La place reservee a l'avis des peuples autochtones dans le cadre du processus de prise de decision concernant le plan nord ou l'exploitation du nord quebecois: perspective juridique interne et internationale.

AuthorFarget, Doris
PositionII. L'interet des normes promues par l'ordre juridique international et par le systeme interamericain B. Le droit a l'obtenuon du CPLE : genese d'une norme d'interet dans le cadre de l'exploitation du Nord quebecois through Conclusion, with footnotes, p. 623-653
  1. Le droit a l'obtenuon du CPLE : genese d'une norme d'interet dans le cadre de l'exploitation du Nord quebecois

    Que signifie le droit au CPLE? Quelles sont les conditions de mise en oeuvre de cette norme, tant en vertu de la Declaration des Nations Unies (109), qu'en vertu de la jurisprudence de la Cour interamericaine? Telles vont etre les questions qui guideront notre analyse. Celle-ci sera basee sur la Declaration des Nations Unies et sur les jugements de la Cour interamericaine, meme si plusieurs autres documents internationaux reconnaissent egalement le droit au consentement (110). Toutefois, en l'etat actuel du droit canadien, ces derniers sont apparus moins significatifs. Une derniere sous partie traitera enfin des effets du droit au CPLE dans le contexte plus precis du Plan Nord.

    1. Signification du droit au CPLE

      Il est important de definir ce qu'est le droit au CPLE pour le distinguer du droit a la consultation et en souligner l'interet. En outre, cela va nous permettre de rompre avec l'idee selon laquelle le droit international ne cernerait pas precisement le contenu de cette norme. Pour ce faire, nous aurons recours a plusieurs documents internationaux.

      Dans ses Lignes directrices sur les questions relatives aux peuples autochtones, le Groupe des Nations Unies pour le developpement (le Groupe) (111) reprend l'interpretation donnee par l'Instance permanente sur les questions autochtones (112) (l'Instance) de chacune des composantes du droit au CPLE.

      De maniere preliminaire, remarquons d'emblee qu'il s'agit d'un droit au consentement, ce qui implicitement laisse entendre que le groupe consulte peut s'opposer au projet de developpement et refuser de donner son accord. L'avis qu'il rendra sera done de nature a lier le gouvernement. Cette caracteristique distingue le droit au consentement du droit a la consultation. Elle donne un poids effectif a l'avis du groupe en question dans le processus de prise de decision.

      Selon le Groupe et l'Instance, le > signifie que les peuples autochtones doivent donner leur consentement en l'absence de coercition, d'intimidation ou de manipulation, par l'intermediaire des instances representatives qu'ils auront prealablement definies. Celles-ci doivent representer les points de vue des femmes autochtones et des jeunes (113). Le premier avantage de cette modalite est qu'elle attribue une place aux jeunes et aux femmes dans le processus. De plus, elle permet aux peuples autochtones de donner leur avis a l'exterieur des organes institues par la colonisation.

      Le terme > > (114). II en resulte que les Autochtones doivent disposer d'un delai suffisamment long pour discuter, avec les membres de la communaute concernee, du projet propose par le gouvernement, se forger une opinion et la communiquer avant que le gouvernement ne commence a prendre des decisions. Dans son rapport de 2011, James Anaya insiste sur le fait que les communautes autochtones concernees doivent etre informees le plus tot possible (115). Le Guide sur la Convention no. 169 de l'OIT (116) precise que la participation des peuples autochtones doit intervenir avant l'exploration des ressources du sous-sol (117). Les Lignes directrices definies par le Groupe imposent, quant a elles, l'obtention du consentement avant la delivrance de permis de prospection et des le stade de l'evaluation et de la planification (118), done extremement tot dans le processus. En la matiere, le droit international est plus precis que la jurisprudence de la Cour supreme du Canada et plus exigeant.

      En ce qui concerne le concept de >, l'Etat doit donner aux peuples autochtones une information complete et adequate sur le projet (119). II a egalement obligation de s'assurer que le ou les peuples concernes ont la possibilite de comprendre l'information transmise, la langue utilisee, les repercussions positives et negatives du projet et qu'ils sont informes des avantages, des inconvenients et des impacts potentiels de Finitiative, elements qui se traduisent en une obligation de transparence. En la matiere, le Groupe a enumere divers elements d'information qui sont alors requis. Ceux-ci portent, entre autres, sur > les objectifs du projet ou de l'activite; > et >. En outre, le Groupe ajoute que le gouvernement doit transmettre > (120). Le Guide sur la Convention no. 169 insiste quant a lui sur le droit d'acces des peuples autochtones a une information complete et intelligible tout au long du processus d'elaboration et de developpement du projet (121). En pratique, cela implique une collaboration aux phases devaluation, de planification, d'execution, de suivi, de bilan et d'achevement d'un projet (122).

