Les expulsions pour arrieres de loyer au Quebec: un contentieux de masse.

AuthorGallic, Martin
PositionAbstract through II. Le non-paiement du loyer depuis plus de trois semaines et la marginalisation du prejudice des locataires B. Le deroulement de l'audience en l'absence du locataire, p. 611-637

Depuis son entree en fonction en 1980, la Regie du logement du Quebec--le tribunal en charge du contentieux entre proprietaires et locataires--recoit entre 30 000 et 50 000 demandes d'expulsions pour arrieres de loyer par annee. Ces recours representent entre 45 % et 62 % de l'ensemble du contentieux traite par la Regie, selon les annees considerees. Dans une province de huit millions d'habitant(e)s, dont 40 % sont locataires, il s'agit d'un >. A partir d'une etude de la legislation, de la jurisprudence et d'une enquete de terrain a la Regie, les auteurs s'interrogent sur le droit en vigueur et la procedure relative aux deux cas precis autorisant l'expulsion pour des arrieres de loyer : le retard de plus de trois semaines et les retards frequents. Ils decrivent une procedure expeditive notamment parce que le pouvoir discretionnaire des magistrats pour tenir compte des obligations contractuelles des locateurs, de la proportionnalite de la decision, du temoignage et du prejudice des locataires est marginal. Il s'agit ainsi d'un contentieux largement >, lors duquel les causes du non-paiement et les consequences humaines et sociales de l'expulsion sont ecartees. Les auteurs defendent alors l'hypothese que ces elements contribuent a miner la confiance des justiciables envers le systeme judiciaire et participent a expliquer l'absenteisme des locataires aux audiences, tout comme le taux extremement faible de la representation par avocat. Dans cette perspective, ils invitent a remettre en question le droit en vigueur et sa conformite avec les regles de droit international au premier rang desquelles, le droit au logement.

Since it began operating in 1980, the Regie du logement du Quebec--the tribunal responsible for disputes arising between landlords and tenants--hears anywhere between 30,000 and 50,000 applications regarding unpaid rent each year. These actions represent between 45% and 62% of all matters heard by the Regie in the material time for this study. In a province of eight million inhabitants, 40% of which are tenants, this constitutes "mass litigation". Through a study of relevant legislation, jurisprudence, and the results of fieldwork at the Regie, the authors question the law and procedure relating to two specific justifications for evicting tenants: rent payments more than three weeks overdue and frequent late payments. This study reveals an expedited process largely attributable to the minimal discretionary power commissioners have in considering tenants' contractual obligations, the proportionality of the decision, tenants' testimony, and the prejudice they sustain. This litigation is therefore one "without hope", in the course of which the causes of nonpayment and the human and social consequences of eviction are cast aside. The authors thus defend the thesis that these elements contribute to the public's deteriorating confidence in the judicial system and partly explain tenants' absenteeism at Regie hearings as well as the extremely low representation rate. From this perspective, the authors invite a questioning of the law as it currently stands and its conformity with international standards on housing rights.

Introduction Precisions methodologiques I. Sur la banalite des demandes d'expulsions II. Le non-paiement du loyer depuis plus de trois semaines et la marginalisation du prejudice des locataires A. Le droit applicable B. Le deroulement de l'audience en l'absence du locataire C. Un temoignage frequemment inoperant D. Un contentieux >? III. La resiliation pour retards frequents et l'evaluation du > des proprietaires A. Le droit applicable et la notion de > B. L'audience et la preuve des consequences financieres et des demarches administratives C. L'ordonnance de la > IV. L'absence des locataires et des avocats aux audiences A. L'absence des locataires aux audiences B. L'absence de representation par a vocat Conclusion Introduction

[L]e Comite recommande a l'Etat partie : [...] De reglementer les conditions de location pour que les locataires puissent exercer leur droit a un logement convenable a un prix abordable et ne soient pas vulnerables aux expulsions forcees; [d]e veiller a ce que sa legislation sur les expulsions soit compatible avec les normes internationales, particulierement en ce qui concerne l'obligation de faire en sorte que personne ne se retrouve sans logement ou victime d'autres violations des droits de l'homme dues aux expulsions, et que les victimes d'expulsions soient dument indemnisees ou beneficient d'une solution de relogement (1).

Depuis son entree en fonction en 1980, la Regie du logement du Quebec (ci-apres >)--le tribunal en charge du contentieux entre proprietaires et locataires--recoit entre 30 000 et 50 000 demandes d'expulsions pour des arrieres de loyer (2) par annee. Si cette proportion est comparable a celle que l'on trouve dans d'autres provinces (3), force est d'admettre qu'elle renvoie a un contentieux de masse au Quebec, qui compte huit millions d'habitant(e)s, dont 40 % sont des locataires (4). A titre de comparaison, la Cour superieure ouvre moins de 30 000 dossiers par an en matiere familiale (divorce, obligation alimentaire, autorite parentale, etc.) (5). Malgre l'ampleur de ce contentieux et le caractere radical de cette sanction civile qui prive les locataires du droit au maintien dans les lieux, les donnees disponibles sur la population concernee, le nombre d'individus et de familles vises, les categories sociales touchees et les consequences sociales et sanitaires de l'expulsion sont rares, pour ne pas dire inexistantes (6). Dans le champ juridique, le contentieux locatif est l'un des objets les plus delaisses. La doctrine quebecoise compte peu de publications sur ce theme, et la question des expulsions y occupe une place relativement marginale (7). Les articles de doctrine semblent egalement peu nombreux en Ontario et en Colombie-Britannique (8). En droit francais, la question est un peu plus etudiee (9), surtout depuis l'adoption de la Loi sur le droit au loge ment opposable (DALO) (10). Aussi, face a l'accroissement des expulsions locatives, le gouvernement francais a commande une vaste evaluation des mecanismes de prevention (11). Enfin, d'importantes etudes de terrain ont ete realisees dans les housing courts de plusieurs grandes villes anglaises et nord-americaines (12). La crise financiere de 2008, avec la hausse importante des expulsions qui l'a accompagnee, a par ailleurs contribue a susciter un regain d'interet pour cette question dans la doctrine anglophone (13). Reste que le phenomene des expulsions est aujourd'hui sous-etudie (14), comme le souligne Matthew Desmond : Eviction is perhaps the most understudied process affecting the lives of the urban poor (15).

Globalement, la doctrine s'empare timidement du phenomene et ce desinteret contraste fortement avec les preoccupations exprimees tant par les Nations Unies (notamment sur la situation au Canada (16)) que par les associations de defense des droits des locataires ou des proprietaires. Les expulsions et, plus largement, le probleme de l'insecurite legale d'occupation sont en effet au coeur des travaux des rapporteurs speciaux sur le droit au logement, ces derniers constatant un accroissement des inegalites, surtout dans les grandes metropoles, et leurs consequences dramatiques en termes de droit au logement (17). Les associations quebecoises de locataires denoncent pour leur part l'augmentation continue des loyers, qui place les locataires devant des dilemmes intenables : choisir entre le paiement du loyer, la sante ou l'education, par exemple. Les associations de locataires pointent les effets sexues (18) et racises (19) de la > du logement, l'absence de logements sociaux (20), la priorite accordee aux demandes d'expulsion sur les causes d'insalubrite ou de moisissure notamment (21). Elles denoncent une...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT