La protection d'une vitalite fragile: les droits linguistiques autochtones en vertu de l'article 35.

AuthorPoliquin, Gabriel

The author proposes an interpretation of section 35 of the Constitution Act, 1982, and its related jurisprudence, in light of certain general principles emanating from Supreme Court judgments that discuss section 23 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms. Section 23 provides guarantees of language rights to official-language communities. The following argument flows from this interpretation: aboriginal rights in section 35 create language rights and impose a positive obligation on the state to promote the vitality of aboriginal languages. This obligation is distinct from the state's obligation concerning official languages, which serves to ensure equality between the two official linguistic communities. The state's positive obligation toward aboriginal linguistic communities requires the development of structures necessary for the preservation of aboriginal linguistic heritage in order to ensure its transmission from one generation to the next. The content of this obligation may vary from one linguistic community to another, depending on the linguistic environment specific to a given community. The author proposes that this interpretation of section 35 also corresponds to the principles promulgated by the international treaties concerning aboriginal rights to which Canada is a signatory.

L'auteur propose d'interpreter l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et la jurisprudence pertinente a cet article a la lumiere de certains principes generaux issus de la jurisprudence de la Cour supreme du Canada portant sur l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertes, qui garantit des droits linguistiques aux communautes de langue officielle. La these suivante se degage de cette interpretation : les droits autochtones garantis a l'article 35 comprennent des droits linguistiques, dont une obligation positive de l'Etat de favoriser la vitalite des langues autochtones. Cette obligation de favoriser la vitalite des langues autochtones se demarque de l'obligation de l'Etat en matiere de langues officielles qui est d'assurer l'egalite des deux communautes de langue officielle. L'obligation positive de l'Etat a l'egard des communautes de langues autochtones est de mettre en place les structures necessaires a la preservation des patrimoines linguistiques autochtones pour assurer leur transmission d'une generation a l'autre. Le contenu de cette obligation pourra varier d'une communaute linguistique autochtone a l'autre selon l'ecologie linguistique propre a cette communaute. L'auteur propose en outre que cette interpretation de l'article 35 est conforme aux principes promulgues par les accords internationaux auxquels le Canada est partie en matiere de droits autochtones.

Introduction I. Les droits linguistiques autochtones en tant que droits ancestraux II. La nature des droits linguistiques autochtones A. L'obligation positive de l'Etat comme corollaire des droits linguistiques B. L'obligation positive decoulant de l'obligation fiduciaire C. L'obligation positive issue de l'ordre juridique international Conclusion Introduction

Le present article a pour objet de demontrer que, si l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (1) confere des droits linguistiques aux peuples autochtones du Canada, la Couronne a une obligation positive de proteger les langues autochtones. Cette etude reprend ainsi l'intuition d'auteurs comme Fontaine (2) ou Leitch (3) qui s'entendent pour dire que les principes elabores par la Cour supreme du Canada en matiere de droits relatifs aux langues officie]les, garantis a l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertes (4) (Charte), devraient avoir une certaine application en matiere de droits linguistiques autochtones qui, eux, seraient proteges par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Il s'agit de la premiere analyse en profondeur de cette intuition. Fontaine propose une obligation positive qui serait fondee sur une obligation morale de pallier les effets devastateurs qu'ont eu les pensionnats sur les cultures et les langues autochtones. Nous irons plus loin en proposant que l'obligation positive de l'Etat est une obligation proprement juridique * elle decoule d'une interpretation de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 a la lumiere des principes adoptes par la Cour supreme dans sa jurisprudence portant sur les droits relatifs aux langues officielles.

Leitch, pour sa part, propose l'existence d'un droit autochtone a l'education en langue autochtone. Bien que nous soyons d'accord avec cette these dans son ensemble, notre approche sera plus nuancee. Nous proposons l'existence d'un droit a la vitalite linguistique, c'est-a-dire un droit a ce qu'une langue soit preservee, employee et transmise de generation en generation. L'education en langue autochtone est bien entendu une composante fondamentale dans la realisation de ce droit. Cependant, le droit a l'education, meme s'il existe, n'est pas necessairement applicable a bon nombre de communautes linguistiques autochtones.

