Occupy, indignados, et le printemps erable: vers un agenda de recherche.

AuthorWeinstock, Daniel
PositionSpecial Section on Social Movements and Progressive Justice

Protests and demonstrations witnessed by many Western societies raise a number of questions of political and legal philosophy that researchers in these disciplines will need to take up if they want to make a useful contribution to the social debate that was imposed by the protagonists of the Occupy movement, the Indignados, or the citizens who took to the streets in Quebec at the time of Printemps erable. The most pressing issues seem to be the following: Do demonstrations and public protests harm democracy by not passing through formal institutions, or should they, under certain conditions, be seen as part of the democratic life? Second, what is the extent of the notion of a "strike"? Is it nonsense for a student association to claim that it can, just as a union of workers, take advantage of this pressure tactic? Third, what are the conditions that make it legitimate, in the context of a liberal democracy, to use civil disobedience? Finally, does the concept of private property, central to modern Western societies, exclude the possibility that even private property may have social functions, which may be this institution's underlying justification?

Les mobilisations populaires dont ont ete temoins plusieurs societes occidentales soulevent de nombreuses questions de philosophie politique et juridique que les chercheurs de ces disciplines devront s'approprier s'ils veulent contribuer de maniere utile au debat social que nous imposent les protagonistes du mouvement Occupy, les Indignados, ou encore les citoyens qui sont descendus dans la rue au Quebec au moment du Printemps Erable. Les questions les plus urgentes nous semblent etre les suivantes: les manifestations et protestations publiques font-elles une entorse a la democratie en ne passant pas par les institutions formelles, ou bien devraient-elles, a certaines conditions, etre percues comme faisant partie de la vie democratique? Deuxiemement, quelle est l'extension de la notion de >? S'agit-il d'un non-sens pour une association etudiante de pretendre qu'elle peut, au meme titre qu'un syndicat de travailleurs, se prevaloir de cet outil de pression? Troisiemement, quelles sont les conditions qui rendent legitime dans le contexte d'une democratie liberale le recours a la desobeissance civile? Enfin, la conception de la propriete privee, centrale aux societes occidentales modernes, exclut-elle que meme la propriete privee puisse avoir des fonctions sociales, en vertu desquelles cette institution tirerait peut-etre meme sa justification?

Introduction I. Quelles limites pour la participation citoyenne? II. Les etudiants peuvent-ils faire la greve? III. La desobeissance civile et la defense de necessite IV. La propriete Conclusion Introduction

Nous avons ete les temoins ces dernieres annees de remarquables mobilisations populaires. Les historiens retiendront bien sur les soulevements qui ont permis a certains pays du monde arabe de se debarrasser de tyrans. Mais meme dans des democraties stables telles que le Canada, les Etats-Unis et l'Espagne, des citoyens se sont organises pour manifester leur mecontentement face a l'ordre etabli et pour exiger des changements. Qu'il s'agisse du mouvement >, qui a investi de nombreuses places publiques a travers le monde (a commencer par le parc Zuccotti, aux abords de Wall Street a New York), des manifestations des Indignados, ou encore du > quebecois, ces manifestations ont demontre qu'une proportion impressionnante des citoyens de democraties avancees etaient disposee a prendre la rue pour se faire entendre par les autorites.

L'essentiel des revendications de ces manifestants se situe dans le domaine de la justice distributive. Face a un systeme de speculation financiere et immobiliere dont les divers dysfonctionnements semblent affecter de maniere disproportionnee les petites gens, ils demandent, de maniere parfois inchoative, que soit repensee notre maniere de produire et de distribuer la richesse. Au Quebec, les manifestations etudiantes appellent a un examen approfondi sur la maniere la plus juste de financer les etudes superieures, sachant que l'education est une des conditions de possibilite de la realisation du principe de l'egalite des chances. Cette invitation n'a pas encore ete veritablement acceptee par les decideurs, mais il y a lieu de penser que le monde de la recherche se consacrera a l'etude des principales propositions mises de l'avant par les etudiants, eu egard au monde de reducation et de son role dans la construction d'une societe juste (1).

Les questions de justice distributive qui ont ete soulevees par ces mobilisations ont deja commence a avoir un impact sur la recherche academique en philosophie politique. Plusieurs chercheurs ont deja commence a se questionner afin de savoir comment les theories de la justice distributive pourraient etre repensees afin de rendre compte des revendications les plus importantes formulees par les principaux protagonistes de ces mobilisations (2). Il y a fort a parier que ces questions continueront a occuper les chercheurs s'interessant aux theories de justice sociale.

