Formation du contrat electronique: l'acceptation entre mutations et orthodoxie.

AuthorKablan, Serge
PositionI. Introduction into II. L'emergence plurale du 'wrap' p. 63-94

Table des matieres I. INTRODUCTION II. L'EMERGENCE PLURALE DU > A. Le prodrome du > entre Box-Top et Shrink-Wrap B. La > innovation du Click-Wrap C. La nature fuyante du Browse-Wrap D. La conciliation eventuelle du Click-Wrap hybride III. L'EVOLUTION JURISPRUDENTIELLE DU > A. La stabilite des criteres d'appreciation 1. La perennite du droit traditionnel des contrats 2. Le role determinant de la notification B. Les formalites de la notification 1. Le seuil de notification 2. L'utilite de l'iconographie IV. CONCLUSION I. INTRODUCTION

Deux situations paraissent continument interpeller la doctrine. Elles sont le signe avant-coureur du dogmatisme, dont l'effet apprehende sur la doctrine pourrait eluder les vertus descriptives et explicatives, pourtant necessaires a la prise en main de realites juridiques nouvelles (1). Cet etat de dogmatisme, a prevenu le professeur Jean-Guy Belley, survient quand l'objet d'etude de la doctrine (ici la theorie generale des contrats) connait un double isolement : l'un, par rapport a la pratique contractuelle (2); l'autre, en regard du droit positif (3). Il y a, selon l'auteur, l'exemple du droit quebecois, ou le domaine de la consommation a nettement paru developper un droit commun autonome, sans pourtant que la doctrine, figee dans >, evolue vers cette idee d'une theorie pluraliste du droit commun des contrats (4). Il y a le present contexte ou la technologie marque la pratique contractuelle, peut-etre aussi le droit positif, d'une maniere qui reinvite la doctrine a un examen preventif, si l'enjeu n'est pas deja de > d'un eventuel dogmatisme. Ici aussi, il s'agit de s'assurer que la theorie generale des contrats ne soit coupee ni de la pratique contractuelle apparue de ce contexte electronique, ni du droit positif qui en emerge.

Cedant a cette demarche, l'analyse a laquelle nous nous livrons s'attache a examiner le processus de formation du contrat electronique. L'objectif en est de definir les rites en restant fidele a la definition la plus consensuelle, dont celle que reflete, par exemple, la Loi type de la CNUDCI sur le commerce electronique (5) et selon laquelle, d'une part, la communication de messages de donnees peut servir a former le contrat; et d'autre part, la validite d'un tel contrat et sa force executoire ne peuvent etre deniees au motif qu'un message de donnees a ete utilise. Invariablement, le consentement apparait comme etant la piece indispensable au processus de formation de ce type de contrats. Bien sur, de cette notion de consentement, l'analyse retient l'acception polie par les developpements successifs et consecutifs a la crise de la doctrine juridique de l'autonomie de la volonte (6). iuvre triomphante des idees de socialisation et de solidarite et sur le fondement desquelles le regne souverain de l'individualisme juridique a ete rediscute (au moins des la fin du 19e siecle), cette crise a par ailleurs contribue a redefinir la conception meme du contrat (7). On sait que certains ont conteste, puis relativise l'idee d'un consentement ame du contrat. D'autres ont soutenu que le consensualisme etait la quintessence ou la consequence la plus extreme de la liberte contractuelle (8) et ont, par la suite, notamment introduit une vision qui evoque le contrat tantot comme un acte ou une procedure, tantot encore comme le produit juridique de cet acte ou de cette procedure, c'est-a-dire, la consequence qui y est attachee par une norme d'un degre superieur (9). Si la volonte n'y est plus toute-puissante, ni source de la force obligatoire du contrat, elle n'en demeure pas moins l'element essentiel, son critere, car c'est la manifestation des volontes concordantes qui constitue la procedure (premier sens que nous retiendrons du contrat) a laquelle l'ordre juridique delegue son pouvoir createur de droit (second sens du contrat) (10).

Il existe une regle generale voulant que ladite procedure, c'est-a-dire la manifestation de la volonte (en pratique, l'offre et l'acceptation), s'exprime a l'abri de toute exigence de forme. Elle est acquise, en principe, des lors qu'un comportement, actif ou passif, permet de conclure qu'une certaine volonte des parties a ete manifestee (11). La contrainte de forme n'est donc qu'exceptionnelle, quoique la doctrine ait fait remarquer, sans que le contexte electronique y echappe, qu'une procedure minimale est de toute facon inevitable en raison de la technique du droit qui rend indispensable une expression quelconque de la volonte (12).

