Identit

AuthorPassy, Pascasie Minani
PositionArticle Vedette

La représentation politique des minorités racisées est un aspect important des sociétés modernes. Nos parlements sont-ils généralement représentatifs des gens qu'ils servent? Dans cet article, les auteurs s'appuient sur les résultats de deux récentes élections provinciales canadiennes (celle de 2018 en Ontario et celle de 2017 en Colombie-Britannique) pour déterminer si les groupes majoritaires et minoritaires sont proportionnellement représentés dans les législatures et tentent d'expliquer les raisons de leur surreprésentation ou de leur sous-représentation. L'article s'attarde à la notion de concentration résidentielle ainsi qu'au postulat de l'affinité ethnique pour prédire, du moins partiellement, à quel endroit les candidats de minorités ethnoraciales sont susceptibles d'être élus. Contrairement aux études précédentes qui constataient une sous-représentation générale des groupes minoritaires, la présente analyse relève des nuances. Par exemple, toute proportion gardée, certains groupes racisés, notamment les Sino-Canadiens, semblent plus sous-représentés que d'autres. Les auteurs examinent divers arguments pouvant expliquer pareil constat et présentent deux enseignements principaux. Premièrement, ils affirment qu'on peut difficilement soutenir que l'appartenance à un groupe racisé nuit à la représentation politique à l'échelon provincial (du moins actuellement dans deux provinces comptant un grand nombre d'habitants racisés) sans apporter une nuance, soit une subdivision des groupes minoritaires ethnoraciaux. Le second est d'ordre conceptuel : le concept d'affinité ethnique ne suffit pas, à lui seul, à expliquer les comportements électoraux. Les auteurs affirment en effet qu'il faut élargir ce concept pour y inclure l'affinité ethnique centripète ainsi que l'affinité ethnique transversale.

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L'évolution récente des sociétés modernes en atteste : la représentation politique des groupes identitaires est l'une des exigences les plus universelles. Cet article porte plus spécifiquement sur le niveau de représentation politique des groupes ethnoraciaux dans les parlements de l'Ontario et de la Colombie-Britannique. En dialogue avec différentes théories relatives à la représentation politique à raison de l'origine ethno-raciale, cet article s'attelle notamment à une complexification de la théorie de la concentration résidentielle et surtout du postulat de l'affinité ethnique, un concept reposant sur l'idée que les membres d'un groupe ethnique sont davantage disposés à voter pour un candidat issu de ce groupe identitaire que pour un autre.

L'article suggère que soit effectuée une distinction entre deux concepts : d'une part, l'affinité ethnique centripète, et d'autre part, l'affinité ethnique transversale. Le premier concept rend compte des dispositions émotionnelles--exprimées par des actes concrets--des membres d'un groupe ethnique donné à répondre favorablement à la sollicitation des personnes qui attestent de la même identité ethnique qu'eux au détriment des individus qui appartiennent à une ethnie différente. Sur le plan électoral ces dispositions se traduisent par un vote en faveur de cet individu--sauf dans le cas d'une opposition irréconciliable entre les convictions morales d'un électeur et celles d'un candidat du même groupe ethnique. Quant à l'affinité ethnique transversale, elle rend compte des dispositions affectives des membres d'un groupe ethnique à répondre favorablement à la sollicitation des membres d'un autre groupe ethnique certes différent, mais perçu comme un allié objectif pour le fait de partager avec celui-là les mêmes conditions d'existence socio-économique et/ou la même attitude vis-à-vis d'une autre entité ethnique de la société. Le concept d'affinité ethnique transversale est d'une importance inestimable d'autant plus que l'on traite de la dynamique politique de sociétés pluriethniques. Dans ces sociétés, la distinction majorité/minorité est loin d'être éclairante puisque chacune de ces entités est composite, comprenant en effet plusieurs groupes ethniques dont les intérêts convergent autant qu'ils divergent selon les situations. Ce concept tient aussi son utilité de l'opportunité qu'elle offre de mesurer la signification dans l'espace politique de la dichotomie entre > et >.

