Propositions de depenses : quand faut-il une recommandation royale?

AuthorLukyniuk, Michael

Dans le système parlementaire de gouvernement du Canada, la Couronne (c.-à-d. l'éxécutif) est seule responsable de la gestion des fonds publics, et elle seule peut être à l'origine d'une demande à la Chambre des communes pour des dépenses, des taxes ou des impôts nouveaux ou toute hausse d'impôt, de taxe ou de dépense. C'ést ce qu'on appelle >, qui est prévue à l'article 54 de la Loi constitutionnelle de 1867. L'article 53 de cette loi énonce aussi que tout projet de loi ayant pour but l'affectation d'une portion quelconque du revenu public ou la création de taxes ou d'impôts doit prendre naissance à la Chambre des communes. À première vue, il peut sembler relativement simple de déterminer si des dépenses, une taxe ou un impôt sont envisagés. Toutefois, la Chambre est souvent saisie de demandes complexes et créatives susceptibles de nécessiter une autorisation de dépenser ou de percevoir une taxe ou un impôt. Quand un rappel au Règlement est soulevé relativement à la violation de la prérogative financière de la Couronne, la présidence doit examiner de près le projet de loi ou l'amendement afin de se prononcer sur sa recevabilité. Dans le présent article, l'auteur examine quelque 80 décisions qui ont été rendues depuis 1969 et qui traitent des initiatives en matière de dépenses et de la nécessité d'une recommandation royale.

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Au cours des 40 dernières années, la prérogative financière de la Couronne .a suscité un vif intérêt, notamment en ce qui concerne les dépenses. De temps à autre, la présidence de la Chambre des communes a été appelée à déterminer si des projets de loi ou des amendements proposés à des projets de loi renfermaient des propositions de dépenses. Si c'était le cas et que la mesure n'était pas recommandée par la Couronne, le processus s'arrêtait là puisque, selon la Constitution, seule la Couronne peut prendre l'initiative des dépenses publiques.

La présidence ne rend pas de décisions sur des questions constitutionnelles, mais le paragraphe 79(1) du Règlement reprend le libellé de la Loi constitutionnelle et autorise la présidence à veiller à ce que la Chambre des communes n'adopte aucun projet de loi comportant des affectations de crédits à moins que l'objet du projet de loi n'ait >. Par conséquent, la présidence de la Chambre des communes a un rôle crucial à jouer sur le plan de la procédure en déterminant si une mesure empiète sur la prérogative financière de la Couronne.

L'instrument qui signale le souhait de la Couronne de prendre l'initiative de dépenses s'appelle >. Celle-ci est faite par le gouverneur général sur demande du Cabinet pour la présentation d'une mesure législative requérant l'autorisation du Parlement relativement à des dépenses. La recommandation royale est annexée au projet de loi (ou à la proposition d'amendement d'un projet de loi) et imprimée dans les Journaux et le Feuilleton des avis de la Chambre des communes. Le libellé actuel de la recommandation royale se lit comme suit :

>

Il convient de souligner que la recommandation royale ne s'applique qu'aux >-- le retrait de deniers publics du Trésor (1). Elle ne concerne pas le prélèvement d'impôts sur le revenu des particuliers et des sociétés -- la façon dont les recettes publiques sont recueillies et versées au Trésor (c'est ce que l'on appelle le processus des voies et moyens, du point de vue de la procédure). Elle ne s'applique pas non plus à la gestion budgétaire -- la situation excédentaire ou déficitaire du Trésor public (2).

Lorsque la Couronne lui présente une demande de dépense, la Chambre examine la proposition et peut prendre l'une des trois mesures suivantes : elle peut accéder à la demande; elle peut réduire le montant de la dépense; enfin, elle peut rejeter carrément la demande. Cependant, la Chambre ne peut pas accroître le montant de la dépense proposée par la Couronne. Si elle le faisait, elle empiéterait sur la prérogative financière de la Couronne.

Les demandes de dépense peuvent prendre essentiellement deux formes : elles peuvent être présentées à titre de demandes législatives de > ou de >. Une recommandation royale est nécessaire dans les deux cas (3).

Normalement, les projets de loi ministériels requérant une autorisation de dépenser sont accompagnés d'une recommandation royale au moment de leur présentation. Si un amendement proposé à un projet de loi vise à accroître les dépenses plus tard à l'étape du rapport, il doit être accompagné d'une autre recommandation royale. Cela s'applique aux amendements proposés par un ministre ou un député de l'opposition. Si un amendement suggéré à un projet de loi à l'étape du rapport nécessite une recommandation royale et qu'il n'en est pas accompagné, la présidence n'appellera pas l'amendement pour qu'il soit débattu ou mis aux voix, conformément au paragraphe 79(1). (Dans les comités, les présidents considéreront ces amendements comme étant irrecevables, puisqu'il n'existe aucun mécanisme permettant de demander une recommandation royale durant l'étude article par article des projets de loi par les comités.) Rappelons aussi que, si un amendement à un projet de loi vise à rétablir une disposition relative à une dépense qu'un projet de loi propose de supprimer de la loi en vigueur, aucune recommandation n'est alors nécessaire, puisque les dispositions de la loi en vigueur resteraient inchangées.

