Les lois speciales de retour au travail : enjeux institutionnels et constitutionnels.

AuthorDrouin, Renee-Claude
PositionContinuation of II. Les lois de retour au travail et les droits foundamentaux des travailleurs A. Une contravention au obligations internationals du Canada au regard de la liberte syndicale through Conclusion, with appendix and footnotes, p. 417-444

Il ressort clairement des principes enonces par le CLS dans ses decisions que si le droit de greve est indissociable de la liberte d'association, il n'est pas illimite et certaines restrictions peuvent y etre apportees. A titre d'exemple, l'interdiction de la greve pendant la duree de la convention collective a des fins de paix industrielle a ete jugee conforme au principe de la liberte syndicale dans la mesure oU elle etait compensee par la mise en place d'un mecanisme alternatif permettant de resoudre les litiges ayant trait a l'interpretation et a l'application de la convention collective (114). Ces principes viennent donc legitimer l'encadrement general de l'exercice du droit de greve traditionnellement en place dans l'espace nord-americain (115).

Par ailleurs, le CLS considere que le droit de greve peut etre restreint, meme interdit dans la fonction publique, mais seulement pour les agents > ou > (116). Les notions de fonctionnaire et de services essentiels sont toutes deux interpretees de facon etroite par le CLS (117) . A titre d'exemple, les douaniers (118) ou encore > (119) sont consideres comme des fonctionnaires exercant des fonctions d'autorite au nom de l'Etat. Pour ce qui est des services essentiels, ce sont ceux > (120). Le CLS reconnait que le contexte national peut influer sur l'encadrement du droit de greve :

Ce que l'on entend par service essentiel au sens strict du terme depend largement des conditions specifiques de chaque pays. En outre, ce concept ne revet pas un caractere absolu dans la mesure oU un service non essentiel peut devenir essentiel si la greve depasse une certaine duree ou une certaine etendue, mettant ainsi en peril la vie, la securite ou la sante de la personne dans une partie ou dans la totalite de la population (121). Il appelle ainsi a bien distinguer les services publics qui sont essentiels de ceux qui ne le sont pas : > (122).

Parmi les services envisages comme etant essentiels par le comite, mentionnons :

le secteur hospitalier; les services d'electricite; les services d'approvisionnement en eau; les services telephoniques; la police et les forces armees; les services de lutte contre l'incendie; les services penitentiaires publics ou prives; la fourniture d'aliments pour les eleves en age scolaire et le nettoyage des etablissements scolaires; le controle du trafic aerien (123). A l'inverse, n'ont pas ete consideres comme des services essentiels au sens strict :

la radio television; les installations petrolieres; les ports (docks); les banques; les services de l'informatique charges de percevoir les impots directs et indirects; les grands magasins et parcs de loisirs; le secteur de la metallurgie et l'ensemble du secteur minier; les transports en general; les pilotes de ligne; la production, le transport et la distribution de combustibles; les services ferroviaires; les transports metropolitains; les services postaux; le service de ramassage des ordures menageres; les entreprises frigorifiques; les services de l'hotellerie; la construction; la fabrication d'automobiles; les activites agricoles, l'approvisionnement et la distribution de produits alimentaires; la monnaie; le Service des imprimeries d'Etat et les monopoles d'Etat des alcools, du sel et du tabac; le secteur de l'enseignement; entreprise d'embouteillage d'eau minerale (124). Il ressort de cette enumeration que l'impact economique d'une greve dans certains secteurs d'activite n'est pas un facteur pertinent pour qualifier un service d'> . Le CLS affirme :

Le fait d'etablir un lien entre les restrictions aux actions revendicatives et l'entrave aux echanges et au commerce permet de porter atteinte a une large gamme d'actions legitimes. Certes, l'impact economique des actions revendicatives et leurs effets sur les echanges et le commerce sont regrettables; cependant, ils ne suffisent pas a rendre le service > et le droit de greve devrait etre maintenu (125). C'est donc dans cette perspective que le CLS envisage les restrictions a la greve dans les secteurs nevralgiques de l'economie.