Deux arguments théoriques sont à mettre à l'épreuve dans cet article. Le premier est que l'élection d'un candidat issu d'un groupe racisé est beaucoup plus susceptible d'advenir dans le cas où la population blanche est significativement minoritaire dans une circonscription électorale; cela indique donc une ethnoracialisation du champ politique. Le second argument est que l'investissement d'un groupe racisé en vue de sa représentation dans le champ politique est une démarche rationnelle qui est d'autant plus susceptible d'être réalisée que l'accès du groupe aux ressources disponibles dans le champ économique est restreint. L'implicite de cet argument est que les groupes racisés les plus vulnérables sont les plus enclins à aspirer à une représentation politique en raison du pouvoir de la politique à déterminer les règles d'accès et de distribution des ressources (dans le champ économique en particulier comme dans tout autre champ). Cet argument semble être en porte-à-faux avec la théorie fort influente de Bourdieu (1) selon laquelle le contrôle de ressources dont l'argent, le capital scolaire et le temps flexible déterminent l'engagement en politique. Mais la contradiction n'est qu'apparente, car même le groupe racisé le plus vulnérable comprend des membres ou compte des alliés qui disposent de ces ressources et dans lesquels il peut investir pour assurer la défense de ses propres intérêts.

Sur le plan méthodologique, cet article procède du dépouillement exhaustif des résultats des élections législatives provinciales tenues en 2018 en Ontario et en 2017 en Colombie-Britannique, suivant deux critères particuliers : a) l'identification ethnoraciale des candidats élus, et b) la distribution ethnique de la population résidant dans les circonscriptions électorales ayant élu un membre d'un groupe racisé. En raison de l'hypercomplexité de l'identité ethnoraciale (2) à une époque où le phénomène du double métissage--terme par lequel nous entendons le fait d'être issu de deux parents issus eux-mêmes de deux formes différentes de métissage est indéniable ; en raison également du caractère bien flottant de l'identité raciale, une telle classification est incontestablement problématique. Face à ces difficultés, nous avons opté pour une approche méthodologique croisée ; celle-ci consiste à allier autodéfinition (l'identité raciale que les élus s'assignent) et exo-définition (celle qui leur est assignée dans la presse et ou au sein de l'espace politique). Un élu est ainsi identifié comme membre d'un groupe racisé (plus particulièrement de l'une des catégories officielles institutionnalisées parmi lesquelles >, >, > et >) lorsqu'il se définit comme tel et est ainsi identifié sur le site internet du parti dont il est membre ou dans la presse canadienne.

La littérature en sciences sociales s'est attachée à l'analyse du rapport des groupes ethnoraciaux minorisés à la politique dans une société canadienne extrêmement diversifiée. Analysant la participation politique des membres de différents groupes sociaux, Black (3) établit que les immigrés participent au même degré à la politique que les Canadiens de souche. Dans leur étude qui traite de la participation politique de Canadiens de confession musulmane, Munawar et ses co-auteurs révèlent une dimension largement intéressante de cette participation, à savoir l'effet du contexte. (4) Selon ces auteurs, le taux de participation et de représentation politique des membres de ce groupe a augmenté, par suite de la stigmatisation négative de la population musulmane qui a suivi des attentats du 11 septembre 2011. Bird quant à elle, soutient que la forte présence de députés issus des minorités à l'échelle fédérale en 2005 est expliquée par la générosité du régime de citoyenneté du Canada, l'ouverture du processus de nomination des candidats (affirmative action), ainsi que l'effet de la concentration résidentielle des minorités ethnoraciales. (5)

La représentation politique en Ontario : des minorités radsées aux sorts inégaux

L'Ontario et la Colombie-Britannique se distinguent dans l'ensemble des provinces canadiennes par leur forte diversité ethnoraciale. Au recensement de 2016, l'Ontario comptait 13 242 160 personnes, dont 3 885 585 (soit 29,3%) se définissaient comme issus des groupes non blancs. (6) Avec un nombre total de 124 députés en son parlement, l'Ontario affiche un niveau de représentation politique qui est environ de l'ordre de 1 député pour 106 792 habitants. (7) Dans cette province, loin derrière la population d'ascendance européenne qui bénéficie d'une majorité numérique absolue (70,7%), la population sud-asiatique y constitue la première minorité ethnoraciale sans pour autant dépasser considérablement les autres groupes racisés. En effet, 8,7% de la population ontarienne est sud-asiatique contre 5,7% chinoise et 4,7% noire. (8) Sur la base de la contribution proportionnelle de chaque groupe ethnoraciale à la population totale de cette province, la distribution des élus provinciaux à raison du critère ethnoracial devrait se présenter comme suit : 11 sièges pour les Sud-Asiatiques ; 7 pour les Chinois, 6 pour les Noirs, 13 pour le reste de la population racisée et 87 pour les Européens. Cependant les données actuelles relatives à la représentation des différents groupes sont loin de correspondre à la distribution proportionnelle escomptée. Alors que la majorité d'ascendance européenne est surreprésentée au parlement, les minorités ethnoraciales prises en un seul bloc, y sont sous-représentées. En effet, les Ontariens d'ascendance européenne jouissent d'une sur-représentation occupant 96 des 124 sièges. Ce nombre est 1,1 fois...

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