Les relations fiscales Canada - Nouveau-Brunswick de 1867 a 1917.

AuthorMigneault, Gaetan

Un des motifs importants d'opposition exprimes au Nouveau-Brunswick contre les conditions de la Confederation visait l'insuffisance des transferts federaux offerts. On craignait l'emergence d'une situation financiere eventuellement insoutenable, forcant le recours accru a la taxation directe pour soutenir les activites provinciales. Comme prevu, les recettes publiques provinciales se sont effondrees apres l'Union, puis ont stagne jusqu'au recours a la taxation directe a partir de 1892.

Cet article etablit le lien entre les debats menant a la Confederation et les effets fiscaux de la mise en oeuvre du texte de la Constitution observes au Nouveau-Brunswick. Il demontre la perspicacite des opposants et la justesse de leur crainte.

One of the main reasons invoked in New Brunswick against the terms of Confederation was the insufficiency of the federal transfers offered. There was a fear that an eventual untenable financial situation would force the provinces to resort to direct taxation to support their activities. As anticipated, provincial public revenues crumbled after the union, then stagnated until recourse to direct taxation became inevitable in 1892.

This paper establishes the link between the debates leading to Confederation and the fiscal impact on New Brunswick of implementing the Constitution. It shows the perceptiveness of those opposed to the union and the legitimacy of their fear.

Introduction I. Les conferences constitutionnelles (1864 a 1867) II. A la quete de nouveaux revenus (1867 a 1892) III. Le recours a la taxation (1892 a 1917) Conclusion Introduction

Lorsque les colonies originales acceptaient de se federer pour former le Canada, en 1867, elles effectuaient du meme coup un realignement important des pouvoirs fiscaux. Jusqu'a ce moment, les principales sources de revenus publics etaient les tarifs douaniers a l'importation ou a l'exportation de biens (1). En transferant cette responsabilite au gouvernement central, la Constitution allait ainsi priver les provinces d'une bonne partie des fonds necessaires a leur fonctionnement. En echange, on a resolu d'exiger le paiement d'argent sous differentes formes par l'autorite federale a celles provinciales. Le compromis final comptait une capitation devant se calculer selon le recensement de 1861, un montant fixe selon la taille de l'institution publique locale, puis d'autres sommes pouvant etre redevables selon les circonstances.

Le montant des fonds attribues fut un motif important d'opposition a la Confederation au Nouveau-Brunswick. Avec une population de 252 047 habitants au recensement de 1861 (2), une subvention annuelle fixe a l'infrastructure de 50 000 $, puis un transfert special de 63 000 $ par an pour une decennie, la valeur totale de l'engagement federal en 1868 representait seulement 56,5 pour cent de l'unique revenu douanier preleve par la province au cours des huit mois precedant l'Union (3). A se fier a ces seules ressources, l'appareil public provincial allait effectivement devoir subir une serieuse cure d'amaigrissement. Le Nouveau-Brunswick allait difficilement pouvoir maintenir son niveau de services sans recourir a d'autres sources de financement. De plus, le traitement different des provinces d'origine repose sur une logique difficilement identifiable.

L'objectif du texte est de decrire la reaction des autorites neobrunswickoises aux termes financiers de la Confederation pendant ses premieres cinquante annees. Non seulement la periode permet d'observer la reception qu'ils ont pu avoir dans la region, elle a aussi mene a des ajustements importants dans l'economie des provinces maritimes (4). Les comptes publics permettent d'illustrer le montant des transferts impliques et leur importance relative dans l'ensemble des revenus provinciaux. Afin d'en observer le plein contexte, cet historique est aussi aborde a la lumiere des debats locaux menant a l'Union. Il est alors possible de mieux juger les positions prises par les partis politiques. L'analyse etudie la mesure dans laquelle le gouvernement ayant realise la Confederation a tenu compte des interets de la province en cette matiere. Pour ce faire, une premiere section traite des debats entretenus au Nouveau-Brunswick sur le sujet de l'Union et de ses implications financieres (I). La deuxieme partie etudie la reaction locale a la mise en oeuvre des arrangements fiscaux canadiens (II), suivie de la reponse des autorites provinciales a la nouvelle dynamique constitutionnelle (III).

