La Politique sur la Police des Premieres Nations: une avancee en matiere de gouvernance?

Date01 July 2012
AuthorAubert, Laura

Introduction

Adoptee en 1991 par le gouvernement federal, la Politique sur la Police des Premieres Nations (PPPN) a pour toile de fond l'echec des differentes experiences initiees en matiere policiere au sein des collectivites autochtones depuis la fin des annees 1960, echec notamment quant a leur capacite a juguler la criminalite et les demeles des Autochtones avec le systeme de justice penale (Aubert et Jaccoud 2009). En soutenant le principe du developpement de services de police autogeres par les collectivites autochtones, cette politique vise trois objectifs : << ameliorer l'ordre, la securite publique et la securite personnelle des habitants dans les collectivites des Premieres nations >>, << ameliorer l'administration de la justice au sein des Premieres nations par des mesures concretes, c'est-a-dire en mettant sur pied, de concert avec les collectivites, des services de police, professionnels, efficaces et adaptes a leurs besoins particuliers >>, et enfin << mettre en pratique la politique federale concernant la mise en oeuvre du droit inherent des peuples autochtones a l'autonomie gouvernementale et la negociation de cette autonomie >> (Canada 1996). Aux enjeux en termes de maintien de l'ordre, se surajoutent donc la necessaire prise en compte des specificites culturelles autochtones (Laprairie 1989) et la reconnaissance du droit inherent a l'autonomie gouvernementale des nations autochtones, reconnu et confirme par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

La mise en place de la PPPN s'inscrit dans le cadre plus general d'une recomposition des relations entre les Autochtones et l'Etat (Murphy 2005 ; Chartrand 1993 ; Morse et Woodman 1988), et traduit un changement dans l'apprehension des problemes a l'oeuvre au sein des collectivites autochtones : la resolution des problemes de maintien de l'ordre ou de surrepresentation des Autochtones a tous les echelons du systeme de justice penale canadien (Statistique Canada 2006; Harding 1991) ne s'envisage aujourd'hui, dans les discours du moins, qu'articulee a l'exercice plein et entier de leur droit a l'autodetermination, la reconnaissance des injustices engendrees par la colonisation et de ses effets en termes de desorganisation sociale ayant supplante la lecture culturaliste--et ethnocentrique--au fondement des politiques anterieures en matiere policiere (Aubert et Jaccoud 2009). En cela, la PPPN, en soutenant le principe du developpement de services de police autogeres par les communautes autochtones, participerait et temoignerait de l'etablissement et de l'existence de formes de gouvernance dans les collectivites autochtones.

Le terme de gouvernance--concept au reste tres polysemique (Baron 2003; Lajoie 2000)--applique aux collectivites autochtones renvoie a celui de self-governance ou auto-gouvernance, et donc au processus de decolonisation et a l'etablissement de nouveaux rapports entre elles et l'Etat--nouveaux rapports censes se substituer au rapport colonial preexistant dans le cadre de ce qui s'affirmerait comme une societe postcoloniale (Poirier 2000 ; Gandhi 1998). L'auto-gouvernance suppose donc l'existence d'un pouvoir autochtone, pouvoir autochtone renvoyant, selon les auteurs, a << l'autodetermination indigene >> (Brosted 1985: 7) ou a l'autonomie gouvernementale des nations autochtones (Weaver 1990 : 13). Si le droit inherent a l'autonomie gouvernementale des nations autochtones a ete formellement reconnu et confirme par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (Hylton 1999; Asch 1992), l'histoire montre que le gouvernement federal n'en a effectivement tenu compte qu'au debut des annees 1990, notamment en raison du retentissement de la crise d'Oka. Le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, creee a l'issue de cette crise, reinvoque d'ailleurs la reconnaissance du droit a l'autonomie gouvernementale des nations autochtones qu'il presente comme << une condition essentielle a l'etablissement d'un nouveau rapport entre Autochtones et non-Autochtones >> (1996 : 337).

Qu'en est-il aujourd'hui du pouvoir reel des collectivites autochtones et de leur capacite d'auto-gouvernance a la veille du trentieme anniversaire de la reconnaissance par la Constitution canadienne de leur statut de << peuples >> ? Si l'adoption de la PPPN et le developpement de services de police autogeres s'inscrivent indeniablement dans le processus plus general de prise en charge par les collectivites autochtones de l'administration et de la gestion de programmes et services qui leur sont destines (Charest 1992), consacrent-ils reellement leur droit a l'autodetermination ? Les conclusions de Charest--la prise en charge telle qu'elle existe ne renvoie qu'a un simple pouvoir de gestion--invitent a poser la question.

Si l'on considere l'une des recommandations de la Commission royale sur les peuples autochtones--le droit a l'autonomie gouvernementale des nations autochtones va de pair avec celui << des nations autochtones d'etablir et d'administrer leurs propres systemes de justice, y compris le pouvoir de legiferer sur leur propre territoire >> (1996: 337)--force est de constater qu'il reste, a ce chapitre, du chemin a parcourir. Neanmoins, l'evolution en termes de transfert de pouvoir illustree par l'adoption de la PPPN et les changements qu'une telle evolution est susceptible d'entrainer dans les collectivites autochtones ne peuvent etre balayes d'un revers de main sous couvert que cette evolution n'est pas passee par la remise en question du cadre juridique (notamment le Code criminel) issu de la colonisation. Loin de minimiser un tel enjeu dans le cadre d'une reflexion sur l'autonomie gouvernementale des collectivites autochtones, l'idee n'est cependant pas de condamner d'emblee une politique qui ambitionne certes de participer a << la mise en oeuvre du droit inherent des peuples autochtones a l'autonomie gouvernementale >> mais qui situe sa contribution a un autre niveau. Aussi, nous allons nous attacher davantage aux buts et objectifs de cette politique et aux realites pratiques de sa mise en oeuvre. Car, si l'objectif de cet article est d'interroger la volonte politique de l'Etat canadien dans la reconnaissance et la promotion du droit a l'autonomie gouvernementale et a l'auto-gouvernance des collectivites autochtones, la voie privilegiee ici est celle de la mesure des ecarts entre les principes affiches par la PPPN et les conditions concretes de sa mise en oeuvre.

Objectifs de l'article et methodologie

Nous n'abordons pas la question de l'auto-gouvernance des polices autochtones d'un point de vue juridique pour en apprecier la pertinence et le bien-fonde. Il s'agit principalement d'apporter un eclairage sur le fonctionnement concret et les conditions reelles d'exercice des polices autochtones afin de les confronter aux objectifs affiches par la PPPN. Aussi, un questionnaire a ete elabore et soumis a l'ensemble des directeurs des corps de police autochtones quebecois. Le choix du Quebec repose sur un constat : si l'adoption de la PPPN procede d'une volonte d'uniformisation des services policiers alloues aux collectivites autochtones a l'echelle pancanadienne, persistent et coexistent neanmoins diverses formes de services de police engageant a des degres variables l'autodetermination des communautes autochtones en matiere policiere, la forme la plus aboutie en la matiere etant les services de police autogeres. Or, en 2007, le Quebec est la province canadienne qui totalise le plus grand nombre d'ententes sur les services de police autogeres, devant l'Ontario qui est pourtant la province comptant le plus grand nombre de collectivites autochtones sur son territoire (Rastin 2007: 4). Le questionnaire, elabore en mai 2009, comportait cinq grandes series de questions renvoyant chacune a un theme precis : 1) composition du service de police et profil des policiers, 2) fonctionnement du corps de police, 3) infrastructures et equipements, 4) soutien(s) et collaboration, 5) difficultes et problemes rencontres. Ce questionnaire visait a recueillir des donnees factuelles sur les ressources dont disposent les services de police autogeres du Quebec (en termes de personnel, d'equipements et d'infrastructures), sur leur mode de fonctionnement et sur les conditions d'exercice des policiers travaillant en leur sein. Il s'agissait aussi d'obtenir le point de vue des directeurs de police sur les difficultes et les problemes qu'ils rencontrent, et sur les solutions et obstacles dans la resolution de ces difficultes et problemes. Aussi, chacun des cinq themes precites comprenait des questions fermees, des questions a choix multiples et des questions ouvertes. Durant les mois de juin et juillet 2009, les directeurs de police des differents services de police autochtones quebecois ont ete contactes telephoniquement afin de leur presenter les objectifs de la recherche et de solliciter leur participation. Une fois leur accord obtenu, le questionnaire leur a ete adresse par courrier, par fax ou par courriel selon la preference affichee. Si le retour des questionnaires remplis s'est fait a un rythme variable (les derniers nous sont parvenus a l'automne 2009), le fait d'avoir privilegie, prealablement a l'envoi des questionnaires, un contact direct, voire plusieurs contacts avec les directeurs de police, a neanmoins permis d'arriver a un taux de reponse assez exceptionnel (2) si l'on en juge le taux obtenu par les enquetes anterieures (Murphy et Clairmont 1996 ; Clairmont et Murphy 2000). En effet, 25 des 31 organisations policieres autogerees autochtones du Quebec ont repondu, soit un taux de retour de pres de 81%. Le corps regional Kativik, qui dessert les 14 communautes inuites du Quebec, compte parmi les 6 manquantes. Son refus s'explique par le fait qu'il etait au moment de la passation du questionnaire en negociations pour la reconduction de l'entente encadrant son existence.

Etat des lieux des polices autochtones au Quebec

Jusqu'au 1er avril...

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