Les impasses theoriques et pratiques du Controle de constitutionnalite canadien.
Date | 01 March 2021 |
Author | Gervais, Marc-Antoine |
Introduction I. Des fondements du controle de constitutionnalite en droit canadien A. Les fondements theoriques du controle de constitutionnalite des lois de 1867a aujourd'hui B. Le controle de constitutionnalite des lois en pratique de 1867a 1982 C. Le regime de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 1. Les failles conceptuelles de la theorie admise 2. Le double fondement du controle de constitutionnalite sous le regime de l'article 52 II. De l'effet de la declaration d'inconstitutionnalite A. La nature de la declaration d'inconstitutionnalite 1. Une abrogation judiciaire? 2. La nature judiciaire de la declaration d'inconstitutionnalite B. L'effet de la declaration d'inconstitutionnalite a l'eggard des tiers 1. Les principes de la res judicata et du stare decisis 2. Les limites a la portee des declarations d'inconstitutionnalite in rem C. L'effet de la declaration dinconstiutionnalite dans le temps 1. L'opposition entre les sanctions d'invalidite et d'inoperabilite 2. L'amenagement judiciaire de l'effet d'une loi inconstitutionnelle dans le temps D. Les consequences pratiques de la declaration d 'inconstitutionnalite 1. Le pouvoir executif et l'hypothese de la convention constitutionnelle 2. Le pouvoir judiciaire et la quete de coherence et de certitude Conclusion Introduction
La jurisprudence et la doctrine regorgent de declarations voulant que les tribunaux << invalident >> ou << annulent >> les lois contraires a la Constitution (1). Ce pouvoir repose sur le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, aux termes duquel les regles de droit incompatibles avec la Constitution du Canada sont << inoperantes >> (2). Malgre le libelle de cette disposition, la Cour supreme du Canada a confirme tot apres la revision constitutionnelle de 1982 que le controle judiciaire des lois etait toujours fonde sur << le principe de linvalidite >> (3). Le plus haut tribunal a egalement statue que le paragraphe 52(1) a pour corollaire << l'existence d'un arbitre judiciaire impartial et dont les decisions font autorite >> (4). Ce sont les cours superieures (au sens large (5)) qui peuvent << se prononcer de facon definitive sur la constitutionnalite dune loi >> (6).
Cette rationalisation du controle judiciaire de constitutionnalite, elegante a premiere vue, se heurte neanmoins a plusieurs difficultes. Conceptuellement, la consequence dinvalidite se prete mal aux cas ou les lois sont incompatibles avec des normes constitutionnelles de rang ordinaire. Il nous parait incongru qu'une disposition non enchassee de la Constitution puisse invalider les lois dune legislature par ailleurs competente pour abroger la norme constitutionnelle en cause. Le mecanisme de derogation semble aussi supposer l'inoperabilite--plutot que l'invalidite--des lois incompatibles avec la Charte canadienne des droits et libertes (<< Charte >>) (7), car il permet au legislateur de donner temporairement effet a sa loi pourtant contraire a la Constitution. Enfin, linvalidation judiciaire, censee etre << definitive >>, ne permet pas d'expliquer l'existence de decisions constitutionnelles contradictoires ni les circonstances dans lesquelles une declaration dinconstitutionnalite peut etre ecartee, quelle ait ete prononcee dans la meme province ou ailleurs au pays.
Nous proposons de reexaminer le controle de constitutionnalite a la lumiere des particularites liees au federalisme et a l'organisation judiciaire de lEtat canadien. Ce texte remettra doublement en question la these de linvalidation judiciaire des lois et proposera une nouvelle maniere d'apprehender le regime de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Dune part, nous soutiendrons que les jugements determinent leffectivite judiciaire des lois sans toutefois affecter leur existence. D'autre part, nous proposerons qu'une loi incompatible sur le fond avec la Constitution n'est pas de ce fait invalide, mais plutot inoperante.
