Episodes d'inactivite et revenus criminels dans une trajectoire de delinquance.

AuthorOuellet, Frederic

Introduction

La dynamique des carrieres et des trajectoires criminelles est complexe et sa comprehension passe par plusieurs dimensions. Bon nombre d'etudes se sont interessees a la performance criminelle. Celle-ci est generalement mesuree par les gains que retirent les delinquants de leurs activites criminelles (McCarthy et Hagan 2001; Morselli et Tremblay 2004; Morselli, Tremblay et McCarthy 2006; Robitaille 2004; Uggen et Thompson 2003; Wilson et Abrahamse 1992). On peut aussi la mesurer, quoique moins frequemment, par l'impunite, la capacite et l'habilete a eviter les sanctions penales (Chaiken et Chaiken 1985; Johnson, Natarajan et Sanabria 1993; Kazemian et Le Blanc 2007). Ces etudes tiennent pour acquis que la performance criminelle est stable au fil du temps, alors que ce n'est souvent pas le cas. Elles tracent un portrait statique du phenomene qui sous-estime necessairement les causes situationnelles et les circonstances de vie dans lesquelles evoluent les delinquants.

La performance criminelle

Comprendre la dynamique derriere le succes (ou l'echec) que connaissent les delinquants dans leur carriere criminelle peut non seulement contribuer aux connaissances sur les modeles de reussites (qui reussit?), mais aussi sur le contexte favorable a la reussite (quand reussit-on le mieux?). L'etude de la performance criminelle permet aussi de mieux comprendre d'autres dimensions des carrieres criminelles. Shover et Thompson (1992) ont montre l'existence d'un lien robuste entre les succes passes a eviter les sanctions et le desistement : ceux qui ont du succes sont moins enclins a cesser leurs activites. Il pourrait en etre de meme pour les revenus criminels. On peut penser que le montant des gains soutires illegalement incite le criminel a poursuivre ses activites et ce momentum de ses succes ponctuels l'encourageant a augmenter la frequence de ses crimes. L'inverse est aussi vrai : des revenus modestes ou decevants peuvent le decourager et l'inciter a penser que le jeu n'en vaut pas la chandelle. Cette etude s'interesse non seulement aux variations temporelles des revenus criminels, mais aussi au lien entre la performance criminelle et la decision d'interrompre temporairement les activites criminelles.

L'etude des revenus criminels est importante, surtout si l'on considere que la plupart des crimes commis sont motives par l'appat du gain (Uggen et Thompson 2003). Que sait-on a propos des revenus criminels? Les etudes de Levitt et Venkatesh (2000) et celle de Wilson et Abrahamse (1992) indiquent que les modeles de reussites sont rares dans les milieux criminels. En fait, la plupart des recherches sur le sujet soulignent l'existence d'importantes variations quant a la performance criminelle. De nombreux delinquants retirent des revenus de leurs crimes (McCarthy et Hagan 2001; Morselli et Tremblay 2004; Morselli, Tremblay et McCarthy 2006; Robitaille 2004; Tremblay et Morselli 2000). Il importe toutefois de souligner qu'il existe une forte asymetrie des gains criminels entre les delinquants. L'analyse detaillee de Morselli et Tremblay (2010) montre que, de la somme totale declaree par les repondants durant la periode a l'etude (environ 120 millions de dollars), le 10 % des delinquants qui retirent davantage du crime rapporte a lui seul 69 % de cette somme totale. Si l'on elargit le spectre au 20 % des delinquants les plus performants, ceux-ci cumulent 84 % du total des gains criminels. Qu'est-ce qui differencie les delinquants qui reussissent de ceux qui ne reussissent pas?

A partir d'un echantillon de 376 jeunes ages de 24 ans ou moins de la region de Toronto, McCarthy et Hagan (2001) ont mis en evidence l'importance du capital humain et social, mais surtout du capital personnel--le desir de s'enrichir, la propension aux risques, le desir de cooperer et les competences a la reussite generale--dans la reussite criminelle. Ils ont egalement montre qu'il existait un parallele entre les aptitudes liees a la prosperite legitime et illegitime. Les etudes realisees par Morselli et Tremblay (2004) ainsi que Morselli, Tremblay et McCarthy (2006) se sont basees sur un sondage effectue aupres de detenus incarceres dans des penitenciers federaux. La premiere etude souligne l'importance de certains traits de personnalite (le manque de controle de soi) et du capital social (la taille des reseaux criminels) dans la reussite criminelle. La seconde enquete souligne l'apport des mentors dans les carrieres criminelles : l'apprentissage aupres d'un mentor a pour effet d'augmenter les revenus criminels et de diminuer les risques d'arrestation. Un resultat apparemment contre-intuitif de l'etude de Morselli et Tremblay (2004) etait que le manque de controle de soi, un trait de personnalite qui combine presentisme, impulsivite et gout du risque et qui devait predire la delinquance, predisait aussi le degre de reussite criminelle. Une analyse plus fine indiquait que cet effet etait plus prononce lorsqu'il s'agissait de delinquance contre les biens que de delinquance de trafic. Nous examinerons l'hypothese selon laquelle l'impulsivite et la temerite pourraient expliquer la volatilite ou l'instabilite des episodes de reussite dans une trajectoire de delinquance. La reanalyse du sondage de la Rand Corporation effectuee par Robitaille (2004) montre que les gains criminels sont favorises par les aptitudes strategiques que deploient les delinquants, la specialisation, l'estime de soi et l'absence d'une consommation abusive d'alcool durant la periode de reference. Deux facteurs antecedents contribuent aussi a majorer les chances de reussite criminelle : l'age et le nombre de condamnations anterieures. Selon Robitaille, ces deux facteurs font preuve de l'accumulation du capital humain et social. Autrement dit, la maturation et les experiences d'incarceration incitent ces delinquants a acquerir des competences qui majorent leurs chances de reussite criminelle.

