais enregistres dans l'histoire. Il est triste de constater aujourd'hui que de nombreux autres pays l'ont depasse par la suite.

Je dirai, par souci de brievete, que la Bolivie a fini par juguler son hyperinflation et a reussi a parvenir a la stabilite et meme a consolider un nouveau processus democratique, ce qui etait sans precedent pour un pays qui comptait parmi les plus instables du monde.

La Bolivie a pu retrouver une croissance economique qui assurait une augmentation annuelle du revenu individuel d'environ 2 % par an. Pour un pays tres pauvre, un tel taux de croissance signifie un cheminement long et penible pour sortir du sous-developpement. En effet, en partant d'un revenu par habitant d'environ 600 $ au moment de la stabilisation, il faudra a la Bolivie 35 ans pour atteindre 1 200 $ et 35 autres annees pour parvenir a 2 400 $. En d'autres termes, le pays peut esperer atteindre au prochain siecle le niveau de developpement realise par les Etats-Unis il y a 50 ans. Ce n'est pas la un objectif tres realiste de developpement.

Lorsque j'ai atterri la La Paz, je me suis rendu compte que l'aeroport se situait la 12 000 pieds au-dessus du niveau de la mer et que l'air y etait beaucoup moins dense qu'ailleurs. Je me suis egalement apercu qu'il s'agissait d'un pays inhabituel et que la visite du lac Titicaca, etendue d'eau la plus elevee de la planete, etait une experience peu commune. Les montagnes etaient particulierement belles, et l'Altiplano, particulierement austere. Je n'avais cependant pas alors la formation voulue pour envisager serieusement les consequences de tous ces facteurs sur le developpement economique.

Nous avions pense alors : Eh bien, s'ils ne se sont developpes que de 2 % par an, c'est parce qu'ils ont fixe le taux de change de telle ou telle maniere. Bien sur, nous ignorions tout de la vie dans les Andes a 12 000 pieds d'altitude et nous ne nous rendions pas compte de l'incroyable difficulte qu'il pouvait y avoir a persuader Intel de venir construire une usine de semi-conducteurs dans l'Alto ou de convaincre Nike de produire des chaussures pres du lac Titicaca, ou a appliquer tous les autres trucs du metier qui ont pour objet de creer des emplois, d'augmenter les exportations et de relever le revenu des pays pauvres.

La Bolivie est vraiment un pays faconne par sa geographie. Ce fait semble parfaitement evidente mais il m'a fallu 15 ans pour comprendre ce que cela voulait dire. J'ai vraiment compris tres directement lorsque j'ai travaill, au Vietnam pendant une courte periode. Le Vietnam avait un gouvernement affreusement corrompu, une horrible reglementation, une societe civile qui ne participait pratiquement a rien, une vieille garde plutot autoritaire et une incroyable incurie dans la gestion des entreprises d'Etat. Pourtant, son economie croissait a un rythme tres sensiblement superieur a celui de la Bolivie. Pourquoi? Parce que le Vietnam a une longue cote parfaitement situee pour attirer les entreprises de Taiwan, de Coree et de beaucoup d'autres pays qui souhaitaient fabriquer a bon compte des televiseurs, des chaussures, des sandales, des tee-shirts et d'autres articles qui creent des emplois et des revenus.

J'ai alors commence a comprendre que la mondialisation ne traite pas egalement toutes les regions du monde. J'ai aussi commence a douter de tous les grands discours sur la gouvernance selon lesquels les choses vont mal parce que les pauvres sont incapables de bien se gouverner. Le monde a vraiment une structure tres complexe et le developpement est un processus beaucoup plus complique que la conception simpliste que nous en avons, dans laquelle tout le monde participe equitablement a la meme course et tout le monde peut profiter egalement du meme processus de mondialisation.

Plus j'en ai vu, plus j'y ai reflechi et plus j'ai compris quel pouvoir incroyable posseent des facteurs geographiques que nous remarquons a peine dans nos debats professionnels. Le point le plus evident, c'est que presque tout le monde tropical est aujourd'hui pauvre. Et presque tout le monde tempere est soit riche soit anciennement communiste. Il est vraiment difficile de vivre dans une zone temperee, de ne pas avoir vecu sous la ferule sovietique et d'etre pauvre quand meme. Si l'on considere le milliard de personnes qui vivent dans les pays qui, selon la Banque mondiale, ont un revenu eleve, on constate que 992 millions habitent des pays de la zone temperee. La liste de ces pays ne compte que deux economies des tropiques : Singapour, avec ses 3 millions d'habitants, et Hong Kong. Aucune autre economie des tropiques ne figure parmi les 30 les plus riches. Je vous mets au defi de trouver un manuel de macroeconomie contenant ne serait-ce qu'une seule phrase au sujet de ce superpuissant gradient geographique qui regit le monde entier. On peut parcourir les 500 etudes les plus recentes sur la croissance economique. Je suis sur que 497 d'entre elles ne mentionnent meme pas la geographie une seule fois.

Si l'on considere les pays enclaves du monde, comme la Bolivie, on constate qu'ils n'ont pas beaucoup de succes, a moins d'etre entoures de pays riches. Il n'y a que quelques pays enclaves qui soient riches, comme la Suisse et le Luxembourg, mais il y en a beaucoup qui sont pauvres en Amerique du Sud, dans l'Afrique subsaharienne tropicale et en Asie centrale, y compris l'Ouzbekistan, seul pays du monde qui soit doublement enclave, car aucun des Etats voisins n'a acces a la mer. Il faut traverser deux frontieres internationales pour atteindre un littoral!

On ne trouve pas de nombreux exemples de reussite dans ces pays. Le transport terrestre est extremement couteux. Et on ne recourt au transport aerien qu'a un stade tres avance de developpement economique. Si on fait ses premieres armes en matiere de developpement economique, l'absence d'un port de mer est durement ressentie. Si vous faites le compte des regions cotieres temperees qui se trouvent a une centaine de kilometres d'une mer, d'un ocean ou d'une voie navigable, vous vous apercevrez que ces bandes de terre de la cote est et de la cote ouest de l'Amerique du Nord, du Chili...

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