Les conséquences de la pandémie de COVID-19 pour le personnel politique parlementaire.

AuthorWilson, R. Paul
PositionArticle vedette

À l'instar de bien d'autres Canadiens, le personnel politique travaillant pour des députés et des sénateurs sur la Colline du Parlement et dans les bureaux de circonscription a dû s'adapter à des changements abrupts sur le plan professionnel au cours des premiers mois de la pandémie mondiale. Dans le présent article, l'auteur rend compte d'un sondage réalisé auprès de 175 de ces employés politiques et d'entrevues réalisées avec 10 employés de députés (représentant tous les partis politiques officiellement reconnus à la Chambre des communes) et un(e) adjoint(e) de sénateur(trice). Il indique que de nombreux employés ont signalé avoir travaillé de plus longues heures, eu des difficultés à concilier le travail et la vie personnelle lorsqu'ils étaient en télétravail, ressenti de la frustration en raison du manque d'information sur les programmes gouvernementaux liés à la pandémie et éprouvé du stress en raison de l'isolement et de leurs inquiétudes quant à leur santé et leur sécurité lorsqu'ils travaillaient au bureau. L'auteur conclut d'abord en réitérant le rôle prépondérant des employés politiques, en particulier le personnel de première ligne dans les bureaux de circonscription, qui aident les Canadiens à se retrouver dans les dédales de la bureaucratie fédérale, puis en prévenant les partis et l'administration parlementaire qu'il serait bon d'offrir du counseling et des services aux employés politiques pour atténuer les conséquences néfastes de cette période sans précédent.

Introduction

À la mimars 2020, la pandémie de COVID-19 qui commençait à se propager dans le monde entier a radicalement changé la façon de travailler des parlementaires canadiens, tant sur la Colline qu'en circonscription. Jusqu'au discours du Trône de septembre, la Chambre des communes ne s'est réunie qu'occasionnellement et, du consentement des partis, avec un nombre réduit de députés; le programme législatif normal du gouvernement a été interrompu; les comités permanents qui se sont réunis l'ont fait virtuellement; et, enfin, les restrictions concernant les déplacements, les ordonnances de confinement et les mesures de distanciation physique ont considérablement restreint la présence des députés à Ottawa ainsi que tout contact direct avec leurs concitoyens. Bref, le monde parlementaire tel que nous le connaissons a été complètement bouleversé.

Il en est allé de même pour le personnel politique dans les bureaux de députéet de sénateur, qui appuie tous les aspects des activités de leur patron, au bureau de circonscription des députés ou sur la Colline. Comme le montre la figure 1, 61 % des employés des députés et des sénateurs ayant répondu au sondage ont affirmé que beaucoup d'aspects de leur travail ont changé depuis le début de la pandémie, et 9 % encore ont affirmé que leur travail était totalement différent. Étant donné les changements notables qui ont été apportés à mesure que les Canadiens réagissaient à la pandémie, ces résultats n'ont rien d'étonnant. Mais en quoi, exactement, le travail du personnel politique atil changé? Le présent article explore, à partir des entrevues et du sondage menés à l'été 2020 (1), en quoi la pandémie a modifié le contexte de travail et les attributions du personnel politique au printemps et à l'été 2020. Il révèle que, de façon générale, les employés politiques--mais davantage ceux travaillant pour des députés que des sénateurs--ont fait de plus longues heures et vécu plus de stress pendant qu'ils s'efforçaient de répondre aux demandes croissantes d'information et d'aide de la part de la population. Si de nombreux employés se sont adaptés au télétravail, beaucoup ont continué de se rendre à leur bureau habituel. Ils ne l'ont pas tous fait par choix et ne se sont pas tous sentis en sécurité. Cette réalité témoigne des différentes conditions de travail entre les employés et fait ressortir la nécessité de porter une attention constante à la culture du personnel parlementaire, y compris à ses répercussions sur son bienêtre psychologique.

Le personnel politique parlementaire en contexte normal : un aperçu

Contrairement aux conseillers politiques ministériels, à qui l'on verse de plus en plus souvent de bourses (2), le personnel politique qui travaille dans le contexte parlementaire et dans les bureaux de député et de sénateur reçoit rarement des bourses d'études ciblées, à quelques exceptions près. Daniel Dickien, luimême employé politique, fait quelques observations sur le rôle des adjoints de député sur la Colline, alors que Peter MacLeod explore le travail du personnel politique dans les bureaux de circonscription. L'étude de Royce Koop, Heather Bastedo et Kelly Blidook sur les députés canadiens dans leur circonscription n'examine qu'indirectement le personnel politique, mais souligne certains aspects de leur rôle comme facilitateurs et même délégués de leur député (3). Enfin, certaines études commencent à se pencher sur le profil et le travail du personnel parlementaire sous l'angle de l'égalité entre les sexes (4).

