Un senat reforme pour contrebalancer le pouvoir du premier ministre.

AuthorSotiropoulos, Evan

L'un des problèmes de la démocratie parlementaire canadienne réside dans la concentration du pouvoir entre les mains du premier ministre et dans l'emprise dø Cabinet du premier ministre (CPM) sur le Parlement. Le présent article recense quelques-unes des raisons à l'origine de la faiblesse de la Chambre des communes face au premier ministre, puis s'attarde au rôle de contrepoids que pourrait jouer un sénat réformé dans un système oø le premier ministre a réussi à damer le pion à l'exécutif.

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Dans une démocratie représentative, les citoyens élisent des > qui, en théorie, se réunissent dans un même lieu pour effectivement débattre des politiques gouvernementales. Même s'il n'est pas rare que l'exercice de la politique soit déconnecté de la théorie, l'actuel fossé entre les deux devrait inquiéter l'ensemble des Canadiens. Les élections nationales étant de plus en plus axées sur la personnalité des chefs de partis, la plupart des candidats subordonnent leurs aspirations politiques à celles de leur parti dans l'espoir de se faire élire au Parlement. Lorsque les fauteuils verts sont attribués à Ottawa, on s'attend donc à ce que--suivant la théorie de l'ex-premier ministre Brian Mulroney--leurs occupants >. La pratique britannique des 20 dernières années témoigne d'un déclin constant de la discipline de parti, au point que même le gouvernement conservateur majoritaire des années 1980 a essuyé plusieurs défaites législatives (1). À l'opposé, la rigueur de la discipline de parti au Canada comporte de nombreux effets néfastes, notamment en nuisant à la capacité d'écoute des élus (2). Comme la dissension est déconseillée et que les politiciens aux fortes ambitions forment habituellement une équipe homogène, le centre peut exercer énormément d'influence sur les députés d'arrière-ban. Par tradition, la solidarité au sein du Cabinet et la discipline de parti font partie intégrante des démocraties parlementaires de type britannique, mais la tradition doit-elle servir de prétexte pour restreindre le débat et empêcher les élus de remettre en question certaines conclusions et même de participer aux décisions?

Il est consternant pour les députés de constater que > (3).

Les gouvernements libéraux--notamment les trois dirigés par Jean Chrétien--ont souvent réduit les députés d'arrière-ban au silence en faisant de différents projets de loi non financiers des questions de confiance. Le chaud débat au sujet de la limitation de l'indemnisation à verser aux victimes de l'hépatite C illustre bien l'emprise du whip de parti. Sentant le vent souffler de son côté, le Parti réformiste avait présenté une motion pour obliger le gouvernement à indemniser toutes les victimes; contre toute attente, Chrétien déclara que la motion en était une de confiance, malgré le fait qu'il n'était nulle part question, dans son libellé, de désavouer le gouvernement (4). De surcroît, alors que son mandat tirait à sa fin, le premier ministre a décrété que le projet de loi-cadre visant à modifier la Loi électorale du Canada serait considéré comme une question de confiance, ce qui constitue un autre recours extrême à la discipline de parti. Malgré quelques tentatives pour institutionnaliser le vote de parti selon le modèle britannique (trois catégories de votes), Paul Martin ordonna à de nombreux députés de son caucus de suivre la ligne de parti sur des questions d'ordre moral, comme lors du vote sur le mariage homosexuel. Pendant son court mandat comme premier ministre, il a fait très peu pour rendre le système moins tributaire du degré d'accès au centre de décision politique ou des >.

Dans un système parlementaire, il est essentiel que le parti au pouvoir conserve la confiance de la Chambre. Étant donné que les députés votent habituellement suivant les directives de leur parti, cette pierre angulaire de la démocratie canadienne est constamment renforcée. Grâce à l'appui constant de ses députés, le gouvernement peut diriger les affaires de l'État sans être trop inquiété. Du côté de l'opposition, un caucus discipliné permet d'offrir une solution de rechange unie et cohérente au public. La question à résoudre est la suivante : est-il possible d'assouplir la discipline de parti tout en permettant an premier ministre de gouverner efficacement et en respectant la notion de gouvernement responsable? L'usage britannique > (5). Privés de-pouvoirs réels, les députés ministériels d'arrière-ban n'ont d'autre choix que de simplement chercher à influencer la prise de décisions, car la discipline de parti les prive de leur seul véritable moyen de pression -- voter contre le gouvernement. Leur capacité de garder l'appareil exécutif à l'oeil s'en trouve, du même coup, réduite. Déçus par leur impuissance à influencer l'élaboration des politiques, bien des députés fédéraux voient la Chambre des communes comme une brève escale au cours d'une longue carrière.

Le député de passage

Le fort taux de roulement chez les députés empêche la création d'une mémoire institutionnelle, condition essentielle pour pouvoir surveiller adéquatement et, au besoin, réfréner les mesures gouvernementales. Beaucoup pensent que > (6). De nos jours, la plupart des électeurs n'envoient pas à Ottawa des spécialistes, mais plutôt des généralistes qui n'ont ni les compétences ni l'expérience nécessaires pour s'acquitter des fonctions d'un parlementaire. Nous en avons d'ailleurs une confirmation dans la façon dont est perçu le rôle des députés dans le processus décisionnel. En effet, dans un sondage réalisé par le Forum des politiques publiques en octobre 2000, au-delà de 500 hauts fonctionnaires fédéraux ont classé les députés de la Chambre des communes à l'avant-dernier rang pour ce qui est de la capacité d'influencer les politiques (7). Il y a des décennies, Norman Ward soutenait déjà que > (8).

L'élection charnière de 1993 et la 35e législature qui en a résulté font ressortir le problème du député de passage. Après l'effondrement du Parti progressiste-conservateur (PC), Jean Chrétien et les membres de son cabinet étaient à peu près les seuls députés à avoir une véritable expérience de la Chambre. Les membres de l'exécutif, notamment les grosses pointures comme Herb Gray et Lloyd Axworthy, comptaient, en moyenne, huit ans d'expérience parlementaire fédérale, soit l'équivalent de deux mandats complets, tandis que les députés de l'opposition avaient à peine un an d'expérience à leur actif (9). Bref, >. La structure complexe de l'État et les nombreuses subtilités du fonctionnement quotidien de la Chambre exigent en effet qu'on s'appuie sur une longue expérience pour obliger efficacement le gouvernement à rendre des comptes. L'actuelle 39e législature est constituée, en grande partie, de parlementaires nçophytes : en effet, plus d'un cinquième des députés comptent moins de deux ans d'expérience, et environ la moitié d'entre eux possèdent environ trois ans d'expérience.

En Grande-Bretagne, comme la plupart des députés nouvellement élus au Parlement ne sont jamais nommés au Cabinet, beaucoup d'entre eux -- plutôt que de convoiter un portefeuille ministériel -- deviennent d'efficaces membres de comités et de dynamiques représentants de leur circonscription. La réalité politique de l'autre côté de l'Atlantique laisse aux élus de nombreuses années pour...

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