Les principes generaux de la justice civile et le nouveau code de procedure civile.

AuthorBachand, Frederic
PositionCanada, Quebec

On a beaucoup parle--au cours des dernieres annees--des failles du systeme de justice civile quebecois, a un point tel qu'on perd parfois de vue qu'a de nombreux egards, il constitue un modele enviable. Permettezmoi donc de debuter sur une note positive, avant de revenir brievement sur ces failles et d'expliquer pourquoi j'ai choisi de me pencher sur les principes generaux qui sous-tendent ce systeme.

I

Tous les systemes modernes de justice civile ont en commun qu'ils poursuivent certains objectifs fondamentaux et il y a lieu de se rejouir du fait qu'au Quebec, la plupart de ces objectifs sont atteints sans difficulte. Nous avons le luxe de pouvoir tenir pour acquis que les resultats auxquels conduit notre systeme de justice civile--qu'ils prennent la forme de jugements ou de reglements amiables--seront pleinement et facilement executes. De plus, le systeme garantit aux justiciables un traitement generalement adequat de leurs dossiers, par des juges competents et integres, des juges qui comprennent et respectent les garanties fondamentales d'une procedure juridictionnelle equitable et qui exercent leurs fonctions de maniere transparente et responsable. Par ailleurs, la culture qui s'est developpee au fil du temps accorde une importance primordiale a la primaute du droit, de sorte que les jugements que produit le systeme reposent non pas sur des considerations arbitraires, mais bien sur l'application generalement rigoureuse du droit applicable aux faits pertinents. Enfin, notre systeme permet aux juges d'exercer adequatement leurs fonctions normatives, c'est-a-dire leur mission de developper, clarifier et faire avancer le droit, une mission qui--comme le rappelait la Cour supreme du Canada dans l'arret Housen--est preponderante en ce qui concerne les tribunaux siegeant principalement en appel (1). Il s'agit d'acquis tres precieux.

Nous avons donc reussi a batir un systeme de justice civile tres performant, mais nous l'avons malheureusement fait au detriment de son accessibilite. C'est un systeme qui meriterait sans doute une mention dans le Guide Michelin de la justice civile, mais qui--comme les grands restaurants etoiles--demeure inaccessible pour le commun des mortels (2).

D'ailleurs, n'oublions pas que ce probleme d'accessibilite entraine certains dommages collateraux. Par exemple, on a tendance a se rejouir trop rapidement lorsque des dossiers judiciaires se reglent a l'amiable. Ce qu'il convient de promouvoir et de saluer, ce sont les reglements amiables suffisamment equitables, volontaires et eclaires. Or, chacun sait que bon nombre de reglements amiables sont conclus par necessite, en ce sens que la decision des parties aura ete indument influencee par l'inaccessibilite de notre systeme de justice civile. Il y a la un veritable probleme, qui est d'autant plus important que la tres grande majorite des instances prennent fin avant qu'un jugement final n'intervienne sur le fond.

Ce probleme d'accessibilite est le point de depart du message que je souhaite livrer aujourd'hui. Le probleme est grave, a un point tel qu'il n'est probablement pas exagere de parler--comme l'a fait recemment la juge en chef du Canada--d'une veritable crise (3). Il y a cependant lieu d'etre optimiste, car l'entree en vigueur du nouveau Code de procedure civile (4) 5 (>) offre aux juristes qui s'interessent a la justice civile une occasion reelle et historique d'y remedier.

En fait, j'irais plus loin. La reforme ne fait pas que donner l'occasion de remedier a ce probleme d'accessibilite, je dirais meme qu'elle impose l'obligation de le faire. Pourquoi? Parce que l'adoption du nouveau Code repose sur une volonte politique tres claire de doter les justiciables quebecois d'un systeme qui repond a leurs attentes et a leurs besoins. Comme l'affirme la ministre de la Justice dans ses commentaires relatifs au nouveau Code :

Outre la modernisation, l'enjeu le plus important de cette reforme est, comme le recommandait le Comite de revision de la procedure civile dans son rapport de 2001, d'arriver a insuffler un changement de culture chez tous les intervenants et utilisateurs du systeme judiciaire civil, de facon a ce que les citoyens puissent avoir acces a la justice dans des delais plus courts et surtout a un cout moindre (5). Il nous incombe de prendre acte de cette volonte politique. Si nous le faisons serieusement, nous ne pouvons faire autrement que de constater --et cela doit etre la pierre d'assise de toute la reflexion--que le statu quo n'est tout simplement pas une option. Ceci est d'autant plus vrai que la Cour supreme vient de reconnaitre, dans son arret Hryniak c. Mauldin, que les graves problemes d'accessibilite auxquels sont confrontes les systemes de justice civile canadiens mettent en peril la primaute du droit dans les rapports prives (6).

II

J'ai choisi de mettre l'accent sur les principes generaux de la justice civile, et ce pour trois raisons.

La premiere tient au role crucial que les principes generaux jouent dans l'exercice de la discretion judiciaire. On evite l'arbitraire en imposant au detenteur ou a la detentrice d'un pouvoir discretionnaire l'obligation de prendre en consideration, entre autres choses, les principes generaux du droit s'averant pertinents a la situation etudiee. Ils constituent, comme le soulignait la Cour supreme dans l'arret Whatcott, des > (7). Les principes ne constituent pas des regles autonomes, mais plutot--comme le rappelait recemment la Cour supreme--des normes qui sous-tendent les regles particulieres et auxquelles les juges peuvent accorder plus ou moins d'importance selon les circonstances (8). Le role que joueront les principes generaux de la justice civile sera particulierement important etant donne que le nouveau Code accroit de maniere considerable les pouvoirs discretionnaires des juges, a un point tel que le succes de la reforme dependra, en grande partie, de la maniere dont ces pouvoirs seront exerces.

La deuxieme raison pour laquelle il convient de s'arreter aux principes generaux tient au fait que la source du probleme d'accessibilite auquel nous sommes confrontes se situe, ultimement, au niveau de ces principes. Le probleme n'est pas tant que le systeme de justice civile quebecois repose sur de mauvais principes ou des principes depasses, ou encore que la liste des principes sur lesquels il repose s'avere incomplete. Le probleme se situe plutot au niveau de leur importance relative. En bref, la crise contemporaine en matiere de justice civile est due a la trop grande importance que nous accordons a l'un de ces principes, soit le principe de la recherche de la verite, que l'on a eu tendance a concevoir comme etant preponderant, autrement dit comme etant la pierre d'assise de tout le systeme. Or, si un principe general merite de se voir accorder une importance preponderante, ce n'est pas ce principe de recherche de la verite, mais plutot le principe d'accessibilite. Fondamentalement, c'est ce que l'on a perdu de vue au cours des dernieres decennies.

La bonne nouvelle--et c'est la troisieme raison pour laquelle j'ai choisi de me pencher sur les principes generaux--est que le nouveau Code est porteur d'une reforme agissant non seulement au niveau des regles, mais egalement au niveau des principes. Cela est evident a la lecture de plusieurs dispositions sur lesquelles je reviendrai. Mais le point crucial, que je tiens a souligner immediatement, est que l'entree en vigueur de ce Code rend parfaitement legitime un reexamen des principes qui--a mon sens--s'avere necessaire si l'on souhaite remedier de maniere durable au probleme d'accessibilite de la...

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