Un entretien avec l'honorable senateur Serge Joyal.

AuthorBosse, Darius
PositionInterview

In January 2013, Darius Bosse, Stephane Serafin, Anna Oroianu and Philippe Gollin met with the honourable Serge Joyal. The interview took place in his office at the Senate of Canada. Senator Joyal followed an atypical career path. Lawyer by training and politician by trade, his contributions have shaped Canadian politics and political institutions. He has also appeared before the courts on numerous occasions to defend Canadians' rights and Canadian principles.

Senator Joyal has recently appreared in front the Quebec Court of Appeal and the Supreme Court of Canada regarding the Senate reference.

En janvier 2013, Darius Bosse, Stephane Serafin, Anne Oroianu et Philippe Gollin se sont entretenus avec l'honorable senateur Serge Joyal, entretien qui a eu lieu dans son bureau au Senat du Canada. Le senateur Joyal a suivi un parcours atypique. Juriste de formation, politicien de carriere, il a contribue a faconner les politiques et les institutions du Canada. Il s'est aussi adresse aux tribunaux, a plusieurs reprises, pour defendre des droits et des principes que ne respectaient pas les gouvernements en place.

Le senateur Joyal est dernierement intervenu devant la Cour d'appel du Quebec et devant la Cour supreme du Canada dans le cadre des renvois sur la reforme du Senat.

Table des matieres I. FORMATION JURIDIQUE ET EXPERIENCE JUDICIAIRE A. Gens de l'air c Lang et Joyal c Canada B. Une autre intervention : Vaid c Canada II. EXPERIENCE PARLEMENTAIRE : LE LEGISLATEUR AU COEUR DU POLITIQUE ET DU JURIDIQUE C. Rapatriement de la Constitution et la judiciarisation du politique D. Reforme du Senat 1. Les critiques du Senat 2. La constitutionnalite de la reforme 3. Les effets de la reforme E. Lois omnibus I. FORMATION JURIDIQUE ET EXPERIENCE JUDICIAIRE

Revue de droit d'Ottawa (>) : Vous avez obtenu un B.A. a l'Universite de Montreal en 1964 et une licence en droit a l'Universite de Montreal en 1968. Vous etes membre du Barreau du Quebec depuis 1968. Vous avez aussi obtenu un diplome d'etudes superieures en droit compare de la Faculte internationale de droit compare de Strasbourg en France et une maitrise en droit administratif a l'Universite de Sheffield en Angleterre en 1970, de meme qu'une maitrise de philosophie en droit constitutionnel a la London School of Economies and Political Science en 1971. Pourquoi le droit? D'oU vient cette passion pour le droit?

Senateur Joyal (>) : A l'epoque, j'avais hesite entre la medecine et le droit. Ce qui m'interessait dans la medecine, c'etait son aspect social, c'est-a-dire le contact avec l'individu. Il y avait egalement, a cette epoque, une certaine reconnaissance, au sein de la societe, du fait que le medecin est une personne influente, posee et reflechie. J'etais peut-etre attire par cela. Quant au droit, je n'etais pas tres interesse par la pratique ; comme on disait autrelois, je n'etais pas tres interesse de >. Ce qui m'interessait plutot dans le droit, c est qu'il donnait au juriste la capacite de comprendre, et peut-etre meme d'influencer, le fonctionnement de notre societe : comment elle se cree et s'organise, comment elle se donne des objectifs, comment elle a une prise sur sa liberte, etc. Comme disait ma mere : > Le droit me semblait offrir cette possibilite, c'est-a-dire la possibilite d'influencer le processus legislatif. Je n'avais donc pas une vue atomique du droit : le droit commercial, le droit fiscal, le droit constitutionnel, le droit civil, etc. C'etait vraiment plutot l'opportunite offerte par le droit qui m'interessait.

RDO : La profession d'avocat est une route connue menant au monde de la politique (1). Saviezvous deja, a l'epoque, que vous alliez vous lancer en politique?

SJ : Je n avais pas deja decide que je souhaitais etre depute, mais je desirais avoir une responsabilite dans la mouvance des affaires publiques. L'idee de representer les gens et de pouvoir parler en leur nom m'a certainement toujours attire. J'etais chef etudiant (2) a une epoque tres evolutive du Quebec, soit l'epoque de la creation du ministere de l'Education (3). C'etait une reforme fondamentale, mais qui n'etait pas forcement acceptee d'emblee. L'Eglise catholique et d'autres milieux traditionnels s'y etaient opposes (4). Personnellement, il me paraissait une valeur profonde de la societe que de donner la chance a tous de cheminer dans un systeme d'education public. A l'epoque, le systeme secondaire etait prive. Pour poursuivre ses etudes dans une universite au Quebec, il fallait donc s inscrire dans un college dirige par une communaute religieuse (5). Evidemment, une telle structure venait avec une perception et une interpretation religieuse de la societe. J'estimais que cela ne correspondait pas au respect des valeurs individuelles, ni a l'idee selon laquelle chaque individu doit pouvoir se definir humeme et faire ses choix religieux. Le fait d etre oblige d'etudier dans un systeme qui nous presente une seule vision, celle de l'Eglise catholique par exemple, est une contrainte et donc une atteinte a la liberte individuelle. L'un des grands debats de cette epoque, en plus de la gratuite scolaire (6), portait sur cette idee de creer un systeme d education publique neutre oU toutes les religions pouvaient cohabiter. J'ai mene cette bataille alors que j'etais au college et durant ma premiere annee universitaire.