Par exemple, un droit a l'education serait d'application difficile dans la communaute taguiche qui, aujourd'hui, compte moins d'une dizaine de locuteurs (5). L'application du droit a l'education suppose l'existence d'une communaute de locuteurs qui sont en mesure de fonder et d'entretenir des ecoles ou autres institutions pedagogiques. Dans le cas du taguiche, l'application a la vitalite linguistique passerait d'abord par des efforts de revitalisation linguistique. Selon la these que nous proposons, l'Etat aurait une obligation de financer de tels efforts. Ainsi, l'obligation d'assurer la vitalite linguistique pourrait se manifester differemment d'une communaute a l'autre selon les besoins linguistiques de chacune d'elles. Nous etablirons d'abord que les langues autochtones beneficient d'une protection constitutionnelle pour ensuite cerner la nature et la portee de cette protection. Les auteurs qui ont reflechi a la question s'accordent pour dire que la Couronne a une obligation positive a l'endroit des langues autochtones et de leurs locuteurs. Ce consensus se fonde largement sur des arguments d'ordre moral ou politique, plutot que sur des considerations de nature juridique. En particulier, d'aucuns ont note que les politiques assimilationnistes de l'Etat canadien ont largement contribue a l'agonie des langues autochtones. En effet, la politique des pensionnats a contribue sans aucun doute a l'extinction acceleree des langues autochtones. Nous laisserons aux auteurs autochtones le soin de raconter cette histoire, dramatique et rebutante (6).

Pour nos fins, il est important de noter que, des 61 langues autochtones parlees au Canada, seules trois ont une chance de survie, soit le cri, l'ojibway et l'inuktitut (7). Meme si cet argument est susceptible d'influer le legislateur, il en serait autrement en ce qui concerne les tribunaux. Bien que la Couronne soit en grande partie responsable du declin des langues autochtones, il ne s'ensuit pas necessairement qu'il existe une obligation juridique de reparer les degats, encore moins une obligation constitutionnelle. Cet article s'attardera a jeter les bases d'une justification juridique de l'obligation positive qui incombe a l'Etat de proteger la vitalite reelle des langues autochtones. Selon nous, et comme le proposent aussi Fontaine et Leitch, l'obligation positive de la Couronne a l'endroit des langues autochtones prend sa source d'abord dans l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, mais aussi dans la jurisprudence de la Cour supreme du Canada qui porte sur les droits des communautes de langue officielle garantis par la Charte a l'article 23. Bien entendu, il existe des differences fondamentales entre l'article 23 et l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. D'abord, l'article 23 ne confere de droits qu'aux communautes de langue officielle. Ensuite, l'article 23 fait partie integrante de la Charte alors que l'article 35 lui est extrinseque, limitant ainsi les reparations rendues par le paragraphe 24(1) qui ne s'applique qu'aux articles de la Charte. Cependant, nous sommes d'avis que certains principes etablis dans la jurisprudence qui interprete l'article 23 sont pertinents a l'interpretation de l'article 35.

Ceci ne veut pas dire cependant que les langues autochtones se voient accorder le statut de langues officielles de facto. Nous pretendons que l'obligation positive de la Couronne decoule de la nature des droits linguistiques eux-memes: dans plusieurs arrets concernant les langues officielles, la Cour supreme du Canada enonce le principe suivant lequel la protection constitutionnelle d'une langue n'a aucun sens si la Couronne ne prend pas de mesures proactives pour la proteger (8). Une protection de principe n'empechera jamais une langue de mourir dans les faits (9). Il faut donc changer la situation'linguistique vecue, soit > (10), ce qui implique une intervention etatique.

Afin de replacer notre argumentation dans son contexte, nous commencerons par accomplir une synthese de la doctrine portant sur les droits linguistiques des peuples autochtones reconnus par l'article 35. Nous definirons ensuite la portee de l'obligation positive qui incombe a l'Etat de proteger les langues autochtones a la lumiere de la jurisprudence de la Cour supreme du Canada en matiere de droits linguistiques et des normes internationales.

  1. Les droits linguistiques autochtones en tant que droits ancestraux

    Contrairement aux articles 16 a 23 de la Charte, qui garantissent des droits linguistiques aux communautes de langue officielle, le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 ne fait pas mention explicite de droits linguistiques autochtones :

    35. (1) Les droits existants--ancestraux ou issus de traites--des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmes.

    35. (1) The existing aboriginal and treaty rights of the aboriginal peoples of Canada are hereby recognized and affirmed.

    Seuls les > et &gt...

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