Chagnon c. Syndicat de la function publique et parapublique du Québec: Les conséquences de l'arrêt de la Cour suprême du Canada sur le droit relatif au privilège parlementaire.

AuthorDufresne, Philippe

L'arrêt Chagnon c. Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec de la Cour suprême du Canada constitue, en droit canadien, le jalon le plus important relativement au privilège parlementaire depuis l'arrêt Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30. L'arrêt Chagnon apporte des éclaircissements utiles sur la nature fondamentale du privilège parlementaire, la gestion du personnel ainsi que le moment et la façon dont une loi peut démontrer l'intention du Parlement de renoncer à l'application du privilège.

Introduction

L'arrêt Chagnon c. Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (1) de la Cour suprême du Canada, rendu le 6 octobre 2018, constitue en droit canadien le jalon le plus important relativement au privilège parlementaire depuis l'arrêt Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30. À la majorité (six juges majoritaires, un juge ayant des motifs concordants et deux juges dissidents), la Cour suprême a conclu que le congédiement de trois gardiens de sécurité au service de l'Assemblée nationale du Québec n'était pas protégé par le privilège parlementaire et pouvait être contesté devant un arbitre de griefs. Dans l'ensemble, l'arrêt réitère le fait que l'autonomie parlementaire est le grand fondement du privilège parlementaire.

L'arrêt mène à trois grandes conséquences sur la portée du privilège parlementaire au Canada. Premièrement, l'arrêt Chagnon réitère que pour invoquer l'immunité contre une révision externe en application du privilège parlementaire, il faut établir la nécessité de cette immunité, c'est-à-dire démontrer que l'ampleur de la protection revendiquée est nécessaire pour que le Parlement s'acquitte de son rôle fondamental à titre d'assemblée législative et délibérante. Deuxièmement, l'arrêt Chagnon établit clairement qu'à ce jour, la Cour suprême n'a jamais reconnu de privilège relatif à la gestion d'un employé parlementaire. Enfin, l'arrêt confirme que la renonciation à un privilège par la voie d'une mesure législative doit être explicite ou au moins constituer une conséquence inévitable.

Contexte

À Québec, trois gardiens de sécurité de l'Assemblée nationale qui avaient utilisé de façon inappropriée des caméras de surveillance de l'Assemblée pour observer ce qui se passait à l'intérieur de chambres d'un hôtel voisin ont été congédiés par le président de l'Assemblée. Le syndicat des gardiens a contesté leur congédiement en présentant des griefs à un arbitre en droit du travail conformément aux dispositions de la Loi sur l'Assemblée nationale, RLRQ, c. A-23.1 (ci-après la >), qui régit le fonctionnement de l'Assemblée. Le président s'est opposé aux griefs au motif que la décision de congédier les gardiens était à l'abri d'une révision externe, parce que protégée par le privilège parlementaire relatif à la gestion du personnel et par celui d'expulser des étrangers de l'Assemblée.

L'arbitre a conclu que les congédiements n'étaient pas protégés par le privilège parlementaire, et que l'instruction des griefs pouvait avoir lieu. Le président de l'Assemblée a présenté à la Cour supérieure du Québec une demande de contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre. La Cour a accueilli la demande et a conclu que l'arbitre n'avait pas la compétence nécessaire pour trancher les griefs liés au privilège parlementaire.

Le syndicat a interjeté appel à la Cour d'appel du Québec. Celle-ci a accueilli l'appel. Dans une décision majoritaire (deux juges contre un), la Cour a affirmé que le privilège relatif à la gestion du personnel ne s'appliquait pas aux gardiens de sécurité puisque leurs tâches n'étaient pas étroitement reliées aux fonctions délibératives et législatives de l'Assemblée nationale. Elle a conclu qu'il n'était pas nécessaire que le président dispose d'un pouvoir non susceptible de révision à l'égard de la gestion des gardiens pour assurer le bon fonctionnement de l'Assemblée. Le juge Morin, dissident, aurait conclu que le privilège s'applique, car selon lui les gardiens fournissent des services de sécurité de première ligne, sans lesquels l'Assemblée ne pourrait pas s'acquitter de son mandat.

Le président de l'Assemblée a interjeté appel à la Cour suprême du Canada, qui a rejeté le pourvoi et confirmé que l'affaire pouvait être réglée par la présentation de griefs à un arbitre en droit du travail.

Au nom de la majorité, la juge Karakatsanis a rejeté l'argument selon lequel le congédiement des gardiens de sécurité était assujetti à un privilège parlementaire relatif à la gestion du personnel ou au maintien de la sécurité dans l'enceinte de l'Assemblée. Les juges majoritaires ont réaffirmé le rôle important du privilège pour maintenir la séparation des pouvoirs et la capacité des assemblées législatives de s'acquitter de leurs fonctions. Ils ont également reconnu que l'immunité contre une révision externe qu'assure le privilège est une composante importante de notre structure constitutionnelle et du droit qui la régit et ils ont confirmé que l'établissement d'un privilège inhérent exige la démonstration de sa nécessité, et plus particulièrement, de la nécessité de l'immunité revendiquée.

Dans ses motifs concordants, le juge Rowe a souscrit à l'opinion de la majorité selon laquelle les griefs pouvaient suivre leur cours, mais au motif qu'il y avait eu renonciation à tout privilège éventuel par l'adoption de la LAN, qui régit le fonctionnement de l'Assemblée. Cette conclusion a été rejetée tant par les juges majoritaires que par les juges dissidents au motif qu'on ne peut supprimer un privilège que de façon explicite ou par voie de conséquence nécessaire, ce qui n'était pas le cas en l'espèce.

Les juges Côté et Brown, dissidents, auraient jugé que le privilège s'applique à la gestion des employés en cause et qu'il n'a pas été supprimé par l'adoption de la LAN.

Première conséquence : La nature du privilège parlementaire : La nécessité de l'immunité et de l'autonomie

La première conséquence de l'arrêt Chagnon est la reconnaissance que l'immunité contre une révision externe est un élément clé du privilège et de notre droit constitutionnel. Essentiellement, le privilège parlementaire est l'expression de l'autonomie dont le Parlement a besoin pour régir ses propres activités afin qu'il puisse s'acquitter convenablement de ses fonctions constitutionnelles (légiférer, débattre et demander des comptes au gouvernement). La révision externe d'une décision relevant du privilège pose problème, car même si la décision de l'assemblée législative est ensuite maintenue, le fait qu'elle soit révisée et confirmée par un organisme externe amène des conséquences pratiques et symboliques sur la dignité et la capacité de fonctionner de l'assemblée législative (2).

Dans l'arrêt Chagnon, la Cour suprême a confirmé que le privilège parlementaire ne crée pas d'exceptions en droit et constitue plutôt une...

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