      En ce qui a trait aux modalites de mise en oeuvre du droit au CPLE, ce guide precise que les peuples autochtones doivent avoir la possibilite effective de faire des contre-propositions (123). Dans ce contexte, la tenue d'audiences publiques est insuffisante, puisque les peuples autochtones concernes doivent avoir > sur la decision (124). Enfin, de maniere generale, le gouvernement a l'obligation d'agir de bonne foi (125). Cette obligation s'applique a toutes les etapes du processus et suppose, en pratique, un devoir de sincerite, de transparence, de respect mutuel et de dialogue. L'Etat a egalement !'obligation d'allouer des fonds necessaires aux communautes concernees pour que le processus s'effectue (126). Enfin, un systeme efficace de communication doit etre elabore entre les parties pour assurer la bonne circulation de l'information (127).

      Les Ligues directrices du Groupe et le Guide sur la Convention no. 169 de l'OIT constituent des outils pertinents d'interpretation du droit international et interamericain. Les lignes directrices ont vocation a aider les diverses institutions des Nations Unies a integrer les questions autochtones et > (128). Le Guide pour la Convention no. 169 contient quant a lui des elements d'interpretation de la Convention mis a jour a la lumiere du droit international. Le contenu de ces deux documents permet done de clarifier et de preciser les disposions de la Declaration des Nations Unies, mais aussi la jurisprudence de la Cour et de la Commission interamericaine, d'autant plus que les deux instances regionales adoptent une interpretation contextuelle des instruments de droit international et des normes adoptees par cet ordre en droit des peuples autochtones. Ces deux documents sont d'autant plus pertinents que leur contenu a ete rappele a l'automne 2011 par le Rapporteur special des Nations Unies sur les droits des populations autochtones (129) et a ete repris par le Guide de bonne pratique du Conseil International des Mines et Mineraux (130). De plus, l'interpretation qu'ils privilegient a initialement ete proposee par l'lnstance (131). Une question reste cependant en suspens : le droit au CPLE est-il applicable en tout temps ou existe-t-il des conditions d'application entourant sa mise en oeuvre?

    2. Les conditions d'application du droit au CPLE : des interpretations ambigues

      Le droit au CPLE des peuples autochtones est-il applicable en tout temps lorsque l'Etat souhaite developper des projets sur les territoires traditionnels autochtones ou comporte-t-il des conditions d'application? Lors de la Conference de Sofia 2012, le Comite sur les droits des peuples autochtones de l'Association pour le droit international (le Comite ADI) a porte sa reflexion sur les conditions de mise en oeuvre de l'article 19 de la Declaration des Nations Unies (132) et sur le contenu de l'article 32 de ce meme texte (133).

      Selon ce comite, l'article 19 ne confererait pas automatiquement un droit de veto ou de blocage dans le processus de prise de decision aux peuples autochtones dont les interets sont affectes par une mesure legislative ou administrative (134), bien que cela soit le cas lorsque la Declaration des Nations Unies evoque le droit a la reparation, a la restitution ou a l'indemnisation en matiere de terres, territoires et ressources (135), ou encore les mesures que doivent prendre les Etats pour eviter le stockage de matieres dangereuses sur les terres ou territoires autochtones (136). Au contraire, selon le Comite ADI, les caracteristiques de la procedure varient au cas par cas, en fonction de la nature de la mesure proposee et de l'etendue de ses effets sur les peuples autochtones, lorsqu'il s'agit de l'article 19 (137). D'apres lui, cette disposition s'applique lorsqu'une mesure mise en oeuvre par le gouvernement a toutes les chances d'affecter de maniere particuliere les peuples autochtones, sans avoir les memes repercussions sur les non Autochtones (138). De plus, l'effet de la mesure sur les interets autochtones, le type d'interets vises par celle-ci ou le contexte auraient des consequences sur l'application de l'obligation d'obtenir le consentement de la communaute. Sur le fondement de la Declaration des Nations Unies, le Comite ADI accorde une forte presomption a l'obtention du consentement des peuples affectes lorsqu'une mesure a un effet direct et significatif sur la vie ou les territoires des peuples autochtones (139). Quant a elle, la Cour interamericaine impose l'obtention du consentement des peuples autochtones toutes les fois ou un projet de developpement d'envergure a un impact majeur sur leur droit de propriete sur les terres ou les ressources. L'effet majeur ou significatif du projet porte alors sur des droits et non plus sur l'humain. A ce niveau, l'interpretation prodiguee par le Comite ADI sur le fondement de l'article 19 de la Declaration des Nations Unies parait plus genereuse que celle de la Cour interamericaine, puisque celuici prend pour reference les effets de la mesure sur la vie ou les territoires des peuples autochtones, alors que la Cour interamericaine evalue ces effets a l'aune des droits reconnus. De plus, en se fondant sur la pratique internationale, le Comite ADI identifie quelques situations dans lesquelles l'obtention du consentement sur le fondement de l'article 19 revet un...

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