L'instabilite de l'activite criminelle

Matza (1967) a observe, il y a longtemps, que les contrevenants ne commettaient pas constamment des crimes (voir Adler et Adler 1983, mais aussi Nagin et Land 1993), mais qu'ils etaient plutot enclins a se desister temporairement. Ce parcours en >, compose de cycles episodiques d'activite criminelle et d'abstinence, serait caracteristique de la majorite des trajectoires de delinquance (voir Laub et Sampson 2003; Piquera 2004; Homey et Marshall 1991). L'instabilite des revenus criminels est elle aussi un fait bien etabli dans la litterature (Hagan et McCarthy 1997). La volatilite des gains criminels oblige plusieurs delinquants a occuper des emplois legitimes, que ce soit sur une base permanente ou temporaire (Hagan et McCarthy 1997; Uggen et Thompson 2003; Morselli et Tremblay 2004; Thompson et Uggen 2012). On connait assez mal les elements qui permettent d'expliquer et de comprendre ces episodes d'intermittence (Piquero 2004).

Quatre etudes (cf. Tableau 1) se sont interessees aux changements a court terme de la cadence delictuelle (Homey, Osgood et Marshall 1995; Griffin et Armstrong 2003), au penchant des delinquants a diversifier leurs activites (McGloin, Sullivan, Piquero et Pratt 2007) et a leurs revenus criminels mensuels (Uggen et Thompson 2003). La cadence delictuelle (lambda) mensuelle et le montant des revenus criminels diminueraient pendant les mois de cohabitation conjugale. Homey, Osgood et Marshall (1995) sont plus nuances. Ils montrent que les effets de cohabitation matrimoniale et conjugale varient en fonction du type de crime commis. Ainsi, il est moins probable que les delinquants commettent des voies de fait les mois ou ils sont en couple, alors que, pour les crimes lies a la drogue, c'est l'inverse : les delinquants semblent s'y adonner davantage durant les episodes de vie conjugale. Homey et coll. (1995) ainsi que McGloin et coll. (2007) montrent que la participation et la diversification ne sont pas influencees par la situation d'emploi des delinquants. Uggen et Thompson (2003) montrent, quant a eux, que les contrevenants augmentent leurs revenus criminels pendant les mois de chomage.

Ces auteurs ne se sont pas limites aux fluctuations des pressions des mecanismes informels de regulation sociale (emploi, mariage), ils ont aussi etudie les fluctuations de circonstances associees au style de vie des delinquants. Homey et coll. (1995) constatent que les mois ou les contrevenants augmentent leur consommation d'alcool et de drogue, ils augmentent egalement la probabilite de commettre des delits. Les resultats des etudes de Uggen et Thompson (2003) et de McGloin et coll. (2007) indiquent qu'une hausse de la consommation de drogue augmente les revenus criminels et la diversification des activites criminelles. Uggen et Thompson (2003) montrent aussi que leurs revenus criminels diminuent lorsque les delinquants jugent que leurs risques d'arrestation sont plus eleves. On peut supposer que ces risques seront plus importants durant les episodes de surveillance penale. Si Homey et coll. (1995) indiquent que les episodes de probation n'ont aucun effet sur la participation criminelle, l'etude de McGloin et coll. (2007), quant a elle, aboutit a une conclusion contraire : dans de telles circonstances, les contrevenants restreignent, sans les arreter completement, le nombre d'activites dans lesquelles ils sont impliques. Autrement dit, les risques de sanction, qu'ils soient objectifs ou subjectifs, ne poussent pas les criminels a l'abstinence, mais les incitent a la prudence et a la moderation.

Bien que fort instructives, ces recherches, a une exception pres, accordent peu d'importance aux caracteristiques individuelles des delinquants. Dans la perspective du life course, ce sont les circonstances de vie qui ont une influence directe sur les opportunites criminelles qui se presentent aux individus (Homey et coll. 1995; Sampson et Laub 1990, 1993; Laub et Sampson 2003; Griffin et Armstrong 2003; Farrington 2005; McGloin et coil...

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