Les chocs externes et la gouvernance dans le système de Westminster : le comité multipartite du Cabinet sur le nouveau coronavirus (COVID-19) au N-B.

AuthorLewis, J.P.

Le présent article compare les réponses des gouvernements provinciaux du Canada à la crise sanitaire découlant de la pandémie de COVID-19 survenue en 2020, en mettant l'accent sur la création, en mars 2020, d'un comité multipartite du Cabinet sur le nouveau coronavirus (COVID-19) au Nouveau-Brunswick. Il s'agit d'une mesure unique et en quelque sorte exceptionnelle. L'article aborde les réponses des cabinets provinciaux à la pandémie et s'attarde plus particulièrement à leurs relations avec les partis et chefs de l'opposition. Même si, au Canada, nous nous fondons surtout sur la théorie de Donald Savoie pour comprendre la gouvernance au sein du Cabinet, nous croyons que la centralisation du pouvoir n'est qu'une caractéristique probable, et non la caractéristique dominante, du Cabinet. Compte tenu des conclusions que nous avons tirées de la situation actuelle, nous soutenons que la caractéristique déterminante d'un Cabinet dans les régimes reposant sur le modèle de Westminster est la souplesse de sa méthode et sa capacité d'adaptation. L'article indique en terminant qu'en l'absence d'une étude qualitative, la réponse du Nouveau-Brunswick demeure mystérieuse, car le climat politique qui régnait au sein de la province avant la pandémie indiquait que le contexte à l'Assemblée législative était, à tous les égards, hautement partisan et que le déclenchement d'élections était imminent.

Contexte

L'idée d'un cabinet dynamique et souple, reposant sur le modèle de Westminster, n'est pas nouvelle; les représentations de l'institution définie par ces caractéristiques se retrouvent dans les premières recherches sur les cabinets du Canada. Dans son célèbre ouvrage de 1976, intitulé The Prime Minister and the Cabinet (Le premier ministre et le Cabinet), Bill Matheson a fait valoir que le Cabinet a la capacité d'évoluer (1). Des décennies auparavant, plus précisément en 1946, l'ancien greffier du Conseil privé, Arnold Heeney, avait indiqué qu'au Canada, le Cabinet bénéficie d'une certaine souplesse quant à sa méthode de travail (2). Cette perception du Cabinet, qui était alors vu comme un organe de décision politique dynamique, a été mise de côté; maintenant, l'accent est mis sur la centralisation, qui est perçue comme une caractéristique déterminante de l'institution. Le Cabinet est une organisation hautement malléable et souple; l'évolution de sa gouvernance s'explique par la rencontre du poids de l'histoire, du style politique de chacun et des chocs externes inévitables. Toute tendance relative à la centralisation ou à la décentralisation du pouvoir et à la prise de décisions peut être accélérée, atténuée ou interrompue. Bien entendu, à titre d'acteurs politiques, les premiers ministres jouissent d'un pouvoir inégalé dans le régime de Westminster. Cela dit, ils s'intéressent au Cabinet surtout parce qu'il leur offre la possibilité de procéder à une réforme institutionnelle.

Les universitaires se sont régulièrement penchés sur le style et l'approche des premiers ministres en matière de gouvernance du Cabinet (3), mais peu nombreux sont ceux qui ont poursuivi le travail de feu Christopher Dunn (4) sur l'institutionnalisation du Cabinet et les processus et structures en constante évolution de ses comités. Les cabinets, tant fédéral que provinciaux, comptant de plus en plus de membres, leurs comités sont devenus les principaux organes décisionnels de notre régime et doivent être étudiés de façon plus approfondie (5). Les comités centraux permanents du Cabinet, qui jouent un rôle de premier plan et s'inspirent du modèle du comité des priorités et de la planification de Pierre Trudeau, sont habituellement le point de mire des recherches sur les comités du Cabinet. Cependant, les comités ministériels spéciaux, qui étudient des questions précises d'importance et sont fondés sur le modèle du Cabinet de guerre de Robert Borden, sont devenus un outil de coordination courant pour les premiers ministres. Entre autres exemples contemporains notables sur la scène fédérale, mentionnons le Comité du Cabinet chargé de l'unité canadienne et des négociations constitutionnelles de Brian Mulroney (1991-1993), le Comité du Cabinet sur l'unité nationale de Jean Chrétien (1995) et, plus récemment, le Comité du Cabinet chargé des relations canadoaméricaines de Justin Trudeau. Une caractéristique évidente de ces comités est qu'ils sont composés de membres d'un seul parti. Les cabinets de coalition et les comités du Cabinet qui comprennent des députés de l'opposition se font très rares sur la scène politique canadienne. La Confédération et la Première Guerre mondiale ont été deux périodes notables au cours desquelles des députés de l'opposition ont prêté serment au Conseil privé pour servir au sein du gouvernement. Dans les deux cas, des événements transformateurs ont entraîné un changement radical dans la composition de l'institution. La crise de la COVID-19 a amené une province canadienne, le Nouveau-Brunswick, à conclure une nouvelle entente historique de gouvernance. La section qui suit passe brièvement en revue les réponses des autres provinces du Canada avant d'aborder plus en détail le cas du Nouveau-Brunswick.

Réponse des cabinets du Canada à la pandémie de COVID-19

Au moment où le Canada s'est retrouvé aux prises avec la COVID-19, certaines provinces étaient censées présenter leurs budgets, et rapidement, la plupart des assemblées législatives ont décidé de suspendre leurs séances. Les assemblées législatives et les gouvernements provinciaux ont réagi à cette situation de diverses manières. La plupart des cabinets provinciaux ont maintenu leurs activités courantes pendant la crise de la COVID-19. Certains ont invité des membres de l'opposition à participer à des comités législatifs ou de cabinet multipartites, mais seul le Nouveau-Brunswick a fait prêter serment aux députés de l'opposition afin qu'ils siègent à son comité du Cabinet sur la COVID-19.

Le Québec, la Saskatchewan, l'Ontario et la Nouvelle-Ecosse ont adopté un processus plus convivial, du moins au début de la crise (6). En Alberta et au Manitoba, l'opposition n'a pas témoigné un fort appui au budget, tandis que les gouvernements, eux, n'ont pas réellement cherché à collaborer en vue d'établir une trêve à l'assemblée législative (7). Dans le présent article, nous examinerons de plus près les réponses de la Colombie-Britannique, du Nouveau-Brunswick, de Terre-Neuve-et-Labrador et de l'Île du Prince-Édouard, qui ont toutes des gouvernements minoritaires; un système de gouvernement différent a été établi dans ce contexte au sein de chacune de ces provinces, ce qui indique une certaine souplesse du système de cabinet. Le tableau ci-dessous présente la situation législative et électorale dans chacune de ces provinces :

Le niveau de collaboration dans chacune de ces provinces a été tout aussi imprévisible que la pandémie, en partie en raison des fortes suppositions relatives à la tenue d'élections dans l'est et dans l'ouest du Canada avant la crise de la COVID-19. Sur la côte est, la survie des gouvernements du Nouveau-Brunswick et de Terre-Neuve-et-Labrador a été particulièrement menacée. Dans tous ces cas, la nécessité de gérer la crise de la COVID-19 a permis au gouvernement d'éviter des élections au printemps. L'entente d'approvisionnement et de confiance en Colombie-Britannique et l'entente entre les progressistes-conservateurs au pouvoir et l'Alliance populaire au...

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