Comme l'offre exprimee dans les rapports de cyberconsommation, l'acceptation correspondante est du domaine de ces exceptions. Discernons deja que la notion n'a pas varie dans son essence, du fait du contexte. Dans le contrat electronique, l'acceptation s'envisage indifferemment comme l'acte par lequel le cocontractant, destinataire de l'offre, exteriorise sa volonte de consentir. Les exigences classiques de l'acceptation demeurent similairement applicables, ce qui suppose, par exemple, que la volonte exprimee par le cocontractant soit substantiellement conforme a l'offre, c'est-a-dire que l'acceptation doit porter sur les elements essentiels de l'offre (13). Ainsi a-t-il ete juge qu'une reponse accompagnee de reserves ou de conditions s'analyserait comme une contre-offre plutot qu'une acceptation et, comme tel, sa validite serait suspendue, entre autres exigences, a son caractere ferme, non-equivoque et precis (14). S'il n'est pas necessaire que l'acceptation repete les mots exacts de l'offre (15), il importe quelle intervienne avant que celle-ci ne soit caduque (16). Il nait alors une question simple, relative aux modalites de l'acceptation, particulierement dans le contexte electronique : comment, en pratique, l'acceptation doit-elle s'exprimer pour entrainer la formation du contrat en general et du contrat de cyberconsommation en particulier?

Le droit des contrats evoque traditionnellement des modalites expresses ou tacites, selon que l'acceptation est exprimee verbalement, par ecrit, par un geste non equivoque ou, au contraire, deduite du comportement ou de l'attitude du cocontractant (17). Le legislateur quebecois, notamment, ne s'ecarte pas de cette indication quand il soumet la formation de certains contrats de consommation (par exemple, la vente d'automobiles d'occasion) a la formalite de la signature, privilegiant ainsi un consentement expres (18). Il n'y deroge pas plus dans l'encadrement du contrat de credit variable conclu pour l'utilisation de la carte de credit, en exigeant la aussi la signature, attendu cependant que l'emission de ladite carte par le commercant et son utilisation par le consommateur tiennent lieu de cette signature (19).

Les recentes dispositions legales reglementant le contrat de cyberconsommation (plus largement, les contrats conclus a distance) paraissent egalement reposer sur ces modalites classiques d'expression de l'acceptation. L'article 54.5 de la Loi sur la protection du consommateur (ci-apres >) s'y refere en recourant franchement a des notions familieres, comme celle que vehicule le vocable >, employe ici pour qualifier la manifestation de la reponse attendue du consommateur, soit que ce dernier accepte la proposition qui lui est faite par le commercant, soit qu'il la refuse. Precisement, le rituel auquel les parties sont soumises, quant a l'acceptation, evoque un sequencage qui se devoile en plusieurs phases successives : > [nos italiques] (20).

Il n'est pas premature de preciser, premierement, que la phase de revision de la proposition precede logiquement l'acceptation ou le refus que le consommateur est appele a manifester; deuxiemement, l'expression introductive > ne semble pas devoir constituer une phase supplementaire ou distincte, mais parait s'envisager avec l'acceptation de la proposition. Le rituel de l'acceptation, au sens de cette disposition, se tiendrait ainsi en deux phases successives : la phase de revision de la proposition et celle du consentement a proprement parler. Ce sequencage est a l'image du droit francais ou la solution retenue, qui decoule de l'article 11 de la Directive 2000/31/CE du Parlement europeen et du Conseil du 8 juin 2000 (21), a presente > (22). En la matiere, donc, il n'y aurait pas eu production normative originale, mais bien plus adaptation du droit existant. L'article 1369-5, alinea 1 du Code civil (francais) est le produit de cet ajustement, qui implique un processus quasi-identique a celui du droit quebecois quant au fond, mais quelque peu dissemblable en ce qui a trait a la forme. Le legislateur choisit ici la notion de confirmation, tout en attachant une importance comparable a la faculte de revision de la commande :

Pour que le contrat soit valablement conclu, le destinataire de l'offre doit avoir eu la possibilite de verifier le detail de sa commande et son prix total, et de corriger d'eventuelles erreurs, avant de confirmer celle-ci pour exprimer son acceptation. L'auteur de l'offre doit accuser reception sans delai injustifie et par voie electronique de la commande qui lui a ete ainsi adressee [nos italiques] (23). Suivant cette disposition, c'est precisement la confirmation du destinataire de l'offre, soit le consommateur, qui incarne ou exprime l'acceptation (24). Or, si le contrat est deja forme a l'etape de la confirmation, l'accuse de reception, quoique necessaire, n'a plus un role determinant dans le processus. Le legislateur lui reserve un office exclusivement technique. C'est du moins l'interpretation que proposent les travaux preparatoires relatifs a la Loi pour la confiance dans l'economie numerique (ci-apres >) (25): > (26). Il a aussi ete juge que l'accuse de reception envoye automatiquement, compte tenu des modalites pratiques de la vente en ligne, ne temoigne pas forcement du consentement du vendeur (27). Quand il est vicie, notamment par une erreur materielle d'etiquetage sur le prix, non seulement ce consentement est-il inexistant, mais encore le contrat encourt-il lui-meme la nullite...

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