DROIT ET CULTURE: UNE APPROCHE DISTRIBUTIVE DE L'IDENTITE.

AuthorFournier, Pascale

When Jewish or Muslim practicing couples marry in Western countries, the ceremonies are often comprised of civil aspect and religious elements, which places them in both a unique cultural and legal space. According to religious laws, husbands and wives generally have distinct rights and responsibilities within the marriage. In this context, it is hardly surprising that the literature abounds about the gender-differentiated effects of religious family law in Western countries. It would be relevant to see what is the reality experienced by women in the case of a marriage or divorce, whether civil or religious. Do the rules dictated by religion interact with the civil law so as to allow women to have access to legal remedies? Or do they impose more restrictions on them?

This article aims to examine the real role of religious rules in the social life of legal subjects and to assess their interaction with civil law in a comparative and transnational context. To do this, I collected testimonials from women who have experienced civil and religious divorces as social actors. If law and culture are contested social spaces, these realities can still coexist and allow women of religious minorities to reap some benefits, including in a secular context. Based on on-the-ground, socio-legal surveys of Jewish and Muslim women who have experienced religious and civil divorces in England and France, this article uses the vocabulary and theoretical underpinnings of comparative law and theories of transsystemia to highlight the power and knowledge of women in connection with divorce. This text, with a critical eye, aims to have Western nations reflect on and participate in the development of more legitimate and uniform policies than those that currently exist.

Quand des couples pratiquants juifs ou musulmans se marient dans des pays occidentaux, les ceremonies comprennent souvent un aspect civil et un aspect religieux, ce qui les place a la fois dans un espace culturel et juridique unique. Selon les lois religieuses, les epoux et les epouses ont generalement des droits et des responsabilites distincts au sein du mariage. Dans ce contexte, il n'est guere surprenant que la litterature abonde au sujet des effets differencies selon le sexe du droit de la famille religieux dans les pays occidentaux. Il serait pertinent de voir quelle est la realite vecue par les femmes dans le cas d'un mariage ou d'un divorce, qu'il soit civil ou religieux. Est-ce que les regles dictees par la religion interagissent avec le droit civil de maniere a permettre aux femmes d'acceder a des recours juridiques? Ou leur imposent-elles davantage de restrictions?

Cet article vise a examiner le role reel des regles religieuses dans la vie sociale des sujets de droit et a evaluer leur interaction avec le droit civil dans un contexte comparatif et transnational. Pour ce feire, j'ai rassemble des temoignages de femmes qui ont vecu des divorces civils et religieux en tant qu'actrices sociales. Si le droit et la culture sont des espaces sociaux contestes, ces realites peuvent tout de meme coexister et permettre aux femmes de minorites religieuses de tirer certains avantages, y compris dans un contexte laique. En se basant sur des enquetes sociojuridiques menees sur le terrain aupres de femmes juives et musulmanes qui ont vecu des divorces religieux et civils, en Angleterre et en France, cet article utilise le vocabulaire et les fondements theoriques du droit comparatif et des theories du transsystemisme pour mettre en lumiere le pouvoir et la connaissance des femmes en lien avec le divorce. Ce texte, au regard critique, a pour objectif d'amener les nations occidentales a reflechir et a participer a l'elaboration de politiques plus legitimes et uniformes que celles qui existent a l'heure actuelle.

Introduction I. Nouvelle approche de l'etude du droit et de la culture II. Le droit et la culture se rencontrent : legalisation de la religion A. Jargon juridique, discorde religieuse : la loi sur le mariage en Angleterre B. Qu 'en est-il des Francais? C. Isolement et inegalite D. L'experience de la religion : femmes musulmanes en Angleterre et en France E. Realites differentes : reconnaissance et nonreconnaissance Conclusion Nous sommes a un moment ou le monde s'eprouve [...] moins comme une grande vie qui se developperait a travers le temps que comme un reseau qui relie des points et qui entrecroise son echeveau. Peut-etre pourrait-on dire que certains des conflits ideologiques qui animent les polemiques d'aujourd'hui se deroulent entre les pieux descendants du temps et les habitants acharnes de l'espace (1).

