Gouverner par b
| Date | 22 December 2021 |
| Author | Pelletier, Yves Y. |
Dans son numéro de l'hiver 2000-2001, la Revue parlementaire canadienne a publié une première étude sur le recours à l'article 78 du Règlement (communément appelé l'<< attribution de temps >>) à la Chambre des communes. Cette étude, qui est intitulée << Un bâillonnement à la démocratie ou une gestion efficace du temps? L'attribution de temps a la Chambre des communes >>, retrace le recours à l'attribution de temps de décembre 1971 à juin 2000. Le présent artic e u même auteur fournit une mise à jour sur l'utilisation de l'attribution de temps au cours des deux décennies suivantes, qui couvrent la période allant de la 28e législature (1968-1971) à la 43e législature (2019-2021).
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La centralisation des pouvoirs politiques au sein des membres hauts placés du personnel du Cabinet du premier ministre et des organismes centraux du gouvernement fédéral ne peut expliquer en soi le déclin du rôle législatif des parlementaires canadiens. En fait, les changements apportés au Règlement de la Chambre des communes par les députes au fil des ans ont réduit la possibilité que des députés puissent influencer la formulation finale des projets de loi d'initiative ministérielle. Avec l'intervention croissante du gouvernement du Canada dans la nouvelle économie de l'après-guerre, les organisations, les initiatives et les mesures ministérielles se sont multipliées rapidement, ce qui a augmenté davantage le travail en Chambre. Par conséquent, il a été nécessaire d'adopter des mécanismes pour régir la gestion temporelle des débats sur chaque projet de loi d'initiative ministérielle afin qu'une décision finale soit prise dans un delai raisonnable. Il fallait atteindre un équilibre entre le droit de parler pendant une durée convenable et le droit du Parlement de prendre des décisions. Étant donné que le recours aux motions de clôture brise cet équilibre, la Chambre des communes a adopté en 1971 une nouvelle procédure visant à permettre l'attribution d'une période fixe pour un débat. En date de 2001, la Chambre des communes avait adopté 150 motions d'attribution de temps. Au cours des deux décennies suivantes, ce nombre a plus que doublé. À la fin de la 43e législature (J. Trudeau, 2019-2020), 331 motions d'attribution de temps avaient été adoptées. Le présent article examine l'utilisation des motions d'attribution de temps et détermine les gouvernements de la 28e législature (P. Trudeau, 1968-1972) à la 43e législature (J. Trudeau, 2019-2021) qui ont le plus souvent recouru à cet article du Règlement? en comparant le nombre de fois que 1 article a ete utilise au nombre de sièges détenus par le gouvernement, de jours de séances et de projets de loi présentés et adoptés au cours de chaque législature.
Vers l'attribution de temps
L'adoption d'un projet de loi en 1956 visant le financement public d'un pipeline par une entreprise appartenant en partie à des intérêts américains a créé un précédent dans l'histoire parlementaire canadienne. Le gouvernement St-Laurent, profitant de sa majorité à la Chambre des communes pour imposer la clôture à chaque étape du projet de loi, en a assure 1 adoption en moins de 15 jours. S'étant vu retirer son droit de parole à chaque étape, le député conservateur Donald Fleming a déclaré ce qui suit : << [L]a Chambre des communes a été bâillonnée et ligotée par un gouvernement despotique. [V] ous [le gouvernement] sabotez les institutions qui ont su être les bastions de la liberté démocratique et foulez aux pieds les droits de la minorité de la Chambre [...] Ce stratagème n'a jamais vu le jour dans une mentalité démocratique (1). >> L'adoption de ce projet de loi, ainsi que la réaction vigoureuse des parlementaires non ministériels et du public qui s'ensuivit, ont suscite une répugnance durable au recours à la motion de clôture. De plus, la décision du gouvernement Pearson de clôturer le débat sur le drapeau canadien en 1964 a renforcé le besoin d'adopter un nouvel article de gestion temporelle moins sévère que celui de la clôture.
De 1964 à 1969, la Chambre des communes a modernisé son Règlement en adoptant de nouveaux articles pour une période d'essai afin de trouver un autre mode de gestion de son temps. Plusieurs comités de procédure se sont penchés sur la question, mais en l'absence d'une décision unanime, ils ont accepté le principe selon lequel le Règlement de la Chambre des communes ne peut être modifié qu'avec le consentement unanime des députés. En juin 1969, au cours de la 28e législature (P. Trudeau, 1968-1972), la majorité ministérielle d'un nouveau comité de procédure a proposé à la Chambre des communes trois nouvelles façons de recourir à l'attribution de temps. Le paragraphe 78(1) permettrait d'attribuer une période de temps précise lorsqu'il << existe un accord entre les représentants de tous les partis >>; le paragraphe 78(2) s'appliquerait lorsque << la majorité des représentants des divers partis ont convenu de l'attribution proposée de jours ou d'heures >>; le paragraphe 78(3), le plus contentieux des trois, permettrait à un ministre de proposer une motion d'attribution lorsqu il n a << pas été possible d'en arriver à un accord, en vertu des dispositions des [paragraphes (1) ou (2)] (2) >>. Même si les partis d'opposition ont appuyé les deux premières recommandations du rapport, le paragraphe 78(3) a été adopté par le comité à la suite d'un vote qui a opposé les députés du gouvernement à ceux de l'opposition et qui a fait du paragraphe 78(3) la volonté exclusive du gouvernement.
Après un long débat et une journée avant l'ajournement des travaux de la Chambre des communes pour Tété de 1969, le gouvernement Trudeau a invoqué la clôture au débat. En réponse à cette motion, le chef du Parti progressiste-conservateur, Robert Stanfield, a dit ceci :
Le recours à la règle de clôture pour faire adopter des modifications au Règlement contre le gré de tous et de chacun des députés de l'opposition est évidemment une circonstance aggravante et cette façon de faire est tellement étrangère à la tradition de la Chambre qu'elle constitue une atteinte aux privilèges. Si on peut modifier le Règlement dans ces circonstances, si on peut invoquer la règle de clôture pour le faire et pour changer de façon essentielle la nature et le rôle même de la Chambre des communes, la démocratie et la liberté sont vraiment dans un bien triste état. (3) Durant ce bref débat, l'opposition a fait valoir d'une même voix que la procédure parlementaire devait assurer un privilège égal à tous les partis pendant un débat restreint et que les modifications au Règlement devaient découler d'un consensus. Se portant à la défense de son gouvernement, M. Trudeau a dressé la liste des réformes parlementaires que celui-ci avait mises en place depuis l'élection de 1968, comme le financement d'un service de recherche pour l'opposition et l'établissement de journées de l'opposition. Dans le contexte du remplacement d'une mesure chancelante et parfois inefficace, M. Trudeau a posé la question suivante : << Est-ce là le comportement d un gouvernement qui veut [...] bâillonner l'opposition (4)? >> Malgré une dernière tentative par l'opposition de renvoyer au comité le paragraphe 78(3) avec instructions de le modifier, la Chambre des communes est passée au vote le 24 juillet 1969. À 1 h 50 du matin, après une journée complète de débat, elle s'est prononcée pour l'adoption du rapport du comité de procédure par un résultat de 142 à 84. Ironiquement, l'attribution de temps a été adoptée au moyen d'une motion de clôture, soit la procédure même qu'elle était censée remplacer (5).
La première mise en oeuvre de l'article 78
Un précédent important a été créé à la séance du 1er décembre 1971 : l'introduction de la première motion d'attribution de temps. Le projet de loi C259, Loi de l'impôt sur le revenu, qui était un projet de loi fiscal volumineux de 707 pages, et les 97 amendements proposés par l'opposition étaient à l'étude et ont été débattus en comité plénier pendant plus de 25 jours. Les 2 et 14 décembre 1971, la Chambre des communes a adopté deux motions d'attribution de temps en vertu du paragraphe 78(3) du Règlement, qui ont impose une limite de quatre jours pour l'achèvement du débat en comité plénier et une limite de trois jours pour son achèvement à l'étape de la troisième lecture. Le président du Conseil privé, Allan MacEachen, et le ministre de la Justice, John Turner, ont appuyé le recours à ce paragraphe afin de permettre au gouvernement de prendre ses responsabilités et à la Chambre de prendre les siennes en se prononçant sur le projet de loi.
Pour sa part, l'opposition a qualifié la première mise en oeuvre du paragraphe 78(3) controversé du Règlement de démarche antidémocratique et d'aventure dans l'inconnu en raison << [d]es dangers, [djes déviations, [d]es traquenards et [d]es écueils que comportent l'article [78] du Règlement (6) >>. Par l'intermédiaire de son débat désapprobateur, l'opposition a attaqué vivement le gouvernement Trudeau sur plusieurs fronts. Premièrement, le gouvernement avait promis que, malgré l'imposition de la clôture pour faire adopter l'article sur l'attribution de temps, cette mesure ne serait jamais mise en application. Deuxièmement, l'opposition a rejeté l'énoncé du gouvernement selon lequel le projet de loi était à l'étude depuis des mois, voire des années, et a estimé qu'un projet de loi qui bafoue les experts en fiscalité méritait d'être étudié encore plus longuement par les députés. Troisièmement, à la suite de nombreux reportages critiques du contenu du projet de loi, M. Stanfield était d'avis que l'utilisation du paragraphe 78(3) représentait une tactique << pour sauver la face, politiquement parlant, du premier ministre et du ministre des Finances (7) >>. Enfin...
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