Le lendemain des elections generales, du point de vue du representant de la Reine.

AuthorNeary, Peter

Partout au Canada, les soirées d'élections donnent lieu, de nos jours, à un véritable spectacle télévisuel oø les commentateurs s'en donnent à coeur joie. Le lendemain, tous les journaux y vont de leur reportage, proposant au pays encore ensommeillé une analyse approfondie de ce qui s'est passé la veille et de ce que cela signifie pour l'avenir. Du point de vue du représentant de la Reine, toutefois, la voie à suivre après des élections générales est toujours claire parce qu'elle est immuable : la convention de gouvernement responsable doit être suivie et les débats

politiques, évités. Le représentant de la Reine est le protecteur de la Constitution et non un acteur politique : son travail consiste à respecter la convention, à rester à l'écart des conflits et à maintenir la légitimité de sa charge. Le présent article se penche sur les conventions et sur leur fonctionnement dans diverses situations au fil des ans.

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Dans le système démocratique canadien, c'est l'électorat qui décide en fin de compte, mais de façon indirecte par l'entremise des députés élus, et cela peut parfois avoir des résultats surprenants. Pendant la campagne électorale, le gouvernement et le premier ministre (fédéral ou provincial) restent en poste, puisque le mandat de ce dernier s'étend du moment oø il prête serment à celui oø il quitte le cabinet, une période pouvant couvrir plusieurs élections et législatures (ces deux réalités sont souvent oubliées).

Si, à l'issue d'élections générales, le parti au pouvoir, à l'échelle provinciale ou nationale, obtient la majorité des sièges, le gouvernement reste en place (c'est ce qui s'est produit au palier fédéral après le 2 mai 2011). Si, en revanche, aucun parti ne remporte de majorité, plusieurs scénarios sont possibles et, dans ce cas, le représentant de la Reine peut être appelé à intervenir 0 pas sur le plan politique, mais sur le plan constitutionnel, conformément aux conventions de gouvernement responsable.

Quelles sont ces conventions? L'une d'elles veut que le représentant de la Reine n'ait qu'un seul conseiller à la fois (le premier ministre) et, sauf lorsque le maintien du gouvernement responsable lui-même est en jeu, qu'il en suive les conseils. Une autre convention veut que, pour qu'un gouvernement demeure en place, il doive conserver la confiance de la chambre élue, soit la Chambre des communes à Ottawa ou l'Assemblée législative d'une province. La confiance signifie un appui majoritaire sur des questions cruciales, le meilleur exemple étant les crédits (projets de loi de finances). S'il y a un doute sur la capacité du gouvernement de demeurer en poste après l'élection d'une nouvelle chambre, le gouvernement doit démissionner ou obtenir la confiance de la chambre sur-le-champ. Si, après les élections, un gouvernement qui détenait une majorité législative n'obtient qu'une minorité des sièges (notamment en perdant sa première place), le premier ministre peut choisir de démissionner ou, si les forces de l'opposition sont divisées, de convoquer la nouvelle chambre et de tester la solidité du gouvernement. Si celui-ci reçoit le soutien de la nouvelle chambre, il peut demeurer en poste. Dans le cas contraire, s'il est immédiatement défait par un vote de confiance, il n'a pas d'autre choix que de démissionner et de céder la place à une nouvelle administration, à supposer que celle-ci puisse être formée (on pourrait penser que d'autres élections seraient immédiatement nécessaires, mais cela est fort peu probable).

C'est aux politiciens de décider qui doit gouverner, mais aucune administration ne pourrait continuer de gouverner en évitant tout simplement de convoquer la nouvelle chambre élue. Si le gouvernement au pouvoir doit quitter ses fonctions, le représentant de la Reine agit lorsqu'il n'y a pas de doute sur le parti en mesure de gouverner avec succès--autrement dit, celui qui est capable de gagner des votes de confiance. Selon toute vraisemblance, après des élections au Canada, ce serait quiconque peut unifier les groupes d'opposition pour former une majorité au pouvoir. Cependant, rien ne garantit que le parti au pouvoir qui détient le plus grand nombre de sièges, mais pas la majorité, continuera de gouverner. En cas d'urgence, le représentant de la Reine conserve un pouvoir de réserve non précisé pour réagir aux situations--qui sont peu nombreuses et très espacées--qui ne peuvent être résolues par la voie des conventions simples, bien connues et acceptées de gouvernement responsable.

Exemples de l'étranger

L'exemple récent le plus frappant d'une situation semblable a eu lieu en Australie, le 17 décembre 1967 : le premier ministre Harold Holt, parti nager à sa plage préférée, a disparu à tout jamais. Son corps n'a jamais été retrouvé. On a conclu à la noyade, bien que de nombreuses théories fantaisistes aient été avancées. Le 19 décembre, le gouvernement australien a annoncé le décès présumé du premier ministre, et le gouverneur général, lord Casey, a nommé le vice-premier ministre, John McEwan, pour le remplacer. Cet événement totalement imprévisible a été traité, sur le plan constitutionnel, avec efficacité et en douceur. Au Canada, à l'échelle fédérale, une liste, par rang, de ministres qui occuperaient les fonctions de premier ministre en cas d'incapacité est maintenant publiée et mise à jour périodiquement par le Bureau du Conseil privé. À l'échelle provinciale, le vice-premier ministre jouerait le même rôle dans le but d'assurer une transition sans heurts en cas de besoin.

Ce qui s'est produit récemment au Royaume-Uni a mis en lumière de façon fort intéressante ce qui peut arriver dans ce pays après l'élection d'un parlement sans majorité, ce que les Britanniques appellent << hung Parliament >>. À l'issue des élections générales du 6 mai 2010, lors desquelles aucun parti n'a obtenu la majorité des sièges, le Parti travailliste, au pouvoir, est arrivé en seconde place pour ce qui est du nombre de députés élus; une ronde d'intenses négociations s'est ensuivie au cours de laquelle des hauts fonctionnaires ont fait office de facilitateurs. Ces négociations ont abouti à une entente entre conservateurs et libéraux-démocrates. Mais, durant l'élaboration de cette entente, le premier ministre, Gordon Brown, avait fait une distinction claire entre son rôle politique de chef du Parti travailliste et son rôle constitutionnel de premier ministre. Coiffé de sa casquette de politicien, il avait proposé un arrangement entre travaillistes et libéraux-démocrates pour gouverner le pays. Dans son rôle constitutionnel, par contre, il avait compris qu'une entente entre les autres partis signifierait un changement immédiat de gouvernement. Et, lorsque les conservateurs et les libéraux-démocrates en sont arrivés à une entente, il a immédiatement quitté le 10, rue Downing, et le chef conservateur, David Cameron, y est arrivé peu de temps après. La Couronne britannique a joué un rôle purement symbolique : les politiciens se sont occupés des questions à régler, et David Cameron est devenu premier ministre en se rendant au palais de Buckingham et en acceptant l'invitation de la Reine à former un gouvernement. La Reine a conféré un caractère légitime à ce qu'avaient décidé les politiciens entre eux et son geste n'a pas été contesté.

Exemples canadiens

Le cas le plus célèbre d'exercice du pouvoir de discrétion du représentant de la Reine est lié à la carrière du premier ministre William Lyon Mackenzie King, personnage qui domine tout débat sur les conventions de gouvernement responsable. En 1919, King est devenu chef du parti libéral et, en 1921...

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