Sursis, recidive et reinsertion sociale: un equilibre precaire.

AuthorF.-Dufour, Isabelle

Introduction

L'emprisonnement avec sursis a ete adopte en 1996 lors de la reforme du Code criminel canadien et son fondement juridique repose sur l'article 742.1 qui stipule que:

Lorsqu'une personne est declaree coupable d'une infraction (...) et condamnee a un emprisonnement de moins de deux ans, le tribunal peut, s'il est convaincu que le fait de purger la peine au sein de la collectivite ne met pas en danger la securite de celle-ci (...), ordonner au delinquant de purger sa peine dans la collectivite afin d'y surveiller le comportement de celui-ci, sous reserve de l'observation des conditions qui lui sont imposees. Le Code criminel indique egalement que la peine d'emprisonnement avec sursis > (article 742.3(2) du c.c.). Au Canada, toute ordonnance de sursis comporte quatre conditions obligatoires (art. 742.3(1) du c.c.) et le tribunal peut, le cas echeant, l'assortir d'une ou plusieurs conditions facultatives (art. 742.3(2) du c.c.). Les conditions facultatives peuvent notamment contraindre le contrevenant a se soumettre a une intervention psychosociale ou l'obliger a demeurer a son domicile a des heures prescrites (couvre-feu et assignation a domicile). C'est en raison de ces conditions restrictives que la peine d'emprisonnement avec sursis se situe entre l'incarceration et l'ordonnance de probation sur un continuum de severite des sentences penales (Lurigio et Petersilia 1992; Roberts 2001 et 2004).

Les ordonnances de sursis connaissent une popularite grandissante au Canada depuis son adoption, meme si les tribunaux y recourent moins souvent comparativement a l'incarceration ou la probation. Ainsi, dans l'annee qui a suivi l'adoption de cette peine (1997-1998), 7669 personnes ont ete soumises au sursis contre 79 908 pour la probation et 107136 pour la detention apres condamnation, alors qu'en 2005-2006, le nombre de personnes condamnees au sursis etait de 18 580, contre 81 430 pour la probation et 77 630 pour la detention (Landry et Sinha 2008). Pour expliquer le recours moins frequent a cette peine, les juges des tribunaux d'appel du Canada ont mentionne qu'ils ne disposaient pas d'informations suffisantes sur:

les taux d'echecs des ordonnances de condamnation avec sursis, les conditions imposees autres que celles prevues a la loi (...), les conditions les plus susceptibles d'etre liees a une audience de manquement, les reactions les plus frequentes des juges suite a la preuve des allegations de manquements et les taux de recidive des delinquants ayant accompli une ordonnance de condarnnation avec sursis (Ministere de la Justice du Canada 2004: 22). Les etudes qui traitent de l'emprisonnement avec sursis sont rares (Smith et Akers 1993; Stanz et Tewksbury 2000; MacKay 2007; Lehalle, Landreville et Charest a paraitre; Roberts 2004). Peu d'entre elles disposent d'un devis evaluatif probant. Il en resulte que l'on dispose de peu d'information sur la nature des conditions facultatives imposees dans ces ordonnances, sur les manquements les plus frequents ou sur le taux de recidive des sursitaires. Ce qui semble neanmoins se degager des quelques etudes repertoriees, c'est que la mise en oeuvre de la peine d'emprisonnement avec sursis varie d'un pays a un autre. Par exemple, aux Etats-Unis, contrairement au Canada, la majorite des contrevenants soumis a cette peine font l'objet d'une surveillance electronique a l'aide d'un dispositif de type GPS (Renzema 1992). Au Royaume-Uni et en Nouvelle-Zelande, le sursis est surtout utilise aupres de personnes en attente de sentence ou qui reintegrent la communaute apres avoir purge une peine carcerale; il s'agit donc plus d'une forme de liberation sous surveillance. Ce qui est neanmoins commun a l'ensemble des diverses > de sursis, c'est qu'elles visent a la fois des objectifs punitifs et des objectifs de reinsertion sociale (Roberts 2004), mais que l'importance accordee a l'une ou l'autre de ces finalites varie d'un pays a l'autre. Malgre l'importance que l'on accorde a la reinsertion sociale partout ou l'on a recours a cette peine, aucune etude ne s'est employee a mesurer specifiquement l'atteinte de cet objectif penal. La presente etude vise a remedier a cette lacune.

La recidive des sursitaires : perspectives internationales et nationales

Le taux de recidive est l'indicateur le plus souvent utilise pour mesurer l'efficacite des sanctions penales, principalement parce qu'il est systematiquement consigne dans les registres penaux de la grande majorite des pays occidentaux (Frienship, Sreet, Cann et Harper, 2004). Les limites de cet indicateur sont connues (Landreville, 1982; Lurigio et Petersilia, 1992; Minor, 1999; Tournier, 2005), mais il demeure que son utilite principale est de faciliter les comparaisons internationales. Ainsi, en Nouvelle-Zelande, ou > (Brown 1996: 436), les taux de reincarceration des sursitaires sont de 11,9 %, comparativement a 48,7% pour les personnes ayant ete detenues (New-Zeland Department of Corrections 2003). Il faut toutefois noter que le departement correctionnel de la Nouvelle-Zelande ne fournit pas d'informations sur les echantillons compares, si bien qu'il est difficile de savoir si les deux groupes presentaient des caracteristiques semblables.