La rareté des études sur la question est étonnante, car les adjoints parlementaires sont, et de loin, les plus nombreux parmi les employés du personnel politique à Ottawa. Comme on peut le voir dans le tableau 1, près de 2 000 employés politiques sont rémunérés à même les fonds publics et travaillent dans les bureaux des 338 députés et 105 sénateurs pour appuyer le travail politique de ces derniers (mais pas le parti ou le travail électoral directement). Si on compte le personnel politique qui travaille dans les bureaux des dirigeants des partis d'opposition et les bureaux de recherche des caucus (5), les employés politiques des parlementaires sont trois fois plus nombreux que les conseillers politiques ministériels, y compris ceux qui travaillent au Cabinet du premier ministre (6).

Les députés rémunèrent leur personnel à même leur budget de bureau, qui, pour l'exercice financier 2020-2021, est établi à 370 500 $ par député (7). Certains députés sont admissibles à des allocations supplémentaires selon la taille et le nombre d'habitants de leur circonscription. Ce budget doit couvrir non seulement les coûts liés au salaire du personnel, mais également la plupart des dépenses de bureau : loyer, frais d'accueil et certains déplacements (pas tous). Dans ces limites budgétaires, les députés ont presque toute la latitude voulue pour embaucher du personnel selon leur bon jugement et s'acquitter de leurs fonctions parlementaires, à l'exception de la limite sur le salaire annuel par employé, qui est de 89 700 $ (8). Les députés, pour leur part, néo démocrates s'engagent à embaucher du personnel politique membre de la section locale 232 des Travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce (9); ainsi, les conditions d'emploi de leur personnel sont assujetties à la convention collective négociée ainsi qu'aux règles budgétaires de la Chambre des communes.

Le choix stratégique qui revient aux députés est principalement la façon de répartir leur budget entre leur bureau sur la Colline et celui de leur circonscription électorale. Invariablement ou presque, les députés embauchent du personnel permanent à leurs deux bureaux. Habituellement, le personnel sur la Colline effectue le travail qui a trait aux mesures législatives et aux lobbyistes, aux comités, aux budgets et à l'établissement du calendrier, lequel peut aussi se faire dans la circonscription. Quant aux employés du bureau de circonscription, ce sont eux qui habituellement répondent aux demandes des électeurs et aident le député à organiser ses activités locales. Les tâches liées à la communication, surtout la rédaction de discours, la gestion des sites Web et des médias sociaux, l'élaboration des produits comme les bulletins parlementaires et les dix-pour-cent ainsi que les relations avec les médias peuvent se faire de l'un ou l'autre bureau, mais se font souvent du bureau d'Ottawa pour les médias nationaux et du bureau de circonscription pour les médias locaux. Toutefois, une catégorisation stricte est impossible, puisque les députés ont des priorités différentes et attribuent donc leurs ressources différemment entre leurs bureaux.

Le tableau 2 montre la distribution totale du personnel politique par bureau et par parti selon les listes des SAGE des employés de bureaux de député en juin 2020. En moyenne, chaque député emploie 5,2 employés et plus de deux fois plus dans chaque bureau de circonscription (3,6) que sur la Colline (1,6). Les députés conservateurs affectent un peu plus de personnel politique sur la Colline (2,2 par bureau) que les autres partis, alors que les députés libéraux et bloquistes emploient en moyenne plus de personnel dans chaque bureau de circonscription.

Les écarts entre les hommes et les femmes dans la distribution du personnel entre les circonscriptions et la Colline sont bien établis (11). En juin 2020, presque les deux tiers (66 %) du personnel de circonscription étaient des femmes. Ces dernières formaient 70 % du personnel de circonscription du Parti conservateur du Canada (PCC), mais seulement 56 % de celui du Bloc québécois (BQ).

Par comparaison, plus de la moitié (55 %) des employés sur la Colline étaient des hommes, allant de 52 % pour le personnel des députés libéraux à 79 % pour celui des bloquistes. Ces écarts entre les sexes, en particulier la forte présence de femmes au sein des bureaux de circonscription, se sont avérés très importants pendant la pandémie. Les sénateurs emploient eux aussi du personnel politique dans leur bureau. Même au sein de la nouvelle Chambre non partisane (ou presque), les sénateurs ont besoin d'employés pour offrir plus ou moins les mêmes services que les députés, mais sans le travail direct dans la circonscription. Au 24 juin 2020, on comptait 219 employés politiques au total dans la page Web du Sénat sur les coordonnées des sénateurs. La plupart des sénateurs ont deux ou trois employés, mais le Président, le représentant du gouvernement et...

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