Intervention policiere aupres de membres de l'Assemblee: de l'importance de respecter les privileges parlementaires.

AuthorChagnon, Jacques
PositionArticle vedette

Le 25 octobre 2017, un depute de l'Assemblee nationale a ete arrete par l'Unite permanente anticorruption du Quebec (UPAC). Les policiers de cette unite ont eu recours a un subterfuge pour l'attirer a l'exterieur de l'enceinte parlementaire afin de proceder a son arrestation. Dans les jours suivant cette derniere, le president a fait une declaration en Chambre a ce sujet et le depute en cause (contre lequel aucune accusation n'a ete portee) s'est adresse a ses collegues au moyen de la procedure >. Le leader parlementaire de l'opposition officielle a alors soumis plusieurs questions de directive au president au sujet des droits et privileges des parlementaires face au travail policier. Dans cet article, le president de l'Assemblee nationale relate les faits entourant cet evenement hors du commun et resume les principaux constats et conclusions de la directive qu'il a rendue dans cette affaire. L'article s'inspire d'un discours qu'il a prononce a l'occasion de la 35e Conference des presidents d'assemblee du Canada a Quebec, en janvier 2018.

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Plusieurs choses se sont dites sur une arrestation inusitee qui fut largement mediatisee au Quebec l'automne dernier alors qu'un membre de l'Assemblee nationale (Depute) a ete arrete par l'Unite permanente anticorruption (UPAC). Le texte qui suit se veut en quelque sorte un retour sur ces evenements et sur la maniere dont je les ai abordes, en tant que president d'assemblee desireux de s'assurer qu'en tout temps, les privileges de son institution et de ses membres soient proteges et respectes, et soucieux que soit preservee la separation des pouvoirs de l'Etat.

D'emblee, il importe cependant de souligner que l'enquete n'est toujours pas terminee et que des procedures judiciaires impliquant le respect de la confidentialite de certaines informations sont encore en cours. De meme, il merite egalement d'etre precise qu'au moment d'ecrire ces lignes, nous ne connaissons toujours pas le denouement de cette histoire, aucune accusation a l'encontre du Depute concerne, ni meme de quiconque, n'ayant encore ete portee a la suite de cette arrestation. Le present texte ne porte donc pas sur ce qui est actuellement soumis a la consideration des tribunaux, mais plutot sur les principes de droit parlementaire qui ressortent de ces evenements. Bien entendu, il importe de souligner des maintenant que ces principes qui visent a proteger l'accomplissement des fonctions des parlementaires n'ont pas pour effet de placer ces derniers au-dessus des lois.

Le mercredi 25 octobre 2017, les travaux parlementaires se deroulent normalement: l'Assemblee nationale siege, de meme que plusieurs commissions parlementaires. D'ailleurs, lors de cette journee, le Depute, alors president de la Commission des institutions, avait preside en avant-midi les travaux de cette commission qui etait chargee de proceder a l'etude detaillee d'un projet de loi et devait presider la poursuite de ces travaux en apres-midi. Il est interessant de mentionner que la Commission des institutions a notamment comme champs de competence la justice et la securite publique. C'est donc cette commission qui surveille les ministeres et organismes publics qui sont responsables de ces matieres, incluant l'UPAC et autres corps policiers.

Sur l'heure du diner, le Depute recoit un message texte d'un policier se faisant passer pour une source d'informations qu'il connait et qui le convie a un rendezvous urgent. Il se fait donc remplacer a la presidence de la commission pour se rendre au lieu convenu qui se situe hors de la ville de Quebec. Sur place, des policiers de l'UPAC l'attendent et procedent a son arrestation.

L'information de cette arrestation est rapidement relayee par les differents medias et a litteralement l'effet d'une bombe dans le paysage politique quebecois. Aucune accusation n'est portee contre le Depute qui est libere tard en soiree. Ce jour-la, son telephone cellulaire et divers autres appareils electroniques en sa possession sont aussi saisis par la police.

Le lendemain, jeudi 26 octobre, cette histoire fait la une des journaux: on remonte le fil des evenements de la veille, on trace un portrait du Depute, on relate tant sa carriere politique que policiere--celui-ci etant un ancien policier de la Surete du Quebec--et on questionne sa probite.

En fin d'apres-midi, la presidente du caucus du gouvernement fait parvenir a mon cabinet une lettre m'informant que le Depute ne fait plus partie de ce groupe parlementaire. A compter de cette date, il siege donc a titre de depute independant et perd, de ce fait, son poste de president de commission.

Fait non negligeable qui merite d'etre souligne, au moment de l'arrestation du Depute, la Commission des institutions qu'il presidait venait tout juste de completer les consultations menees dans le cadre de l'etude du projet de loi 107, intitule Loi visant a accroitre la competence et l'independance du commissaire a la lutte contre la corruption et du Bureau des enquetes independantes ainsi que le pouvoir du directeur des poursuites criminelles et penales d'accorder certains avantages a des temoins collaborateurs. Le rapport de la commission, a la suite de ces consultations, avait d'ailleurs ete depose a l'Assemblee par le Depute le jour meme oo il a ete arrete.

Or, loin d'etre un projet de loi anodin, le projet de loi 107 modifie principalement la Loi concernant la lutte contre la corruption (1) et vise notamment a changer la mission du commissaire a la lutte contre la corruption, soit le patron de l'UPAC, de meme que son mode de nomination et de destitution.

Le 19 octobre 2017, le commissaire a la lutte contre la corruption avait d'ailleurs comparu pour repondre aux questions des parlementaires devant la Commission des institutions, alors presidee par le Depute, moins d'une semaine avant l'arrestation de ce dernier.

Ce contexte particulier, jumele a l'absence d'accusation portee contre le depute, m'ont amene a reflechir longuement sur ces evenements. Je me devais de me poser les questions suivantes: La maniere avec laquelle la police avait procede etait-elle la bonne, a la lumiere des privileges et principes propres a notre institution? Les deputes, bien que soumis a la justice comme tout citoyen, ne beneficient-ils pas d'une certaine protection a l'egard des documents et appareils electroniques utilises dans le cadre...

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