Conditions geographiques de mise en liberte et de probation imposees aux manifestants: une atteinte injustifiee aux droits a la liberte d'expression, de reunion pacifique et d'association.

AuthorSylvestre, Marie-Eve

In recent decades, public spaces have become increasingly constrained for protestors and political dissidents. Whether through crowd-control policing techniques, mass arrests, or the enactment of regulations intended to constrain the right to protest, these persons have been captured by the criminal justice system in greater and greater numbers. In this context, conditions of release and probation having geographical effects--such as restrictions on access to certain public spaces, conditions imposing a boundary or a curfew, restrictions on associating with certain groups and persons or restricting participation in public demonstrations or protests--imposed at strategic moments, raise important questions related to freedom of expression, peaceful assembly and association. We note, however, that there have been very few rights-based challenges to these conditions. Using interviews with protesters subject to such conditions in Montreal, Toronto, and Vancouver, along with case-law analysis, we will explore the consequences of these conditions on the right to freedom of expression, peaceful assembly, and association, as well as the obstacles to using constitutional challenges to such conditions. Aside from legal constraints, especially those particular to the practice of criminal law, we suggest that the absence of legal challenges may also be linked to geographical and spatial considerations largely ignored by courts. Supported by a critical geography, we advocate for a greater spatial understanding of freedom of expression and the tools used to repress it.

Au cours des dernieres decennies, les espaces publics se sont refermes sur les manifestants et les dissidents politiques. Que ce soit par des techniques policieres de controle des foules, des arrestations de masse ou par l'adoption de reglements visant a encadrer le droit de manifester, ces personnes sont des plus en plus nombreuses a etre prises en charge par le systeme de justice penale. Dans ce contexte, le recours aux conditions de mise en liberte et de probation ayant des effets geographiques--telles que des conditions de ne pas se trouver dans certains lieux publics, de respecter un certain perimetre ou un couvre-feu, de ne pas s'associer a certains groupes et personnes ou de ne pas participer a un rassemblement public ou une manifestation--, imposees a des moments strategiques, souleve des questions importantes au regard des libertes d'expression, de reunion pacifique et d'association. Or, on constate qu'il n'y a encore que tres peu de contestations de ces conditions. En nous fondant sur un travail de terrain aupres de manifestants assujettis a de telles conditions a Montreal, Toronto et Vancouver et une analyse de la jurisprudence, nous explorons les consequences de ces conditions sur leur droit a la liberte d'expression, de reunion pacifique et d'association ainsi que differents obstacles a la formulation d'arguments constitutionnels. Outre les contraintes juridiques et celles propres a la pratique du droit criminel, nous suggerons que l'absence de contestation peut etre aussi liee a des considerations spatiales et geographiques largement ignorees par les tribunaux. En nous appuyant sur la geographie critique du droit, nous militons en faveur d'une plus grande comprehension spatiale de la liberte d'expression ainsi que des outils utilises pour la reprimer.

Introduction I. Les conditions et leurs consequences sur les droits des manifestants A. Des conditions au coeur de la procedure criminelle B. Une typologie des conditions recensees C. Des consequences devastatrices sur les droits des manifestants 1. Le droit de manifester 2. Les effets des conditions II. Les obstacles a la contestation des conditions A. Un constat : rarete et insucces des contestations B. Un espace judiciaire limite, ou les obstacles juridiques, proceduraux et institutionnels C. Une comprehension limitee de la spatialite des conditions et des libertes fondamentales Conclusion Annexe : Tableau des conditions repertoriees dans nos entretiens Introduction

Les espaces publics ont toujours ete des lieux de tensions et de contradictions. Sites d'emancipation, de participation, d'expression, d'echange et de solidarite, ils sont aussi souvent percus comme etant criminogenes, des espaces de desordre et d'incivilite, voire de danger reel ou anticipe (1). Delaisses par les democrates au profit des ingenieurs civils (2), les espaces publics sont de plus en plus concus non pas pour etre occupes, mais plutot pour que l'on y circule : des lieux de passage entre d'autres lieux juges plus securitaires comme la maison, le bureau ou le centre commercial (3).

