Constitutionnalite de dispositions conferant un statut, des privileges et des droits a une langue minoritaire: le cas singulier du nunavut et de sa loi sur la protection de la langue inuit.

AuthorRobinson, Julie
PositionIntroduction through II. Le pouvoir de legiferer par rapport a la langue, p. 519- 544

The Inuit Language Protection Act (ILPA) is a recent Nunavut statute. The only one of its kind in Canada, it is even more ambitions than Quebec's Charter of the French Language. A controversial statute, some question whether the legislator has exceeded its competence in adopting certain of its provisions. Indeed, section 3 of the ILPA aims to require federal departments, agencies, or institutions operating in Nunavut to provide public services and to display signs in the Inuit language, even when these organizations are acting within an area of federal legislative competence. Sections 29, 30, and 34 of the ILPA provide for the mandatory preparation of an Inuit Language Plan, detailing how an organization will comply with the legislation. The languages commissioner, who possesses broad powers of investigation in order to ensure compliance with the legislation. must approve this plan. At first glance, these sections seem to contradict the established rule that a government can legislate with respect to language provided that this legislation is ancillary to its own areas of competence. This rule derives from certain particularities of the Constitution Act, 1867. However, further analysis leads to the conclusion that this conceptual framework does not apply to Nunavut. The latter holds the power to require, on its territory, the use of the Inuit language by federal departments, agencies, and institutions.

La Loi sur la protection de la langue inuit (LPLI) est une loi recente du Nunavut. Unique en son genre au Canada, elle est plus ambitieuse encore que la Charte de la langue francaise du Quebec. Loi controversee, certains se demandent si le legislateur n'aurait pas outrepasse ses pouvoirs en adoptant certaines de ses dispositions. En effet, l'article 3 de la LPLI pretend obliger les ministeres, organismes ou institutions du gouvernement federal operant au Nunavut a fournir leurs services destines au public et a afficher leurs panneaux en langue inuit, alors meme que ces organisations agissent a l'interieur d'un champ de competence federale. Les articles 29, 30 et 34 de la LPLI rendent obligatoire la preparation d'un plan d'action pour la langue inuit precisant la maniere dont une organisation entend respecter la loi. Ce plan doit etre approuve par le commissaire aux langues, qui dispose d'un important pouvoir d'enquete relativement au respect de la loi. Au premier abord, ces dispositions semblent contredire la regle aujourd'hui acceptee selon laquelle un ordre de gouvernement peut legiferer en matiere de langue dans la mesure oU il le fait de maniere accessoire a un champ de competence qui lui est propre. Cette norme tire sa force de certaines particularites de la Loi constitutionnelle de 1867. Toutefois, apres analyse, il appert que ce cadre conceptuel ne s'applique pas au Nunavut. Ce dernier detient bel et bien le pouvoir d'imposer sur son territoire l'utilisation de la langue inuit aux ministeres, organismes et institutions du gouvernement federal.

Introduction I. Mise en contexte A. Bref historique des lois linguistiques au Nunavut B. Survol de 1,7 LPLI C. L'article 3 de la LPLI et les obligations des > II. Le pouvoir de legiferer par rapport a la langue A. La concepatualisation traditionnelle du pouvoir de legiferer par rappozt a la langue 1. Le partage des competences en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867 2. Le cas des municipalites B. Le cas du Nunavut : pourquoi le cadre conceptuel traditionnel (hz pouvoir de legiferer en matiere de langue comme etant accessoire a un champ de competence ne s'y applique pas III Interpretation des dispositions pertinentes de la LPLI A. Principes d'interpretation B. Anlyse de la LPLI a l'aide des principes d'interpretation legislative C. Analyse des textes conferant certains pouvoirs au Nunavut 1. La Loi sur le Nunavut 2. L 'Accord sur des revendications territoriales conclu entre les Inuit de la region du Nunavut et Sa Majeste la Reine du chef du Canada IV. Limites au vaste pouvoir du Nunavut de legiferer en matiere de langue A. Les limites contenues dans la Loi sur le Nunavut elle-meme B. L'argument de la liberte d'expresszon Conclusion Introduction [TEXT NOT REPRODUCIBLE IN ASCII]

La Loi sur la protection de la langue inuit (1) (LPLI) est une loi du Nunavut entree en vigueur en 2008. Elle vise a proteger et a promouvoir la langue inuit' (2), notamment en multipliant les occasions pour ses locuteurs de communiquer et de recevoir des services dans cette langue. La LPLI fait de la langue inuit l'une des langues d'affichage ainsi qu'une langue de travail au Nunavut. Les raisons identitaires et culturelles de proceder a un tel virage (3) sont soulignees dans son preambule. De plus, d'importants impacts socioeconomiques resultant de la revitalisation et de la generalisation de l'usage de la langue sont egalement escomptes (4), par exemple, en permettant aux Inuit de participer de maniere plus entiere au marche de l'emploi ainsi qu'a la vie economique en general (5).