L'hypothese de depart est qu'en acceptant une structure federale, les parties a l'entente devaient vouloir en preserver la viabilite a plus ou moins long terme. En formulant son premier et plus important projet de societe (5), l'Amerique du Nord britannique n'entendait surement pas le voir disparaitre immediatement. Il faut donc supposer que les mecanismes constitutionnels adoptes devaient assurer la perennite de la Confederation, au moins dans l'esprit de ses auteurs. Personne ne construit un chateau dans l'espoir de le voir s'ecrouler aussitot. Toute action compromettant l'integrite de l'institution telle que concue doit etre percue comme inconsistante avec l'objectif du projet d'union. Le defaut de prevoir des termes adequats a la philosophie du regime peut suggerer deux choses : soit l'intention des auteurs etait differente de celle retrouvee dans le texte, soit ils ont failli a leur tache d'etablir une structure viable. Ce sont les evenements subsequents qui etablissent si les termes ont ete adequats et, sinon, laquelle des defaillances doit etre blamee. Plusieurs etudes se sont attardees aux evenements menant a la Confederation (6); d'autres ont analyse la situation des finances publiques depuis (7); mais peu d'auteurs ont tente d'integrer le discours politique menant a la Confederation a ses effets juridiques et fiscaux sur une province comme le Nouveau-Brunswick.

Cela dit, il importe de preciser davantage la portee de cette etude. L'objectif n'est pas de decrire la situation financiere du Nouveau-Brunswick de 1867 a 1917. Pour mener une telle entreprise, il faudrait etendre l'analyse a l'ensemble des depenses publiques pour les comparer a tous les revenus provinciaux provenant de transferts ou d'autres sources. Bien que les programmes provinciaux dependent en bonne partie du partage des competences legislatives, sous reserve du pouvoir de depenser apparemment non sujet a de telles contraintes (8), ils ne sont pas etablis selon une formule precise dans la Constitution. Celle-ci n'impose pas non plus une collaboration entre les gouvernements du Canada et du Nouveau-Brunswick a cet egard. Par consequent, en s'attardant aux rapports fiscaux entre les gouvernements federal et provincial, le present exercice se limite aux recettes publiques, plus particulierement celles decoulant des subventions prevues au texte constitutionnel, et l'opinion de la region a leur sujet. L'objectif n'est pas non plus d'etudier la position de chaque participant a l'entente pour determiner lequel en a profite davantage, mais de se limiter a la situation telle que vecue au Nouveau-Brunswick. Une analyse comparative procederait forcement sur des bases differentes.

  1. Les conferences constitutionnelles (1864 a 1867)

    Lorsque les Peres de la Confederation se reunirent en 1864 pour fixer les modalites d'une association, ils durent composer avec une multitude d'entites vivant des realites differentes. Sauf pour le Quebec a majorite francophone, les autres colonies partageaient des valeurs surtout britanniques. Malgre cette apparente uniformite, l'idee d'une union etait loin de faire consensus. La dissension ne reposait pas exclusivement sur les facteurs culturels, linguistiques et religieux : les enjeux economiques et fiscaux presentaient autant de problemes, comme ce fut le cas depuis les origines (9). Jusqu'a ce moment, les principaux conflits locaux avaient oppose les autorites coloniales a la metropole dans l'obtention des libertes anglaises les plus prisees. On avait surtout revendique le droit de controler l'administration et les comptes publics (10). L'enjeu des revenus et des depenses publiques representait possiblement le facteur dominant des nombreux debats de l'epoque, dont la question de la representation electorale influencant la composition de la chambre d'assemblee, puis celle de l'attribution des credits budgetaires. Par exemple, par une petition de 1825, le nord-est du Nouveau-Brunswick se plaignait justement de ne pas recevoir > (11). Il s'agissait aussi du fondement de la complainte du Canada-Ouest apres l'augmentation de sa population audessus de celle du Canada-Est : se disant plus nombreux, il revendiquait le principal controle des deniers publics (12).

    Cette dynamique s'est transposee dans les debats menant a l'union des colonies britanniques de l'Amerique du Nord. La question de la representation dans les institutions federales fut au coeur de l'initiative, tout comme celle des pouvoirs fiscaux (13). Notamment, pendant les premieres discussions, les delegues des provinces maritimes percurent le concept de federation comme le pouvoir de depenser tous les revenus preleves sur leur territoire respectif, > (14). Cette approche fut ecartee, car les resolutions de Quebec offrirent a l'autorite centrale les pouvoirs d'imposer et de reglementer les tarifs douaniers (15) (a quelques exceptions pres) et les taxes d'accise (16), en plus de prelever des deniers par tout autre mode de taxation (16 17). En revanche, les provinces obtinrent la seule taxation directe et des tarifs a l'exportation des produits forestiers et miniers (18). Ce transfert de l'autorite fiscale mena, en echange, a l'engagement suivant :

    64. En consideration de la transmission faite a la legislature generale du pouvoir de taxer, les provinces auront droit respectivement a un octroi annuel de 80 centins par chaque tete de la population, d'apres le recensement de 1861. [...] Les provinces ne pourront rien reclamer de plus a l'avenir...

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