Pour la Grande-Bretagne, ou les principes punitifs sont obligatoires et les principes de reinsertion sociale souhaitables (Ministry of Justice 2007), les taux de recidive des sursitaires varient entre 35% et 40% pour les annees 2000, 2003 et 2004, comparativement a 60% et 70% pour les personnes ayant ete emprisonnees (Sherperd et Whiting 2006). Encore une fois, il est difficile d'interpreter ce resultat, car les donnees qui auraient permis de comparer entre elles les cohortes ne sont pas toutes mentionnees (duree de la sentence, type de suivi offert, delit principal, antecedents judiciaires et autres). Une seule etude presente l'ensemble de ces donnees et offre, pour la premiere fois, des profils sociojudiciaires complets. Cette etude dirigee par Kensey, Lombart et Tournier (2005) a ete menee dans le contexte penal francais, ou les principes de reinsertion sociale sont prioritaires (Ministere de la Justice, 2007). Elle a montre que le taux de recidive des personnes de moins 25 ans detenues pour avoir contrevenu a la legislation sur les stupefiants et ayant jusqu'alors un dossier judiciaire vierge etait de 52% apres six ans (n = 25), alors qu'il etait de 14% pour les sursitaires (n = 35) qui presentaient les memes caracteristiques (age, delit, situation d'emploi, dossier judiciaire). Pour les detenus de plus de 25 ans (n = 46), le taux de reincarceration etait de 20% apres six ans, alors que pour les sursitaires (n = 24), le taux etait de 4%. Bien qu'elle porte sur de petits echantillons, cette donnee revet un caractere important, car elle permet de comparer des sujets qui presentent les memes caracteristiques, sauf en ce qui concerne la sentence recue.

Aux Etats-Unis, ou la peine a ete adoptee au debut des annees 1970 et ou les objectifs de reinsertion sociale ont ete graduellement abandonnes au profit d'objectifs strictement punitifs (Baumer et Mendelson 1992; Byrne et Pattavina 1992; Renzema 1992; Smith et Akers 1993; Petersen et Palumbo 1997), les quelques etudes repertoriees etablissent que les taux de recidive des sursitaires sont eleves. Par exemple, l'etude comparative de Smith et Akers (1993), realisee en Floride a l'aide d'un devis quasi experimental, a observe que 78,2% des sursitaires avaient recidive (n = 133) dans les 54 mois suivant leur sentence, comparativement a 71,6% des personnes ayant ete incarcerees (n = 149). Les echantillons etaient comparables sur la base de leur histoire criminelle et du type d'offense qui avait provoque leur sentence toutefois, les auteurs n'avaient pu controler la variable >, ce qui peut avoir eu un effet sur les resultats de l'etude.

Neanmoins, quelques annees plus tard, une etude realisee dans l'Etat du Kentucky indique egalement que les sursitaires americains ont des taux de recidive eleves. Un an apres la fin de la peine de sursis (N = 2586), plus de la moitie des sursitaires (57%) avaient ete arretees de nouveau et, apres cinq ans, ce pourcentage etait de 69% (Stanz et Tewksbury 2000). Les auteurs ont observe que les personnes qui risquaient le plus d'etre incarcerees de nouveau etaient celles qui avaient un passe criminel plus lourd, qui avaient commis le plus de manquements (2), etaient les moins agees et etaient d'origine afro-americaine (Stanz et Tewksbury 2000).

Au Canada, les principales donnees sur la recidive ont ete produites au moyen d'enquetes statistiques, mais celles-ci ne presentent pas de donnees pour l'ensemble du pays. Ces enquetes ont revele qu'entre 2003 et 2005, pour les cinq provinces ou des donnees statistiques sont disponibles (Terre-Neuve-et-Labrador, Nouvelle-Ecosse, Nouveau-Brunswick, Saskatchewan et Alberta), le taux de reincarceration dans l'annee qui suit une condamnation est de 31% chez les personnes qui ont ete soumises a une peine d'emprisonnement dans un etablissement correctionnel provincial, comparativement a 11% pour les sursitaires (Barr-Telford 2006; Johnson 2006). Au Quebec, une seule etude a porte specifiquement sur la recidive des sursitaires. Elle indique que les taux de recidive ont varie entre 7,8% et 4,9% pour les annees 1999 a 2002 (Landreville, Lehalle et Charest 2004). Signalons toutefois que la duree des peines pour la population a l'etude variait entre un et vingt-quatre mois et que la peine d'emprisonnement avec sursis etait parfois jumelee a d'autres sanctions penales, ce qui rend difficile l'evaluation de l'effet de la peine de sursis seule.

Compte tenu des grandes disparites legislatives dans la mise en oeuvre des diverses > de sursis, il est tres difficile de comparer les ordonnances de sursis qui misent sur la reinsertion sociale des sursitaires et celles qui se limitent principalement a restreindre leur liberte d'action. Toutefois, la litterature recensee suggere que les...

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