Notre etude du controle de constitutionnalite visera a clarifier la nature des consequences juridiques qui accablent les lois inconstitutionnelles. Dans la Partie I, nous tenterons de rationaliser le regime de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 en prenant appui sur les fondements historiques du controle de constitutionnalite au Canada. Nous avancerons que le regime actuel maintient la distinction entre l inconstitutionnalite de type << conflit de normes >> et celle de type << exces de pouvoir >> qui existait sous le regime du Colonial Laws Validity Act, 1865 (<
Leffet de la declaration dinconstitutionnalite dans le temps et a legard des tiers sera etudie dans la Partie II. D'abord, nous traiterons de la nature du jugement declaratoire d'inconstitutionnalite en droit canadien. Celui-ci, croyons-nous, determine leffectivite judiciaire de la mesure legislative visee en refutant la presomption de constitutionnalite dont elle jouissait, sans toutefois induire son extinction. Ensuite, nous presenterons les doctrines et concepts evoques pour expliquer le traitement reserve a la loi inconstitutionnelle a lechelle provinciale et, dans le cas des lois federales, a lechelle interprovinciale. Selon nous, il est possible d'expliquer le vaste effet de la declaration d'inconstitutionnalite a l'egard des tiers et dans le temps en admettant sa nature in rem. Le jugement declaratoire fixe l'etat d'inconstitutionnalite independamment du contexte litigieux de maniere a lier tous les justiciables au sens de la res judi cata, sous reserve de deux limites. D une part, la portee territoriale de la decision est circonscrite au territoire sur lequel le tribunal a competence et, d'autre part, la res judicata peut etre ecartee dans certaines circonstances exceptionnelles.
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Des fondements du controle de constitutionnalite en droit canadien
Notre lecture de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 s'appuie sur la distinction conceptuelle entre linconstitutionnalite de type << conflit de normes >> et celle de type << exces de pouvoir >>. Cette premiere partie vise a demontrer l'existence continue des deux fondements du controle de constitutionnalite depuis l ediction du CLVA et decrira les consequences juridiques qui s'y rattachent.
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Les fondements theoriques du controle de constitutionnalite des lois de 1867a aujourd'hui
La Loi constitutionnelle de 1867 est muette au sujet du controle de constitutionnalite. Le pouvoir judiciaire de declarer les lois invalides etait plutot fonde, jusqu'en 1982, sur les articles 2 et 5 du CLVA. Sur le plan theorique, ces dispositions jetaient les bases du controle de constitutionnalite canadien de deux manieres differentes. En premier lieu, l'article 2 etablissait la suprematie des lois imperiales dites proprio vigore, qui << consis[t] of statutes which were passed by the Imperial Parliament at Westminster and intended by that Parliament to be in force in the colony >> (9). Cette disposition rendait << absolument nulle et inoperante >> [notre traduction] toute loi coloniale en conflit sur le fond avec de telles lois imperiales, dont fait partie la Loi constitutionnelle de 1867 :
Any colonial law which is or shall be in any respect repugnant to the provisions of any Act of Parliament extending to the colony to which such law may relate [...] shall, to the extent of such repugnancy, but not otherwise, be and remain absolutely void and inoperative. (10) Le CLVA affirmait a l'article 2 la primaute des lois proprio vigore, en sanctionnant de nullite la legislation coloniale y etant incompatible (repugnant) dans la mesure de cette incompatibilite.
En second lieu, le CLVA instituait a l'article 5 un fondement procedural au controle de constitutionnalite des lois. Cette disposition exigeait des legislatures coloniales qu'elles observent les obligations de maniere et de forme prescrites, entre autres, par les lois imperiales ou coloniales :
[E]very representative legislature shall, in respect to the colony under its jurisdiction, have [...] full power to make laws respecting the constitution, powers, and procedure of such legislature; provided that such laws shall have been passed in such manner and form as may from time to time be required by any Act of Parliament, letters patent, Order in Council, or colonial law for the time being in force in the said colony. (11) Le legislateur qui ne s'y conformait pas agissait alors ultra vires, et ses lois issues dune procedure legislative irreguliere etaient en consequence frappees de nullite (12).
La theorisation du CLVA n a suscite l interet des auteurs canadiens qu'a compter des annees 1980, mais certains constitutionnalistes anglais se sont affaires a cette tache bien plus tot (13). Notamment, Sire Henry Jenkyns a souligne dans sa synthese du CLVA lexistence des deux fondements du controle de constitutionnalite : << an enactment of a colonial legislature may be treated [...] as of no effect either because it is beyond the competence of the legislature to enact, or because, though within the competence of that legislature, it is repugnant to an imperial statute which applies to the colony >> (14). La consequence juridique du manquement a l un ou l'autre des articles 2 et 5 du CLVA est l invalidite de la loi, ce qui explique peut-etre l'attention limitee consacree a ce sujet dans la doctrine canadienne.
En 1931, le Parlement imperial a edicte le Statut de Westminster (15). Cette loi sterilise le CLVA en permettant aux dominions de modifier les lois proprio vigore les visant, a une exception notoire pres au Canada : << Rien dans la presente Loi ne doit etre...
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