Lorsque des limitations conformes aux principes de la liberte syndicale sont apportees au droit de greve dans les services essentiels ou la fonction publique, elles doivent etre compensees par certaines garanties : Lorsque le droit de greve a ete restreint ou supprime dans certaines entreprises ou services consideres comme essentiels, les travailleurs devraient beneficier d'une protection adequate de maniere a compenser les restrictions qui auraient ete imposees a leur liberte d'action pendant les differends survenus dans lesdites entreprises ou lesdits services. En ce qui concerne la nature des > en cas de restriction de la greve dans les services essentiels et dans la fonction publique, la limitation du droit de greve devrait s'accompagner de procedures de conciliation et d'arbitrage appropriees, impartiales et expeditives, aux diverses etapes desquelles les interesses devraient pouvoir participer, et dans lesquelles les sentences rendues devraient etre appliquees entierement et rapidement. [...] Les employes prives du droit de greve parce qu'ils rendent des services essentiels doivent beneficier de garanties appropriees destinees a sauvegarder leurs interets : par exemple, interdiction correspondante du droit de lock-out, etablissement d'une procedure paritaire de conciliation et, seulement lorsque la conciliation echoue, institution d'une procedure paritaire d'arbitrage126. Le CLS precise egalement que si des procedures de conciliation et d'arbitrage sont etablies pour compenser les restrictions au droit de greve, les membres des organes qui en sont responsables devraient etre choisis par les organisations des travailleurs et des employeurs (127) et le processus alternatif devrait etre impartial (128). Le fait de faire assumer les couts de la conciliation et de l'arbitrage aux parties ne constitue pas une violation de la liberte syndicale si les frais sont raisonnables et n'empechent pas les parties d'avoir recours aux services offerts (129). Par ailleurs, le CLS n'a pas juge bon de se prononcer sur la question de savoir s'il etait plus approprie d'etablir un systeme distinct de mediation et d'arbitrage ou une procedure combinee de mediation-arbitrage (130).

Si le CLS met de l'avant une conception restrictive de la notion de service essentiel, il admet qu'on peut imposer un service minimal de fonctionnement dans des secteurs d'activites oU les restrictions au droit de greve ne sont pas permises, mais dans lesquels un arret de travail peut avoir des consequences negatives pour la population :

Le maintien de services minima en cas de greve ne devrait etre possible que : 1) dans les services dont l'interruption risquerait de mettre en danger la vie, la securite ou la sante de la personne dans une partie ou dans l'ensemble de la population (services essentiels au sens strict du terme); 2) dans les services qui ne sont pas essentiels au sens strict du terme mais ou les greves d'une certaine ampleur et duree pourraient provoquer une crise nationale aigue menacant les conditions normales d'existence de la population; et 3) dans les services publics d'importance primordiale. Un service minimum pourrait etre approprie comme solution de rechange possible dans les situations oU une limitation importante ou une interdiction totale de la greve n'apparait pas justifiee et oU, sans remettre en cause le droit de greve de la plus grande partie des travailleurs, il pourrait etre envisage d'assurer la satisfaction des besoins de base des usagers ou encore la securite ou le fonctionnement continu des installations (131). Ainsi, le CLS a ete d'avis que l'imposition d'un service minimal n'allait pas a l'encontre des principes de la liberte syndicale dans differents cas relatifs notamment aux transbordeurs et travailleurs des ports, aux conducteurs de metro, a certains postes dans le service ferroviaire, le service des postes, le ramassage des ordures menageres, l'institut monetaire, les banques, le secteur du petrole et le secteur de l'enseignement (132). Les organisations syndicales concernees devraient toutefois pouvoir participer a la determination de ce service minimal (133).

Les ordres de retour au travail des grevistes sont generalement juges contraires aux principes de la liberte syndicale par le CLS; il ne les considere acceptables que >134. Ainsi, meme si certains arrets de travail dans des secteurs cles de l'economie (transports, chemin de fer, secteur petrolier) peuvent perturber les occupations quotidiennes habituelles de la population, le CLS est d'avis >135. Il ne s'agit pas de situations pouvant justifier la restriction du droit de greve par un ordre de reprise du travail. Si le CLS reconnait que des ' sanctions peuvent, dans des cas tres stricts, etre prevues pour abus du droit de greve (136), des sanctions penales ne devraient etre imposees > (137).

Ces differents principes proviennent de cas precis etudies par le CLS au fil des ans. Parmi ces cas, on compte bien sur ceux concernant des plaintes a l'encontre du Canada, notamment a la suite de l'adoption de lois de retour au travail. Ainsi, neuf des lois enumerees a l'Appendice ont fait l'objet d'un tel recours devant le CLS (138). En ce qui concerne les lois adoptees par le Parlement federal, des actes legislatifs ordonnant la reprise et le maintien des services postaux ont fait l'objet de quatre plaintes devant le CLS (139). Ce dernier a affirme dans les decisions se rapportant a ces cas que les services postaux ne repondaient pas a la definition de service essentiel au sens strict du terme et que les consequences de l'interruption des activites dans ce secteur, meme si elles pouvaient etre regrettables et causer des inconvenients importants pour la population--notamment pour les personnes en position sociale precaire--ne justifiaient pas l'atteinte au droit fondamental a la negociation collective (140). Le CLS s'est notamment montre preoccupe du fait que...

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