Introduction

En Angleterre, le droit de la famille juif est reconnu par l'Etat dans la loi de 1949 sur le mariage (Marriage Act, 1949 (2)). En revanche, le droit de la famille musulman ne l'est pas encore : un projet de loi pour modifier le Marriage Act, 1949, et visant a reconnaitre la validite--sous certaines conditions de forme--de mariages religieux sans egard a la confession, est a l'examen depuis le 10 juillet 2017 devant la Chambre des lords britanniques (3). En attendant que ces changements soient enterines, les musulmans doivent > pour obtenir la reconnaissance de l'Etat : avec une ceremonie laique au civil pour enregistrer le mariage, d'une part, et avec une ceremonie religieuse ou traditionnelle selon les rites de la communaute, d'autre part (4). Les tribunaux anglais ont toujours ete reticents a l'idee de s'immiscer dans l'arbitrage de disputes au sein de groupes religieux, une pratique qui peut etre consideree comme decoulant d'un principe de non-ingerence5. Cette asymetrie influence de maniere importante le rapport que les femmes issues de ces deux groupes religieux entretiennent avec la societe civile et elle nous offre egalement une belle occasion de verifier quels sont les effets d'une reconnaissance juridique de la culture pour les femmes juives et musulmanes.

En France, la laicite a donne lieu a des debats interminables et tres mediatises sur les frontieres entre l'Eglise et l'Etat. Elle est d'ailleurs sans cesse invoquee par les intellectuels de toute allegeance politique pour justifier des projets juridiques et politiques controverses. Plus precisement, la laicite est au coeur de deux debats qui sont etroitement lies : celui de la place de la religion dans un Etat laique et celui de l'effet des normes religieuses sur l'egalite des droits des femmes. A la base, on considere que la laicite signifie qu'il y a neutralite religieuse et non-etablissement d'une religion (6), des caracteristiques qu'elle partage avec ce qu'on appelle le > dans d'autres pays (7). Cependant, depuis une dizaine d'annees, on a tendance a considerer que la laicite exige de la religion qu'elle releve uniquement de la sphere privee des croyances personnelles, a l'exterieur du > (8), qui doit etre neutre et universel. En vertu de cette approche, les croyances religieuses sont (et doivent etre) subjectives et privees, tandis que la citoyennete et le droit sont les ancrages objectifs d'une universalite qui regroupe les individus (9). Dans cet esprit, la laicite s'articule autour de l'idee que la religion ne doit surtout pas s'eriger sous forme de regles ou de normes sociales reconnues et legitimees par l'Etat.

Quand des couples pratiquants juifs ou musulmans se marient dans des pays occidentaux, les ceremonies comprennent souvent un aspect civil et un aspect religieux, ce qui les place a la fois dans un espace culturel (10) et juridique. Selon les lois religieuses, les maris et les femmes ont des droits et des responsabilites distincts au sein du mariage. Quand un mariage se brise, l'acces au divorce religieux est tres different selon le sexe de la per sonne (11). La vulnerabilite des femmes attribuable au droit de la famille traditionnel ou religieux a d'ailleurs ete soulevee et analysee par de nombreux auteurs (12). Les chercheurs ont remarque que les femmes qui font partie de communautes religieuses > [notre traduction] (13).

Dans le droit de la famille musulman, les femmes peuvent avoir recours au divorce khul ou faskh, mais pas au divorce talaq (14). La femme peut faire une demande de divorce khul devant un juge, mais ce faisant elle acquitte le mari de l'obligation de payer le montant differe du mahr, montant que le mari doit laisser a sa femme au moment du divorce (15). Le divorce faskh est un divorce pour faute, demande par la femme devant un tribunal islamique, et il est limite a des motifs tres restreints (16). Le divorce talaq (repudiation), quant a lui, est un acte unilateral qui dissout le contrat de mariage par la seule declaration du mari (17).

Le droit de la famille juif comporte aussi des desavantages pour les femmes. Pour qu'un mariage juif soit conforme a la Halakha (18), il ne peut se defaire qu'au moment de la mort d'un des epoux ou si le mari accorde le divorce (get) (19) et que sa femme l'accepte (20). Ainsi, le mari est le seul a avoir le droit d'accorder le get (21). Si une femme juive veut recourir au get, mais que le mari refuse de le lui octroyer, elle sera consideree comme une agunah (pl. agunot) (22); litteralement, une femme > ou > (23). Si une femme agunah se marie civilement, la relation sera consideree comme adultere selon la loi juive (24). Elle ne pourra donc jamais conclure de mariage religieux avec son nouveau conjoint (25). De plus, un enfant ne de cette nouvelle union sera considere comme un mamzer (pl. mamzerin) (26). Ces enfants illegitimes sont > [notre traduction] (27)...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT