Privileges parlementaires: N.B. Broadcasting Co. c. Nouvelle-Ecosse.

AuthorMichel Bonsaint

Ce document est la synthese d'un essai de maitrise en droit public obtenue de l'Universite Laval par Me Michel Bonsaint, conseiller parlementaire a la direction de la recherche en procedure parlementaire de l'Assemblee nationale.

Dans cette affaire, la Cour etait saisie de questions constitutionnelles qui mettaient en opposition la liberte d'expression garantie par l'alinea 2b) de la Charte et les privileges parlementaires de l'Assemblee legislative de la Nouvelle-Ecosse. Cette requete faisait suite a la decision du President de la Chambre, M. Arthur R. Donahoe, d'interdire, en vertu de certains privileges parlementaires, l'acces des cameras de television dans l'enceinte de la Chambre. La principale question constitutionnelle a laquelle devait repondre la Cour etait la suivante: <>. Cet article examine la question de privilege parlementaire et les differents motifs invoques par la Cour dans ce cas.

Comme le mentionnait un ancien president de la Chambre des communes du Canada, monsieur Lucien Lamoureux, <>(1)

Les privileges parlementaires sont possedes par les membres d'une assemblee legislative face a la Couronne et a la magistrature. <>(2) En fait, les privileges parlementaires sont necessaires pour que les membres d'une assemblee legislative puissent exercer leur role en toute independance. <>(3) C'est pourquoi <>(4)

Ainsi, il fut reconnu par les tribunaux du Royaume-Uni qu'une assemblee legislative coloniale, des sa creation, possedait de facon inherente les pouvoirs juges necessaires a l'exercice de ses fonctions. Il ne s'agissait toutefois pas de pouvoirs aussi etendus que ceux des chambres du Parlement imperial. Ce n'est qu'en 1896 que le Comite judiciaire du Conseil prive a reconnu le droit pour les assemblees canadiennes de jouir pleinement des benefices de tous les privileges parlementaires britanniques, en decidant que le Parlement du Canada ainsi que les legislatures provinciales avaient le pouvoir de legiferer en matiere de privilege parlementaire.(5)

A la suite de cet arret, le statut juridique des privileges parlementaires au Canada ne fut plus d'une grande preoccupation; il n'etait desormais plus tres important de differencier les privileges inherents des privileges octroyes par la loi. En fait, cette distinction gardait sa pertinence seulement dans la mesure ou le Parlement et les legislatures s'etaient abstenus de legiferer de maniere a permettre a leurs assemblees respectives de jouir entierement de tous les privileges parlementaires britanniques. Hormis cette possibilite, les tribunaux reconnaissaient l'entiere jouissance de ces privileges aux assemblees legislatives, independamment de la source du privilege en cause.

Le questionnement sur la source et le statut juridique des privileges parlementaires est toutefois revenu en force avec l'entree en vigueur de la Charte canadienne des droits et libertes. Il est prevu expressement que la Charte s'applique au Parlement et a la legislature de chaque province.

* Mais dans quelle mesure s'applique-t-elle au Senat et a la Chambre des communes, qui ne sont que des composantes du Parlement du Canada et aux assemblees legislatives provinciales, qui ne sont que des composantes de leur legislature respective?

* Si la Charte devait s'appliquer aux assemblees legislatives, y compris le Senat et la Chambre des communes, dans quelle mesure s'applique-t-elle a l'exercice des privileges parlementaires par ces assemblees?

* Quel est le statut juridique des privileges parlementaires par rapport aux droits et libertes garantis par la Charte?

Avant que la Cour supreme ne le fasse, les tribunaux canadiens ont du a quelques reprises seulement se prononcer sur ces questions, mais sans qu'aucun courant jurisprudentiel dominant n'emerge de leurs decisions. De ces dernieres, on peut toutefois degager trois positions. Un arret de la Cour supreme en cette matiere etait donc fort attendu. Il aura fallu toutefois patienter jusqu'en 1993, soit onze ans apres l'adoption de la Charte, pour que cela arrive. Il s'agit de l'arret N.B. Broadcasting Co. c. N.-E.(6) -- ci-apres l'arret Donahoe, du nom de l'appelant, alors president de l'Assemblee legislative de la Nouvelle-Ecosse. La Cour supreme n'etait pas confrontee a une mince tache. Derriere la question fondamentale de l'application de la Charte aux assemblees legislatives se cachait une autre question non moins fondamentale, soit celle de la necessite pour les assemblees legislatives, et ce malgre la Charte, de continuer a beneficier de privileges parlementaires pour l'exercice de leurs fonctions.

A l'instar des tribunaux inferieurs qui avaient ete appeles a se prononcer sur la question de l'application de la Charte aux assemblees legislatives, les juges de la Cour supreme n'ont pu degager de position unanime. Du reste, les trois principales positions qui ressortent de cet arret sont pratiquement irreconciliables, tant les opinions sont divergentes. Afin de bien saisir les effets de l'arret Donahoe sur l'exercice des privileges parlementaires, il importe d'abord de nous pencher sur l'impact de ces privileges -- plus particulierement le droit de reglementer les affaires internes sans ingerence exterieure -- sur l'intervention judiciaire dans les affaires internes des assemblees legislatives.