Une procédure spéciale a été adoptée en ce qui concerne les initiatives parlementaires. Les projets de loi d'initiative parlementaire qui prévoient des dépenses peuvent être présentés, débattus et étudiés sans avoir au préalable fait l'objet d'une recommandation royale, et ce, jusqu'à la troisième lecture (4). Si, à cette étape, le projet de loi n'a pas encore obtenu la recommandation royale, la présidence peut décider de ne pas mettre aux voix le projet de loi, ce qui entraîne la mort de celui-ci au Feuilleton. La prérogative financière de la Couronne se trouve ainsi respectée.

On voit donc que la poursuite de l'étude d'une initiative repose essentiellement sur la décision que prend la présidence sur la question de savoir si elle comporte des dépenses. Afin de traiter chaque cas de manière uniforme et objective, la présidence se guide sur deux principes fondamentaux : on ne peut élargir la portée d'une recommandation royale et toute nouvelle demande distincte de dépense doit être accompagnée d'une telle recommandation.

Conditions : La recommandation royale stipule que toute affectation de fonds publics doit se faire > dans le projet de loi auquel elle est annexée. Les conditions énoncées dans la recommandation royale constituent l'expression particulière de la prérogative financière de la Couronne et les amendements ne peuvent renfermer de mesures qui vont au-delà de ces conditions. Essentiellement, celles-ci ont trait aux mécanismes ou aux plans sur lesquels se fonde l'autorisation de dépenser. Par exemple, le projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les prêts aux petites entreprises, prévoyait des garanties de prêt pour certaines institutions financières, mais non pour les Alberta Treasury Branches; la présidence a alors jugé que l'amendement visant à inclure cette institution dépassait la portée de la recommandation royale (5). Un amendement proposé au projet de loi C-48, Loi modifiant la Loi sur l'assurance-récolte, visait à étendre l'indemnité prévue pour les dommages causés aux récoltes par la sauvagine à l'ensemble des dommages causés aux récoltes par la faune. La présidence a expliqué : > (6). D'autre part, la présidence a jugé qu'un amendement proposé au projet de loi C-133, Loi modifiant la Loi sur l'habitation, qui ajoutait des sociétés d'habitation appartenant à des municipalités à la définition d'organisme sans but lucratif, était conforme aux conditions énoncées dans la recommandation royale (7).

Demandes de dépenses nouvelles et distinctes : Il s'agit de mesures proposant des dépenses qui ne sont soutenues par aucune loi en vigueur. Quand elle examine un projet de loi ou un amendement, la présidence se demande s'il propose une activité ou une fonction tout à fait nouvelle qui diverge radicalement de celles qui sont déjà autorisées. En constituent de parfaits exemples les projets de loi qui prévoient l'établissement de nouveaux bureaux, organismes ou ministères. La présidence a invariablement jugé que ces mesures requièrent une recommandation royale (8).

Depuis l'adoption de la réforme de la procédure relative au processus des crédits à la fin des années 1960, une importante jurisprudence parlementaire s'est constituée en la matière. La présidence a rendu des décisions sur la nécessité d'une recommandation royale lorsque des amendements proposés en comité étaient contestés à la Chambre, lorsque des projets de loi d'initiative parlementaire étaient remis en question et, avant 1991, lorsque des décisions étaient prises sur des amendements à l'étape du rapport.

Les cas suivants, classés par thème, illustrent d'autres complexités liées à l'exigence de la recommandation royale :

Dispositions relatives à l'affectation de crédits

Autorité suprême : La recommandation royale confère l'autorité suprême pour affecter des crédits. Rien de plus ne devrait être requis pour autoriser une dépense.

Sinon, le pouvoir constitutionnel de la Couronne serait compromis ou le Parlement se trouverait à déléguer ses pouvoirs à un autre organe. Des amendements proposés au projet de loi C-124, Loi modifiant la Loi sur l'assurance-chômage, ont été jugés irrecevables du fait qu'ils auraient assujetti les dispositions relatives aux dépenses à une résolution supplémentaire de la Chambre. Dans le projet de loi C-331, Loi sur l'indemnisation des Canadiens d'origine ukrainienne, il était demandé au gouvernement d'engager des négociations avec la communauté ukrainienne pour établir les niveaux d'indemnisation qui convenaient. Une recommandation royale n'est pas nécessaire lorsque l'issue de négociations à venir est incertaine. Elle peut non plus être liée à un...

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