Propriete intellectuelle, cour supreme du Canada et droit civil.

AuthorRivoire, Maxence

The Supreme Court of Canada is a testing ground for comparative law. Embodying the hybridization of civil and common law, it is composed of three justices from Quebec and six from the rest of Canada. Yet every marriage has its trials. The Court must sometimes interpret federal law where the two traditions dictate contradictory results. In the absence of uniform rules applicable throughout the country, the Court must choose between the two traditions. This article examines the Supreme Court of Canada's treatment of the civil law in copyright, patent, and trademark law.

The authors suggest that the philosophical underpinnings of civilian approaches to intellectual property hold little sway on the Supreme Court. This is because, on the one hand, the common law sees intellectual property as a utilitarian tool to promote innovation, creativity and economic growth. The civil law, on the other hand, seeks to protect rightholders' interests and personality as ends in themselves. Caught in the middle, the Supreme Court has deliberately favoured the common law over the civil law. The authors of this article, who are trained in both traditions, unravel the Supreme Court's decisions in order to identify their common and civil law strands. This diversity, which mirrors Canada's mixed legal system, provides deeper insight into the metissage of common and civil law in Canada. This article is directed not only at Canadian jurists but also at the international community, as integration and harmonization initiatives continue to develop in Europe.

La Cour supreme du Canada est un laboratoire de droit compare. Symbole de l'hybridation entre le droit civil et la common law, elle est composee de juges provenant du Quebec et du reste du Canada. Chaque mariage connait son lot de difficultes : il arrive que la Cour doive interpreter le droit federal alors que les deux systemes se contredisent. En l'absence de regles suppletives communes ayant vocation a s'appliquer a l'ensemble du pays, les juges doivent alors opter pour l'une ou l'autre des traditions. Les auteurs se servent de l'exemple de la propriete intellectuelle pour examiner le traitement du droit civil par la Cour supreme dans le domaine du droit d'auteur, du droit des brevets et du droit des marques de commerce.

L'article part du constat de l'impopularite des arguments civilistes pour en expliquer les raisons profondes, d'ordre philosophique. D'un cote, la common law, qui voit dans la propriete intellectuelle un instrument au service de l'innovation, de la creation ou du commerce. De l'autre, le droit civil, pour lequel la protection de la personne du titulaire du droit est une fin en soi. Au milieu, la Cour supreme, qui fait le choix delibere de la common law. Les auteurs, formes dans la richesse des deux traditions, offrent un regard particulier eu egard a leurs parcours. Une mixite a l'image du transsystemisme qui leur permet d'aboutir a une rare neutralite scientifique. Leur texte s'adresse aux juristes canadiens mais aussi, a l'heure oU s'elaborent des projets d'integration et d'harmonisation du droit dans le Vieux Continent, a la communaute juridique internationale.

Introduction I. Droit d'auteur : le divorce est consomme A. L'interpretation du droit de reproduction et le rejet du droit de destination: Thebergc c. Galerie d'Art du Petit Champlain B. In consecration de l'arbitrabuite du droit mord : Desputeaux c. Editions Chouette C. Le critere d'originalite; CCH Canadienne Liee c. Barreau du Haut-Canada D. L'abus de droit a la recherche d'une nouvelle tare : Euro-Excellence c. Kralt Canada II. Brevets : la balance a-t-elle bascule A. L'interpretation des revendications : la reconciliation P (Whirlpool et Frce World) 1. L'etendue de la protection en droit civil et en common law 2. L'etendue de la protection en droit canadien B. L'exception de moralite et d'ordre publie en milieu hostile : Harvard College e. Canada (Commissaire aux brevets) C. L'exploitation commerciale du brevet : la perte d'equilibre (Monsanto Canada e. Schmeiser) III. Marques de commerce : vers la rupture ? A. Les enjeux philosophiques et constitutionnels (huis la EMC B. In vrue-lausse ouverture au parasitisme : Veuve Cliequol Ponsardin c. Boutiques Cliquot liee Conclusion Introduction

Le mariage a la Cour supreme, dont trois juges viennent obligatoirement du Quebec (depuis 1949), l'est des juges dont la langue, la religion, l'education, le contexte social et la vision different considerablement des le depart. Le mariage est plus long a se consommer [...] et parfois, il ne se consomme pas tout a fait [...].

L'honorable Claire L'Heureux-Dube (1)

C'est dans ces termes que l'honorable Claire L'Heureux-Dube, dans un discours a l'honneur de l'honorable Michel Bastarache, decrit la diversite des membres de la Cour supreme du Canada. A l'image du pays, cohabitent au sein de la plus haute juridiction canadienne des juges formes dans deux systemes juridiques profondement differents : la common law, d'origine anglaise, et le droit civil quebecois, issu du droit francais. Cette particularite est l'une des consequences du >, consacre au paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui attribue aux provinces le pouvoir de legiferer en matiere de propriete et de droits civils (2). Depuis 1949, trois juges quebecois doivent imperativement sieger aux cotes de six juges venant du reste du Canada (3).

La Cour supreme joue un role fondamental dans la mise en oeuvre du dualisme juridique. Toute la difficulte de la tache reside dans la resolution des tensions decoulant de ce mariage. En particulier, se pose la question de l'interpretation du droit federal en cas de divergence entre le droit civil et la common law. Quelles regles invoquer lorsque la loi ne se suffit plus a elle-meme ? La reponse n'est pas evidente, car il n'existe pas de regles communes susceptibles d'en combler les lacunes (4). L'absence de common law federale laisse le champ libre a l'application suppletive du droit prive provincial, qui fournira les ressources conceptuelles necessaires a l'interpretation. Quelle tradition faut-il alors preferer ? On ne peut concevoir que l'application du droit ne soit pas uniforme, puisque le > (5). En d'autres termes, il est impossible de recourir au droit civil au Quebec, et a la common law dans les autres provinces. La question implique donc un choix judiciaire, que nous nous proposons d'evaluer au niveau de la Cour supreme du Canada.

Dans cette optique, la propriete intellectuelle constitue un tres bon exemple. En effet, la matiere est, de tout le droit federal, celle qui presente le plus de points communs avec la > au sens de la Constitution. Or, dans ce domaine, l'article 8.1 de la Loi d'interpretation nous apprend que > (6). Bien sur, les droits intellectuels sont d'origine federale, ce qui les place en dehors du champ d'appbcation de cette disposition, qui ne concerne que le droit provincial. Mais l'on peut au moins s'attendre a ce que la Cour supreme soit attentive au respect des deux traditions dans l'hypothese d'une divergence dans les trois volets principaux de la propriete intellectuelle, soit le droit d'auteur, les brevets et les marques de commerce. Notre etude vise a demontrer que ce n'est pas le cas.

D'emblee, la legislation canadienne est susceptible de nous aiguiller. Et force est de constater que le terrain normatif est hostile au droit civil (7). Unique source du droit d'auteur au Canada, la Loi sur le droit d'auteur (8) (ci-apres >) est historiquement basee sur le Copyright Act du Royaume-Uni, qui s'appliquait au Canada avant 1921. La Loi sur les brevets (9) (ci-apres >) tire quant a elle son origine de la loi americaine. Enfin, la Loi sur les marques de commerce (10) (ci-apres >) est tellement inspiree des statutes anglo-americains qu'on peut lui accorder sans aucun doute l'etiquette de la cotnmon law (11). Neanmoins, dans chacun de ces textes, le droit civil conserve une place a part. La LDA reconnait ainsi les droits moraux et les droits voisins, caracteristiques des systemes de tradition civiliste (12). En droit des brevets, la loi a abandonne le systeme americain de first-to-invent au profit du first-to-file (13). La LMC reconnait quant a elle le concept de concurrence deloyale (14). L'influence existe, mais elle est mineure. Ce biais legislatif, qui s'ajoute a l'absence de neutralite institutionnelle (15), laisse deviner que les juges pencheront naturellement du cote de la common law. Mais jusqu'a quel point?

Pour repondre a cette question, nous avons etudie l'integralite des arrets rendus par la Cour supreme en propriete intellectuelle de 2000, annee de la nomination de Beverley McLachlin au poste de juge en chef du Canada, a 2014. Neuf de ces arrets ont ete soigneusement selectionnes pour leur interet en droit compare, en particulier avec celui de la France, notre point de reference europeen. Une etude des reactions des juges a des tentatives, par des avocats, d'importer des notions continentales en droit canadien a revele une forte tendance de la Cour a traiter ces concepts avec mefiance. Ce constat etait trop intrigant pour s'arreter en si bon chemin. Nous devions trouver une explication, un denominateur commun a ces solutions. Il faut pour cela poser une autre question, celle par laquelle on tente de justifier le systeme : pourquoi accorde-t-on des droits de propriete intellectuelle (ci-apres > (16)) ?

Dans les juridictions de common law comme l'Angleterre et les EtatsUnis, deux conceptions ont principalement prevalu : la philosophie libertarienne de John Locke et l'utilitarisme, dont John Stuart Mill est le precurseur. Selon Locke, les DPI sont des droits naturels accordes en recompense d'un dur labeur (17). Les auteurs, les inventeurs et les titulaires de marques de commerce s'approprient le droit exclusif des lors qu'ils fournissent un travail suffisant. Selon Mill, la fonction des droits n'est qu'utilitaire. L'octroi du monopole ne vise qu'a encourager...

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