Prorogation : aucune latitude pour le gouverneur general.

AuthorMacDonald, Nicholas A.

La présente étude se penche sur la prorogation, souvent méconnue, de 1873, sur l'évolution du pouvoir de réserve du gouverneur général au fil du temps et sur les différences fondamentales qui distinguent la dissolution de la prorogation. Les auteurs concluent que c'est la prorogation Macdonald-Dufferin de 1873 qui a un rapport direct avec la prorogation Harper-Jean de 2008 et non l'affaire King-Byng de 1926, fréquemment citée. Ils concluent également que le pouvoir de réserve du gouverneur général ne s'applique pas à la prorogation.

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Avec la prorogation du Parlement de 2008, les Canadiens -- tant politiciens et universitaires qu'électeurs -- ont tenté tant bien que mal de comprendre le rôle constitutionnel du gouverneur général, et les questions ont fusé de partout au pays. Toutefois, les réponses ne s'appuyaient sur aucun examen historique exhaustif de l'usage de la prorogation ni sur une analyse de l'évolution du régime de gouvernement responsable au sein du système de tradition britannique. En fait, les réponses tendaient à s'appuyer sur une analyse de la qualité de la recommandation du premier ministre, sujet nettement distinct du rôle constitutionnel du gouverneur général au Canada.

Dans le camp des universitaires, on trouve d'un côtéAndrew Heard, qui, au sujet de la prorogation Harper-Jean de 2008, soutient le recours au pouvoir de réserve dans les questions de prorogation et avance que la gouverneure générale, Michaëlle Jean, aurait dû rejeter la recommandation qu'a présentée en 2008 le premier ministre Stephen Harper pour proroger la session (1). Au centre, on trouve C. E. S. Franks, qui appuie, lui aussi, l'applicabilité du pouvoir de réserve à la prorogation et conclut sans enthousiasme que la gouverneure générale a pris la bonne décision (2). Peter Hogg, Adam Dodek et Barbara Messamore, quant à eux, admettent que le pouvoir de réserve s'applique encore à la prorogation, mais croient toutefois que la gouverneure générale a été bien avisée d'accepter la recommandation du premier ministre, pour des raisons plus catégoriques que celles du professeur Franks (3). Selon le professeur Hogg, par exemple, l'imminence d'un vote de confiance suffit pour que le gouverneur général se prévale de son pouvoir de réserve afin de rejeter la recommandation du premier ministre (4). À l'autre extrême se trouve Henri Brun, selon qui la gouverneure générale n'avait aucun pouvoir discrétionnaire, parce que le pouvoir de réserve ne s'applique pas à la prorogation. M. Brun défend une définition plus étroite de ce pouvoir, qu'il n'avaliserait que dans les situations d'urgence les plus graves (5). Guy Tremblay est du même avis, et croit que la << gouverneure générale doit accéder à une demande de prorogation ou de dissolution (6) >> Finalement, si l'on se fie aux écrits du regretté Robert MacGregor Dawson, la prorogation Harper-Jean de 2008 n'a pas répondu au critère de la constitutionnalité quant au recours acceptable au pouvoir de réserve (7). Parmi ces universitaires, seule la professeure Messamore s'est attardée sérieusement à l'obscure prorogation Macdonald-Dufferin de 1873 et a appliqué les leçons qu'elle en a tirées à la prorogation Harper-Jean de 2008. En revanche, MM. Franks et Russell évoquent l'affaire King-Byng de 1926; toutefois, comme il s'agit d'un cas de dissolution et non de prorogation, il est malvenu de la citer en exemple pour la prorogation Harper-Jean.

Les universitaires favorables à une interprétation plus large des pouvoirs du gouverneur général font abstraction de deux points essentiels. Premièrement, h prorogation diffère grandement de la dissolution, tant par ses origines que par ses répercussions sur la procédure; par conséquent, il serait hasardeux de la comparer à la dissolution sur le plan de la capacité du gouverneur général à rejeter h rocommandation d'un premier ministre. Deuxièmement, les conventions constitutionnelles qui régissent notre système de tradition britannique de gouvernement responsable ont évolué, via le Royaume-Uni, sur une période de près de 800 ans, en ravissant le pouvoir au monarque et en le conférant au Cabinet et au Parlement.

Prorogation et dissolution : deux notions distinctes

Élaborée initialement sous les Tudors comme moyen économique d'éviter la dissolution, la prorogation a été utilisée par divers monarques et premiers ministres comme tactique politique (8). De nos jours, la prorogation est un outil que le premier ministre peut employer pour convoquer une nouvelle session parlementaire. Normalement, il demande une prorogation après avoir atteint tous les objectifs législatifs énoncés dans le discours du Trône. En effet, la prorogation d'une session parlementaire << purge >>, pour ainsi dire, le Feuilleton de tous les travaux parlementaires, car elle met fin à tous les projets de loi et à la plupart des délibérations. (9) En fait, la prorogation << recalibre >> l'essentiel d'une législature, tandis que la dissolution y met fin purement et simplement. La prorogation indique la suspension des travaux parlementaires pour une période déterminée par convention : le premier ministre et le gouverneur général s'entendent sur la durée de l'intersession qui, habituellement, ne dépasse pas 10 semaines. Après l'intersession, le Parlement se réunit pour une nouvelle session, que le gouvernement ouvre avec un discours du Trône. Celui-ci énonce les priorités législatives du gouvernement. Le débat qui s'ensuit à son sujet aboutit au premier vote de confiance de la nouvelle session parlementaire. Ce processus ne déclenche pas d'élections générales et laisse intacte la composition de la Chambre des communes et du gouvernement. Plus que tout, la proclamation de prorogation indique le moment oø le Parlement reprendra ses travaux.

En revanche, la dissolution met fin officiellement non seulement à la session parlementaire, mais également à la législature même et précipite la tenue d'élections générales. La dissolution du Parlement se produit normalement de l'une des trois laçons suivantes : a) le premier ministre demande au gouverneur général de dissoudre le Parlement en raison de l'expiration de-son mandat constitutionnel de cinq ans (10); b) le premier ministre a le sentiment que le gouvernement a rempli le mandat pour lequel il a été élu (généralement après environ quatre ans); c) le premier ministre informe le gouverneur général qu'il a perdu la confiance de la Chambre des communes. À ce moment, les députés cessent d'occuper leur poste; toutefois, les ministres et le président de la Chambre demeurent en fonction jusqu'à leur remplacement après les élections. Le premier ministre ne peut pas demander de prorogation après avoir perdu officiellement la confiance de la Chambre des communes; il ne peut alors que démissionner ou demander la dissolution.

Toute analyse de la prorogation du 4 décembre 2008 doit faire la distinction entre la perte de confiance qui est officielle et celle qui est imminente. La perte de confiance officielle se produit lorsque la majorité des députés de la Chambre des communes votent contre le discours du Trône, le budget, le budget des dépenses ou toute autre mesure législative d'importance que le gouvernement considère comme une question de confiance, ou lorsque les députés adoptent une motion de censure. Les déclarations publiques ou écrites signées à l'extérieur de la Chambre des communes, quant à elles, constitueraient une perte de confiance imminente ou apparente dans le gouvernement' Le principe de souveraineté parlementaire suppose que seule prévaut la volonté de la Chambre en tant qu'institution, ce qui exclut l'opinion des groupes de députés s'exprimant hors des Communes. La confiance ne peut être retirée que lors d'un vote officiel et non lors d'activités extraparlementaires. La perte de confiance imminente ou apparente diffère grandement de la perte de confiance officielle; par conséquent, il faut rejeter l'idée que le gouverneur général devrait toujours traiter une perte de confiance imminente comme une perte de confiance officielle. Finalement, une perte de confiance imminente ne libère pas le monarque ou son représentant du principe qu'il doit considérer comme exécutoire la recommandation du gouvernement.

La prorogation Macdonald-Dufferin de 1873

Le 13 août 1873, le premier ministre sir John A. Macdonald a demandé au gouverneur général, lord Dufferin, de proroger le Parlement. En agissant de la sorte, le premier ministre voulait empêcher un comité qui étudiait des allégations de conflit d'intérêts et de corruption se rapportant au projet de Chemin de fer du Pacifique de déposer son rapport, car ce dernier l'aurait incriminé (11) Malgré le tollé, les interrogations sur le rôle du gouverneur général et la pétition de protestation signée par des dizaines de députés, le gouverneur général a accédé à la demande de prorogation du premier ministre (12). En fait, la prorogation du 13 août 1873 soulève la même question fondamentale que celle du 4 décembre 2008 : une perte de confiance imminente ou anticipée ébranle-t-elle la constitutionnalité de la recommandation du premier ministre de proroger le Parlement, permettant ainsi au gouverneur général d'invoquer le pouvoir de réserve de la Couronne?

Selon Edward Blake, éminent député et ancien chef libéral, 93 députés -- pour la plupart libéraux, mais aussi certains députés d'arrière-ban conservateurs -- avaient signé une lettre officielle de protestation qu'ils avaient présentée à Son Excellence le gouverneur général. Après la proclamation officielle de la prorogation par lord Dufferin, les députés ont organisé une assemblée de protestation pour exprimer leur désaccord et contester la constitutionnalité de sa décision. D'une façon qui rappelle bien, ici encore, la prorogation Harper-Jean de 2008, les libéraux ont condamné la décision de lord Dufferin, car elle permettait au gouvernement de se soustraire à la volonté du Parlement -- même si, après l'intersession, ce dernier a fait...

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