Encore une fois, le droit m'apparaissait comme un outil utile pour mieux comprendre comment se font les lois, sur quels principes celles-ci sont fondees, etc. Mon choix d aller en droit etait donc, d'une certaine facon, motive par certaines de mes implications personnelles. Plusieurs personnalites publiques quebecoises se sont fait connaitre lors de ce debat. Bernard Landry (7) etait president de l'Association generale des etudiants de l'Universite de Montreal, Claude Charron (8) fut l'un des premiers deputes du Parti quebecois, Louise Harel (9), etc. Ces personnes ont vecu leurs premieres implications publiques a cette epoque, dans le contexte de ce mouvement etudiant des annees 60. Finalement, c'est ce qui m'a amene a choisir le droit. C'etait la chose naturelle.

De plus, je ne sentais pas le besoin d'aller travailler immediatement. Je voulais etre libre. Cela m'a permis d'aller a Strasbourg, de vivre en France, de vivre en Angleterre et entre-temps, de voyager en Europe. Je n'etais pas preoccupe par l'idee de m'etablir rapidement. Mon objectif etait plutot d'avoir une certaine formation ouverte sur des realites differentes, avec des gens differents (que j'ai beaucoup apprecies d'ailleurs). Je n'ai jamais cherche la securite d'etre avec des semblables ou des pareils. Je me suis toujours senti plus confortable quand les gens autour de moi etaient differents, venaient de milieux differents, parlaient des langues differentes, pratiquaient des religions differentes, partageaient des vues differentes du monde et faisaient des choix differents. Je me suis toujours senti plus a l'aise dans la diversite que dans la securite du (comme je le dis toujours) >, un referent qui est tres rassurant parce qu'il suggere que l'on n'a pas a s'adapter. Selon moi, le > constitue une facon de s'endormir et une facon de se retraiter de l'effort intellectuel necessaire pour comprendre le monde et sa diversite. Je crois qu il est tres important de faire cet effort.

RDO : Avant de vous lancer en politique, aviez-vous pratique la profession d'avocat?

SJ : Non, je n'ai jamais represente ni la veuve, ni l'orphelin. Apres avoir termine mon barreau, j'ai ete engage par le Commissaire de la reforme des lois municipales, Jacques Dugas (10), qui est devenu juge et qui est maintenant decede. Je faisais des recherches pour la Commission de reforme des lois municipales (11), qui etait une certaine forme de loi publique encadrant l'organisation des municipalites. J'ai exerce cet emploi jusqu au moment de mon embauche en tant qu'adjoint politique aupres de Jean Marchand (12), qui etait ministre du Developpement economique, qui est devenu ministre du Transport et qui a ete le leader du Quebec au sein du cabinet de Pierre Elliot Trudeau (13). Je suis donc venu a Ottawa tres rapidement. Mon role comme adjoint consistait a recruter des candidats en vue de renouveler la deputation liberale. Trudeau et Marchand etaient tres preoccupes par le recrutement au sein du parti. Pour que des francophones occupent des postes importants dans 1 administration federale, il fallait que la deputation soit mieux preparee et mieux outillee intellectuellement pour remplir les fonctions de parlementaire. Traditionnellement, les deputes en provenance du Quebec etaient toujours des gens tres apprecies dans leur milieu local, mais n'avaient pas les outils pour etre parlementaires. Etre un parlementaire, c est etre un legislateur. Le parlementaire legifere et doit donc comprendre comment adopter des lois d'un point de vue procedural, mais il doit aussi pouvoir critiquer une proposition de loi et l'analyser substantiellement. Un minimum de formation universitaire est donc necessaire. Ainsi, a l'epoque, certains des deputes canadiens-francais qui arrivaient a Ottawa ne connaissaient pas vraiment la nature du debat parlementaire et n'avaient pas les moyens d y participer. Ils avaient plutot tendance a se marginaliser dans la vie parlementaire. Evidemment, c'etait donc les anglophones qui prenaient les initiatives. La politique, c est comme la physique : il n'y a pas d'espace qui reste vide. Il y a toujours quelqu'un pour prendre votre place si vous n'etes pas la.

Monsieur Trudeau etait tres preoccupe par le recrutement de nouveaux candidats qui detenaient un diplome universitaire et par l'election de ceux-ci. Ce n est pas tout de mettre son nom sur un bulletin! On pense, par exemple, a l'election de femmes : mettre le nom des femmes dans des comtes oU elles n'ont pas de chance de se faire elire, c'est purement artificiel et symbolique. Il fallait donc convaincre des deputes qui etaient dans des comtes plus faciles a gagner de se...

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