L'intervention judiciaire dans les afaires internes des assemblees legislatives

Le droit de reglementer les affaires internes sans ingerence exterieure est une categorie de privileges collectifs retenue par l'auteur Joseph Maingot qui a une portee tres large. Il comprend: le droit de prendre des sanctions disciplinaires contre les deputes; le droit de deliberer et d'interroger des temoins a huis clos; le droit de controler la publication des debats; le droit d'appliquer les lois relatives a la procedure interne; le droit d'administrer ses propres affaires dans son enceinte et a l'exterieur de la salle des debats; le droit d'etablir son propre code de procedure; le droit de faire amener des personnes emprisonnees.(7)

Le principal effet de ce privilege est sans contredit de permettre a une assemblee legislative de regir de facon exclusive presque tout ce qui se passe dans ses murs, et ce a l'abri de toute intervention judiciaire. Il est en quelque sorte le prolongement du privilege individuel de la liberte de parole.

Le passage suivant de l'arret Verificateur general c. Ministre E.M.R. resume bien la relation qui doit exister entre les tribunaux et les assemblees legislatives:

<>.(8)

Au meme effet, dans l'arret Donahoe, le juge McLachlin mentionne que:

<>(9)

Meme si, a ce jour, la sphere d'intervention des tribunaux dans les affaires internes des assemblees legislatives n'est pas entierement etablie, il semble toutefois reconnu que <>.(10) Par ailleurs, les tribunaux <>(11)

Le droit de reglementer les affaires internes sans ingerence exterieure fait en sorte que les tribunaux ne peuvent pas generalement intervenir dans les deliberations d'une assemblee legislative, et ce, meme si l'assemblee ne se conforme pas a ses propres regles de procedure. En cette matiere, seul le President de l'Assemblee a competence. Le President a meme le pouvoir exclusif d'appliquer et d'interpreter les lois qui contiennent de la procedure parlementaire.(12)

De plus, le droit de reglementer les affaires internes sans ingerence exterieure semble aller au-dela de ce qui se passe dans les deliberations d'une assemblee legislative et dans ses comites. <>. (13) <>. (14) Les tribunaux ont etendu ce privilege, entre autres, au droit de reglementer la vente de boissons alcooliques, (15) ainsi qu'au droit de choisir et de diriger son personnel. (16)

Intervention judiciaire dans le processus legislatif

Il decoule notamment de ce qui precede que les tribunaux ne peuvent intervenir pour verifier si la procedure de l'assemblee legislative a ete suivie lors de l'adoption d'un projet de loi. <>. (17) En fait:

<> (18)

Dans l'arret Drewery et al. v. Century City Developments LTD et al., un subpoena avait ete adresse au ministre de l'Environnement de l'Ontario ainsi qu'a un depute de l'Assemblee legislative de cette province, pour qu'ils viennent temoigner devant le tribunal au sujet de la procedure suivie par l'Assemblee legislative lors de l'adoption d'un projet de loi. Century City pretendait qu'elle avait des arguments a faire valoir a l'encontre de l'adoption d'un projet de loi par l'Assemblee legislative, et que le fait pour l'Assemblee legislative de ne pas avoir entendu ses arguments rendait nul et de nul effet le projet de loi ainsi adopte. En quelque sorte, Century City pretendait que la regle audi alteram partem s'applique aux assemblees legislatives. Le juge Cromarty de la High Court d'Ontario a d'abord fait sien le passage precite de l'arret Edingurgh and Dalkeith Ry. Co. c. Wauchope pour ensuite mentionner ce qui suit:

<

This is important with respect to the litigants themselves, but it is even more important with respect to the members of the Legislature or Ministers of the Crown, that they cannot be hailed before a Court to explain what went on prior to the passing of an Act, so that all that may be examined into, and then have the whole of that evidence disregarded before the Court.>> (19)

Au meme effet, dans l'arret Renvoi: Resolution pour modifier la Constitution, precite, la Cour supreme du Canada avait notamment a decider si les deux Chambres du Parlement du Canada avaient le pouvoir de proceder par resolution pour envoyer a Sa Majeste la Reine l'adresse et le projet de loi annexe qui prevoyait le rapatriement de l'A.A.N.B. Dans un premier temps, la Cour supreme rappelle que les privileges, immunites et pouvoirs des deux Chambres du Parlement canadien sont lies a ceux de la Chambre des communes britannique. Eu egard a la procedure interne de ces Chambres, elle ajoute ce qui suit:

<> du Parlement et de l'immunite de ses procedures au controle judiciaire. Les tribunaux interviennent quand une loi est adoptee et non avant (a moins qu'on ne leur...

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