Toutefois, les moyens privilegies par le legislateur afin d'atteindre ces objectifs de revitalisation et de rehabilitation de la langue inuit sont controverses. Certains croient que celui-ci a outrepasse ses pouvoirs en adoptant quelques-uns des articles de la LPLI (6). La question s'etait d'ailleurs posee serieusement lors de l'important colloque sur les langues au Nunavut en 2010 (7). Le probleme s'articule notamment autour du fait que la LPLI impose des obligations linguistiques aux " ministere[s], organisme[s] ou institution[si du gouvernement federal " (8), qui sont tenus d'afficher dans la langue inuit les enseignes et panneaux publics de maniere au moins aussi evidente que dans les autres langues (9). Elle impose egalement a ces memes " ministere[s], organisme[s] ou institution[s] du gouvernement federal " d'offrir en langue inuit les services d'accueil destines au > (10).

Au Canada, le pouvoir de legiferer relativement au statut, aux droits et aux privileges d'une langue est normalement accessoire a un champ de competence octroye par la Loi constitutionnelle de 1867 (11). Par exemple, le legislateur quebecois a pu, en adoptant la Charte de la langue francaise (12), imposer le francais comme langue de travail dans tous les domaines qui relevent du commerce a l'interieur de la province de Quebec, un champ de competence provincial en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867 (13). Les tribunaux considerent qu'une telle loi d'ordre linguistique reglemente un aspect du commerce a l'interieur de la province (14). A l'inverse, le Quebec ne peut pas pretendre assujettir les compagnies de chemins de fer a la Charte de la langue francaise puisque celles-ci relevent de la juridiction federale (15).

La situation au Nunavut est differente. Nous avancons qu'il est loisible a l'Assemblee legislative du Nunavut de faire de la langue inuit l'une des langues officielles du Nunavut et, ce faisant, d'imposer aux institutions federales presentes dans le territoire de communiquer et d'offrir des services en langue inuit. Selon nous, l'article 3 de la LPLI--par lequel l'Assemblee legislative du Nunavut exige, entre autres, que les services destines au > soient offerts en langue inuit par les institutions federales--est valide et le Nunavut detient un pouvoir tout a fait unique de legiferer en matiere de langue sur son territoire. Ce pouvoir comporte evidemment des limites, mais demeure neanmoins plus vaste que celui de toute autre assemblee deliberative au Canada.

Apres une breve mis.e en contexte et une presentation plus approfondie des differentes dispositions et des mecanismes de fonctionnement de la LPLI, nous expliquons la maniere usuelle de conceptualiser le pouvoir de legiferer relativement au statut, aux droits et aux privileges d'une langue. Nous analysons ensuite les principes qui sous-tendent cette approche et nous montrons que ceux-ci ne sont pas applicables a la situation du Nunavut. Pour y arriver, nous etudions les textes conferant des pouvoirs au Nunavut ainsi que le contexte et les raisons ayant mene a leur adoption. Finalement, apres avoir demontre l'existence de ce large pouvoir du Nunavut, nous tentons d'en circonscrire les limites.

Cet article se limite a l'analyse de la decision du legislateur d'imposer au gouvernement federal des obligations en matiere de services et de communications dans tous les secteurs d'activite sur le territoire du Nunavut. Aucune decision judiciaire interpretant la LPLI et publiee dans un recueil de jurisprudence n'a ete rendue jusqu'ici. Par contre, quelques decisions judiciaires ont deja aborde la question de savoir si des organismes federaux peuvent etre assujettis a la legislation linguistique provinciale. Par exemple (16) dans l'affaire Societe des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick Inc. c. Canada (17), la Cour a determine que les membres de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) designes comme agents de la paix provinciaux en vertu d'une entente entre le Canada et le NouveauBrunswick sont tenus de respecter les obligations linguistiques imposees aux institutions du gouvernement du Nouveau-Brunswick par le paragraphe 20(2) de la Charte canadienne des droits et libertes (18)(la Charte canadienne). Ces obligations sont plus contraignantes que celles incombant au gouvernement federal en vertu du paragraphe 20(1) de la Charte canadienne. Dans une telle situation, la GRC > (19). Pour cette raison et seulement lorsqu'elle joue un tel role, la GRC est assujettie au paragraphe 20(2) de la Charte canadienne. La decision Societe des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick Inc. c. Canada se distingue donc du cas du Nunavut puisque celui-ci assujettit a la LPLI les institutions federales alors meme qu'elles agissent en tant qu'institutions federales distinctes.

Quant a la doctrine, bien qu'elle se soit penchee sur les droits linguistiques des peuples autochtones (20), elle s'est assez peu preoccupee du statut de la langue inuit en particulier (21) Il...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT