Reflexions autour de la diversite des modes de reception ou d'adaptation du trust dans les pays de droit civil.

AuthorCumyn, Madeleine Cantin
PositionThe Civil Law Trust/La Fiducie en Droit Civil

In the comparative law context, the civil law trust is typically presented as equivalent to its common law counterpart. Yet, the term trust, in civil law, covers a range of legal institutions, each of whose characteristics result from the model upon which it was based, the situations in which it applies, and the legal categorization selected by each country or civilian legal order in which it is adopted. This article gathers various examples of the civil law trust, using the Civil Code of Quebec's concept of the trust as a starting point, and ultimately aims to provide an alternative to other, ill-conceived groupings that too often lead to confusion.

Dans le cadre d'analyses de droit compare, la fiducie est generalement presentee comme l'equivalent civiliste du trust. Le terme fiducie recouvre neanmoins une grande variete d'institutions dont les particularismes decoulent a la fois de leur modele d'inspiration, des applications qui en sont faites et de la categorie juridique retenue pour leur insertion dans chaque pays ou ordre juridique civiliste. Nous proposons ici un regroupement de divers exemples de fiducie en prenant comme point de depart la fiducie du Code civil du Quebec, l'objectif etant notamment de contrer les amalgames facheux qui sont trop souvent une source de confusion.

Introduction I. Les facteurs propices a l'implantation du trust ou a l'admission de la fiducie A. La reception efatrust avant le 20 siecle B. Iji rencontre du trust avec le droit ci\ il au 20 siecle II. Comment definir la fiducie ou comment recevoir le trusten droit civil? A. La fiducie dans le Code civil du Quebec B. La fiducie dans l'Europe civiliste Conclusion Introduction

> (1).

L'integration de la fiducie dans le droit civil du Quebec a titre d'institution analogue au trust est une operation qu'on ne peut pas juger entierement accomplie plus d'un siecle apres avoir ete entreprise. La fiduaie n'est pas encore percue comme faisant veritablement partie du droit commun quebecois de la meme maniere que ses institutions traditionnelles, tels la societe ou le mandat. L'acculturation de l'institution phare du droit anglais a pose ici la double question de son opportunite et des categories juridiques mises en cause, une problematique qui a aussi ete debattue periodiquement en Europe pendant le 20e siecle, mais de maniere plus pressante depuis l'adoption de la Convention relative a la loi applicable au trust et a sa reconnaissance (2). La premiere loi quebecoise sur la fiducie, adoptee en 1879 (3), a donne lieu a une interpretation controversee qui n'a pu etre ecartee sans l'intervention du legislateur a l'occasion de l'adoption du Code civil du Quebec (4). Les dispositions actuelles consacrent le rejet de l'analyse de la fiducie comme un transfert de biens au fiduciaire dont on concluait qu'il devenait le proprietaire, une propriete dite sui generis, puisqu'intrinsequement assortie d'obligations. La fiducie emporte desormais la constitution d'un patrimoine d'affectation et le fiduciaire recoit la qualification d'administrateur du bien d'autrui (5). Le regime de l'administration du bien d'autrui, codifie independamment de celui de la fiducie, gouverne la conduite du fiduciaire, comme celle de tout autre administrateur, et permet d'expliquer en termes de pouvoirs juridiques les prerogatives qu'il exerce sur les biens de la fiducie (6).

Plusieurs pays d'Europe continentale etant aujourd'hui engages dans un processus analogue de reception du trust, il serait naturel de croire a la pertinence de l'experience acquise et des solutions adoptees par le droit quebecois. Pourtant, la fiducie a la quebecoise ne semble pas tres attractive en Europe (7). On sera certes tente d'imputer l'interet mitige a l'endroit de notre fiducie au choix du concept de patrimoine d'affectation sans personnalite juridique pour la definir. En realite, il est douteux que l'elimination de cet irritant, qui resulte de la qualification retenue par le legislateur quebecois, puisse automatiquement rendre le modele quebecois de fiducie plus interessant, vu le contexte substantiellement different entourant la reception de mecanismes fiduciaires en Europe. Pour comprendre la reaction des juristes europeens a l'endroit de notre fiducie, il faut prendre en compte les circonstances dans lesquelles elle se manifeste.

La conception que chaque pays se fait de la fiducie ou du trust est faconnee par des facteurs internes plus ou moins contingents. Ces facteurs tendent a determiner tant les fonctions que la fiducie est appelee a remplir, qu'elle soit derivee ou non du trust, que le choix de la technique juridique susceptible de lui donner effet. Sous ce double rapport, le droit quebecois de la fiducie a evolue selon une trajectoire qui diverge sensiblement de celle dans laquelle les pays europeens se sont engages. Nous entreprendrons d'expliquer cette divergence d'approche en envisageant les raisons qui poussent quelques pays de droit civil a admettre un mecanisme fiduciaire (I), c'est-a-dire le pourquoi d'une fiducie. Nous analyserons ensuite la categorie juridique dans laquelle ce mecanisme tend a s'incarner, en posant la question du type de fiducie.

  1. Les facteurs propices a l'implantation du trust ou a l'admission de la fiducie

    Il n'y a guere besoin d'insister sur l'importance du trust dans la tradition de common law. L'evolution historique du droit anglais a rendu le trust incontournable : il a ete a l'origine de la distinction entre les ordres juridietionnels de la common law et de requity dont la fusion au 19e siecle (8) n'a guere entame le role structurel qu'il remplit. Le trust est une technique juridique omnipresente puisqu'elle se profile notamment sous la distinction entre legal title et equitable title--et les recours rattaches a chacun de ces titres, sous forme de norme de conduite dans la fiduciary obligation, ou encore lorsque les tribunaux imposent un resulting trust pour redresser une situation qu'ils estiment injuste (9). Meme si les pays de droit civil qui s'interessent au trust n'entendent pas en reproduire toutes les manifestations, il est clair que son ubiquite est une source de confusion chez les juristes qui ne sont pas des common lawyers.

    Les applications du trust, ou d'une technique fiduciaire analogue, que des pays de droit civil ont voulu adopter ont varie dans le temps. Nous croyons pouvoir distinguer deux epoques. La premiere se rapporte a la reception du trust anterieure au 20e siecle (A); la seconde s'interesse a la rencontre du trust dans le contexte commercial au 20e siecle (B).

    1. La reception du trust avant le 20 siecle

      Les ordres juridiques civilistes qui ont integre le trust en droit interne au 19e siecle faisaient typiquement partie, au moment de la reception, d'une entite politique plus large, dont la tradition juridique etait de droit anglais. Outre le Quebec, c'est le cas notamment de l'Afrique du Sud et de la Louisiane. Jusqu'au siecle dernier, le trust volontairement cree dans les pays de common law se rencontrait principalement dans le contexte d'une transmission de biens dans la famille (personal trust) ou pour constituer une fondation (charitable trust). On n'y avait guere recours en dehors d'un cadre successoral ou matrimonial (10). Ce sont ces emplois du trust qui ont ete recus au Quebec, en Louisiane et en Afrique du Sud. Ces ordres juridiques devaient tous composer avec la pratique de trusts testamentaires de leurs ressortissants venus du Royaume-Uni. Pour prendre acte de la realite des trusts successoraux appeles a regir des biens situes dans leur ressort, soit on a adopte une loi sur la fiducie (11), soit une jurisprudence s'est etablie pour valider les trusts explicitement etablis dans un acte juridique portant donation ou testament (12). Il importe ici de rappeler que l'adoption d'une loi sur la fiducie pour recevoir le trust au Quebec etait facilitee par l'absence de restrictions importantes a la liberte de disposer de biens a titre gratuit, entre vifs ou a cause de mort (13). Le trust successoral devenu la fiducie a titre gratuit pouvait plus aisement prendre place a cote des autres institutions du droit interne avec lesquelles il partage certains traits, notamment, l'usufruit, la substitution fideicommissaire (14), la tutelle, l'execution testamentaire et le mandat.

      Par ailleurs, l'apparition, de plus en plus frequente au 20e siecle, du trust dans un cadre commercial de droit anglo-americain a entraine un mouvement semblable dans les ordres juridiques civilistes qui avaient anterieurement recu l'institution dans ses applications successorales. Au Quebec, la consecration de la fiducie a titre onereux resulte de la...

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