Mais les soulevements populaires de ces dernieres annees soulevent egalement des questions qui se situent dans le domaine de la theorie democratique. Si le fond des revendications touchait a des questions d'organisation de la vie economique, leur forme a provoque des questionnements quant a la nature de la democratie et des normes regissant la participation citoyenne a la vie publique. Les manifestants ont occupe des espaces urbains importants, ils ont organise des manifestations qui ont considerablement perturbe la routine des citadins, ils se sont livres a des gestes de desobeissance civile. Au Quebec, les etudiants de plusieurs universites et colleges ont lance un vaste mouvement de greve. Ce faisant, ils ont impose aux theoriciens du politique et du droit un ensemble de questions qui, sans etre completement nouvelles, ont neanmoins ete etonnamment negligees par la recherche, au moins depuis la derniere grande vague de mobilisations populaires ayant marque les societes occidentales a la fin des annees 1960. Les manifestations populaires representent-elles une modalite acceptable de participation democratique de la part des citoyens, ou sont-elles au contraire > du fait de leur impatience apparente envers les institutions formelles de la democratie moderne? Dans quelles conditions est-il legitime de qualifier une action qui enfreint une loi d'acte de desobeissance civile? Quelle devrait etre la reaction de l'appareil juridique d'une democratie liberale devant de tels gestes? Le concept de > peut-il comprendre le genre d'actions auxquelles se sont livres les etudiants quebecois pendant le Printemps erable? Dans quelle mesure est-il legitime de voir comme etant publics des espaces urbains importants tels que des universites, meme si ces espaces sont legalement privees?

Les articles de la presente parution de la Revue de droit de McGill representent des contributions importantes a ce champ de recherche. Mon intention dans cette introduction est de les presenter en les replacant dans un contexte un peu plus large. Je me propose de tracer les grandes lignes des debats de philosophie politique et de theorie du droit qui ont ete inities par les mobilisations populaires qui ont souleve tant de passions ces dernieres annees. Plus precisement, dans un premier temps, il sera question de democratie, et des normes qu'il convient d'imposer aux manifestations populaires >. Je traiterai ensuite de la mesure dans laquelle les fondements d'ethique politique qui sous-tendent le droit a la greve militent pour que ce concept soit etendu aux associations etudiantes. Il sera egalement question du concept de desobeissance civile, de la mesure dans laquelle il peut etre invoque, meme dans le contexte d'une democratie liberale qui satisfait aux exigences normatives minimales qu'il convient d'imposer a ce genre de regime, et de la maniere par laquelle ceux qui posent des gestes de desobeissance devraient etre traites par les institutions juridiques. Enfin, j'examinerai certaines questions qui ont implicitement ete posees au concept de propriete privee par ceux qui ont occupe des espaces de grands centres urbains.

  1. Quelles limites pour la participation citoyenne?

    Un des reproches les plus frequemment entendus a l'encontre des manifestations des dernieres annees porte sur leur caractere antidemocratique. Selon les tenants de cette position, lorsque les manifestants occupent des espaces publics ou defilent dans les rues, rendant difficile, voire impossible, les deplacements des autres citadins, ils expriment tacitement un mepris injustifiable envers les institutions qui sont au cceur de la democratie. L'insatisfaction ressentie par certains groupes de citoyens devrait, selon ce point de vue, s'exprimer de maniere a moins perturber la routine des autres citoyens et, surtout, dans les parametres prevus par les regles institutionnelles en place, c'est-a-dire par la prise de parole dans les medias et par l'organisation politique en vue de tenter de faire remplacer les partis politiques qui seraient a l'origine des politiques contestees par des partis dont les politiques seraient jugees plus acceptables.

    Il s'agit la d'une conception minimaliste de la democratie. Elle trouve des echos dans la pensee du penseur politique et economique Joseph Schumpeter, pour qui la participation democratique des citoyens devait se limiter au choix periodique des elites qui seraient appelees a les diriger (3). Elle ne resiste toutefois pas a un examen approfondi, pour la raison qui avait deja ete evoquee par Tocqueville, c'est-a-dire que les institutions democratiques ont besoin, afin de ne pas degenerer en >, d'une culture politique democratique correspondante (4). L'idee de Tocqueville a ete largement reprise par les theoriciens contemporains de la democratie. Ceux-ci acceptent de maniere a peu pres consensuelle que, si la democratie a...

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