RÉÉQUILIBRER LE RÔLE DE LA COUR SUPRÊME DU CANADA EN PROCÉDURE CRIMINELLE.

AuthorSkolnik, Terry

Introduction I. Avant l'ascension des pouvoirs policiers accessoires II. L'aube des pouvoirs policiers accessoires et le test Waterfield III. La manque d'encadrement des pouvoirs policiers accessoires A. Les fouilles par palpation préventive B. Les interceptions au hasard C. Les détentions pour fm d'enquête et les interpellations 1. Survol de la détention pour fin d'enquête et des questions préliminaires 2. Les problèmes associés à la détention pour fin d'enquête et aux questions préliminaires IV. Les failles du contrôle judiciaire A. Les failles du contrôle judiciaire en procédure criminelle B. Les failles du contrôle judiciaire en droitprivé V. Rétablir le rôle judiciaire en procédure criminelle A. Abandonner la doctrine des pouvoirs policiers accessoires B. Encadrer les pouvoirs policiers et exiger la collecte de données C. Modifier certaines doctrines de procédure criminelle D. Accroître le rôle du droit à l'égalité au sein du droit criminel Conclusion Introduction

Traditionnellement, les tribunaux sont perçus comme protecteurs des droits et libertés fondamentaux (1). Le Parlement et l'exécutif sont considérés comme étant les branches du gouvernement les plus susceptibles de porter atteinte aux droits constitutionnels (2). Selon cette conception, les juges exercent un pouvoir contre-majoritaire qui protège les individus des actions abusives des acteurs étatiques (3). Par exemple, dans les domaines du droit criminel et de la procédure criminelle, les tribunaux sont amenés à exclure la preuve inconstitutionnellement obtenue, à élaborer des doctrines et des tests préventifs qui dissuadent l'inconduite policière et à déclarer des lois inconstitutionnelles (4). Même s'il n'existe aucun consensus par rapport à cette conception théorique ou pragmatique du rôle des tribunaux, la doctrine et les décisions judiciaires décrivent généralement ce paradigme (5).

Cet article démontre comment la doctrine des pouvoirs policiers accessoires a transformé le rôle de la Cour suprême du Canada en matière de procédure criminelle. Cette doctrine, adoptée par la plus haute juridiction du pays autorise les juges à créer des pouvoirs policiers afin de combler des lacunes législatives (6). Par cette doctrine, la Cour suprême est passée d'un rôle de protecteur des droits et libertés fondamentaux à celui de créateur judiciaire de pouvoirs policiers qui portent atteinte à ces droits et libertés (7).

La doctrine des pouvoirs policiers accessoires engendre plusieurs problèmes persistants. En appliquant le test Waterfield, ces pouvoirs ont été créés sans se confronter à un processus démocratique rigoureux, sans évaluer l'impact des pouvoirs policiers sur les droits fondamentaux et sans analyser en détail la proportionnalité entre les effets bénéfiques et préjudiciables de ces pouvoirs (8). Ils ont également exacerbé divers problèmes au sein du système de justice pénale : le profilage racial et social, le racisme systémique, la violation impunie des droits fondamentaux et une perte de confiance envers le système de justice (9). De plus, la doctrine des pouvoirs policiers accessoires dissuade la branche législative de légiférer en matière de procédure criminelle (10).

Cet article explique comment la Cour suprême peut rééquilibrer le rôle des trois branches du gouvernement en procédure criminelle. Il décrit pourquoi ce rééquilibrage est nécessaire afin de respecter la séparation des pouvoirs, de promouvoir la primauté du droit, de mieux prévenir et remédier au profilage racial et social et de protéger les droits et libertés fondamentaux. La dernière partie de l'article propose quatre solutions pragmatiques pour que la Cour suprême renoue avec sa fonction principale de protéger les droits et libertés fondamentaux dans le domaine de la procédure criminelle.

Évidemment, ces propositions n'éradiqueront pas les problèmes structuraux enracinés dans le système de justice pénale et dans la société, tels que le profilage racial et social, la discrimination et les abus de pouvoir. Cependant, ces propositions peuvent améliorer l'état actuel du droit criminel et de la procédure criminelle ainsi que leur application quotidienne par les différents acteurs du système de justice pénale.

  1. Avant l'ascension des pouvoirs policiers accessoires

    Dans une démocratie constitutionnelle, le législateur adopte les lois, tandis que les tribunaux évaluent leur constitutionnalité. La branche judiciaire est l'institution principale qui contrôle les abus policiers, les lois et politiques étatiques inconstitutionnelles ainsi que les comportements arbitraires des forces de l'ordre (11). Avant la création de la doctrine des pouvoirs policiers accessoires--et peu de temps après son avènement en droit canadien--la procédure criminelle respectait le modèle du dialogue constitutionnel (12).

    En 1990, dans R c. Wong, la Cour suprême a été confrontée à la question du pouvoir des policiers d'enregistrer subrepticement, par magnétoscope, l'intérieur de la chambre d'hôtel d'un accusé (13). Dans cette affaire, les policiers voulaient acquérir de la preuve démontrant que l'accusé exploitait une maison de jeu << flottante >> ; ils n'avaient aucune autre façon d'accéder à la chambre d'hôtel (les agents doubles du service de police en question étaient connus par l'accusé et son entourage) (14). À l'époque de la décision, aucune disposition du Code criminel n'autorisait cette méthode d'enquête. Les policiers avaient néanmoins procédé à l'enregistrement magnétoscopique de l'accusé, captant l'accusé et ses collègues en train d'opérer une maison de jeu illégale (15). La Cour suprême a déterminé que les policiers avaient effectué une perquisition illégale qui contrevenait à l'article 8 de la Charte canadienne (16).

    Au lieu de créer un nouveau pouvoir policier, la Cour suprême a laissé au Parlement la possibilité de créer un nouveau type de mandat (17). Selon la Cour, ce mandat permettrait aux policiers d'effectuer une technique d'enquête qui porterait atteinte à l'article 8 de la Charte canadienne sans autorisation judiciaire préalable (18). Quelques mois plus tard, c'est exactement ce que le Parlement a fait (19). Cela dit, les exigences imposées par le législateur sont plus strictes que celles décrites par la Cour dans R c. Wong (20).

    Similairement, dans R c. Feeney en 1997, un policier est entré sans mandat dans la roulotte où habitait l'accusé afin d'enquêter sur un homicide (21). À l'époque, la décision R c. Landry (qui avait été rendue dix ans auparavant) autorisait de telles entrées sans mandat (22). Dans R c. Feeney, après être entré dans la roulotte de l'accusé, le policier a questionné ce dernier (23). À la suite d'une déclaration incriminante, le policier a arrêté l'accusé et a obtenu un mandat de perquisition qui a mené à la saisie d'une gamme de preuves incriminantes (24). Toutefois, au lieu de créer un nouveau pouvoir policier qui autoriserait les arrestations sans mandat dans une maison d'habitation, la Cour suprême a décidé que l'enquête et les saisies étaient illégales (25). Les juges ont écarté la majorité de la preuve et ont ordonné un nouveau procès (26). La Cour suprême a déterminé que les policiers avaient besoin d'obtenir une autorisation judiciaire au préalable afin d'effectuer une arrestation dans une maison d'habitation (27). Quelques mois plus tard, le législateur a adopté ce qui est maintenant l'article 529.1 du Code criminel qui prévoit le mandat d'entrée (28) et respecte les exigences décrites dans R c. Feeney par la Cour suprême.

    La décision R c. Wise est un autre exemple de dialogue constitutionnel (29). Les policiers ont installé un dispositif subreptice sous le véhicule de l'accusé afin de le localiser (30). La Cour suprême a conclu que l'utilisation de ce dispositif de localisation portait atteinte à l'article 8 de la Charte canadienne (31). Les juges ont énoncé qu'il était loisible au législateur de créer une nouvelle disposition législative qui gouverne ce type de dispositifs (32). Cette décision a amené le législateur à adopter l'article 492.1 du Code criminel : le mandat pour installer un dispositif de localisation (33).

  2. L'aube des pouvoirs policiers accessoires et le test WaterSeld

    Certains pouvoirs policiers sont prévus dans le Code criminel. Les pouvoirs d'arrestation, d'obtention de mandats et de détention sous garde en sont des exemples (34). Cependant, un nombre important de pouvoirs policiers qui sont exercés quotidiennement ont été créés ou autorisés par les tribunaux (35). Les pouvoirs d'intercepter des véhicules au hasard, de faire des barrages routiers, de détenir des individus pour fin d'enquête, de fouiller des individus par palpation préventive ou des individus, automobiles et cellulaires accessoirement à l'arrestation et de déployer un chien renifleur sont tous des pouvoirs policiers créés par la Cour suprême (36).

    La décision Dedman c. La Reine a affirmé que les tribunaux peuvent créer de nouveaux pouvoirs policiers qui ne sont pas expressément prévus par le Code criminel en employant la << doctrine des pouvoirs accessoires>> (37). Selon la Cour suprême, cette doctrine vise à combler des lacunes législatives en matière de procédure criminelle (38). Dans Dedman, la majorité de la Cour a développé un test en deux étapes pour créer ces nouveaux pouvoirs. Ce test a été défini dans la décision R v. Waterfield de la Cour d'appel d'Angleterre (39).

    À la première étape du test Waterfield, le tribunal doit déterminer si le pouvoir policier en question s'inscrit dans le cadre général des devoirs policiers, tel que le maintien de la paix, la prévention du crime ou la protection des personnes ou des biens (40). Lors de la deuxième étape de ce test, le tribunal doit s'assurer que le pouvoir policier est raisonnablement nécessaire pour accomplir ce devoir (41). Depuis l'an 2000, les juges de la Cour suprême ont créé de nouveaux pouvoirs policiers dans la majorité des cas où l'État évoque ce besoin (42).

    La doctrine des pouvoirs...

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