Depuis la naissance des mouvements antimondialisation dans les annees 1990 jusqu'aux mouvements sociaux militant en faveur d'une plus grande justice sociale comme le mouvement Occupy et ceux entourant le printemps erable au Quebec, les espaces publics se sont considerablement refermes sur les manifestants et les dissidents politiques (4). Les forces policieres ont multiplie les tactiques de confinement, decoupant l'espace en zones ou il devient interdit de manifester et en zones ou cela est autorise (5); les tactiques d'encerclement, telle la prise de manifestants en souriciere; ou encore de bannissement, comme en font foi les arrestations de masse et l'erection de barricades afin de bloquer l'acces a certains lieux ou certaines personnes. Dans cette foulee, les villes et les provinces ont egalement contribue a mettre sur pied un arsenal legislatif important dans lequel les policiers sont a meme de piger afin de maintenir l'ordre lors d'evenements de masse. Cette panoplie de dispositions peut inclure de nouveaux ou d'anciens, voire de tres anciens (6), textes de loi ou reglements. Ceux-ci peuvent etre generaux, visant par exemple a maintenir la paix et l'ordre dans les espaces publics ou a regir la circulation routiere (7), ou etre plus specifiques, comme ceux qui exigent l'emission de permis et la transmission au prealable d'itineraires, qui visent a limiter le materiel utilise par des manifestants (interdiction de manifester avec des sacs a dos ou d'avoir des bouteilles en verre) ou a interdire le port du masque ou d'autres objets pour se cacher le visage (8).

Ainsi, les manifestants sont de plus en plus nombreux a etre pris en charge par le systeme de justice penale. Or, le role joue par les tribunaux et les acteurs judiciaires dans le deploiement de mesures de controle et de surveillance des espaces publics n'a ete que tres peu explore dans la litte rature (9). Cet article s'inscrit precisement dans le cadre d'un projet de recherche portant sur l'une de ces tactiques judiciaires, soit le recours grandissant aux conditions ayant une dimension geographique imposees lors du processus de mise en liberte ou par le biais d'ordonnances de probation a des personnes marginalisees qui utilisent les espaces publics, ainsi que sur l'impact de ces mesures sur les droits des personnes marginalisees et sur le systeme de justice criminelle (10). Cet article a cependant une portee plus limitee, s'interessant aux conditions imposees a certains manifestants accuses d'avoir commis des infractions criminelles, et ce, a un moment strategique de leur participation a la vie democratique.

Les conditions imposees sont essentiellement des tactiques spatiotemporelles au sens ou l'entendent certains anthropologues et geographes, en ce qu'elles consistent a utiliser l'espace et le temps comme << strategies ou techniques de pouvoir et de controle social >> (11). Certaines de ces conditions comportent un element geographique ou temporel explicite : c'est le cas, par exemple, des conditions interdisant de se trouver dans certains lieux publics precis, tels des parcs, ou des lieux generalement accessibles au public, comme une universite, une bibliotheque ou un supermarche. Il en va de meme des conditions interdisant de se trouver dans un certain perimetre ou un quadrilatere defini ou encore d'un couvre-feu restreignant l'acces aux espaces publics pendant certaines heures. D'autres conditions ont plutot des effets spatiaux et temporels importants : le couvre-feu, par exemple, limite aussi la distance qui peut etre parcourue par une personne dans une meme journee; les conditions de ne pas s'associer ou de ne pas communiquer avec certains groupes et personnes ont pour effet de limiter l'acces a certains lieux communs ou partages; et les conditions de ne pas participer a un rassemblement public ou une manifestation limitent quant a elles non seulement le type d'activites que l'on peut exercer dans les espaces publics, mais aussi l'acces a ceux-ci a certains moments precis.

L'utilisation de ces conditions a l'encontre de manifestants et de dissidents politiques souleve plusieurs questions juridiques importantes, notamment en ce qui concerne leur raisonnabilite ainsi que leur incidence sur les droits fondamentaux (12). C'est particulierement le cas des droits a la liberte d'expression, de reunion pacifique et d'association. Or, force est de constater que ces conditions ne font qu'exceptionnellement l'objet de contestations. Dans les rares cas ou des manifestants ont avance des arguments juridiques ou constitutionnels, ces tentatives se sont soldees par des resultats plutot mitiges.

Dans cet article, nous desirons explorer les consequences de ces conditions sur les droits a la liberte d'expression, de reunion pacifique et d'association, ainsi que certains obstacles a la formulation d'arguments relatifs a la violation de ces libertes. La rarete et l'insucces des contestations s'expliquent certainement par des contraintes juridiques et des exigences propres a la nature et a la pratique du droit criminel. Nous suggerons cependant qu'elles relevent egalement, voire principalement, de l'absence de consideration par les acteurs judiciaires du contexte sociogeographique entourant l'imposition de certaines de ces conditions ainsi que de leurs effets cumulatifs dans le temps...

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