Le refus de soins psychiatriques est-il possible au Quebec? Discussion a la lumiere du cas de l'autorisation de soins.

AuthorBernheim, Emmanuelle

Personal inviolability is a fundamental principle in Quebec law, which is notably being updated to include the right to refuse treatment. Even when a person does not have the capacity to consent to care, personal autonomy must be taken into account, and at best observed. The law thus reflects the importance of self-determination. The empirical research discussed in the present article concerns the update of these fundamental principles in the domain of psychiatry. In light of jurisprudence, interviews, and observations conducted at the Quebec Superior Court, the author documents current practices in the authorization for treatment. A review of the general principles regarding consent and the right to refuse treatment and of the specific parameters regarding the authorization for care puts in question, on the one hand, the relevance of current interpretation and application of these principles, and on the other hand, the consequences that result for psychiatric patients.

Le droit a l'inviolabilite de la personne est fondamental au regard du droit quebecois et son actualisation procede notamment du refus de soins. Meme dans le cas d'une inaptitude demontree a consentir aux soins, les volontes individuelles doivent etre au moins prises en compte, au mieux respectees, ce qui demontre l'importance accordee a l'autodetermination. La recherche empirique dont il est question ici porte sur l'actualisation de ces principes fondamentaux en matiere psychiatrique. A la lumiere de la jurisprudence, d'entretiens et d'observations menees a la Cour superieure du Quebec, l'auteure documente les pratiques en matiere d'autorisation de soins. L'examen des principes generaux du consentement et du refus de soins et des parametres specifiques a l'autorisation de soins permet de questionner, d'une part, la pertinence des interpretations et des applications actuelles et, d'autre part, leurs consequences pour les patients psychiatriques.

Introduction I. Cadre juridique : du refus a l'autorisation de soins A. Principes generaux : le refus de soins en psychiatrie B. Le regime exceptionnel de l'autorisation de soins II. Les constats de la recherche empirique A. La methodologie de recherche B. Les resultats de recherche 1. Des principes generaux le plus souvent inappliques 2. De l'aptitude a consentir aux soins : un concept juridique ? 3. De la necessite des soins : la chasse gardee de l'expert Conclusion : de la citoyennete et du droit au refus de soins Introduction

Au debut des annees 1960, au Quebec, l'election du gouvernement de Jean Lesage donne le coup d'envoi a la Revolution tranquille (1). En une decennie, de multiples changements surviennent, notamment concernant les droits des groupes minoritaires, qui revendiquent la reconnaissance du principe juridique d'egalite (2). Cette reconnaissance > (3). Par exemple, la femme mariee, consideree incapable depuis 1866, retrouve la gestion de ses biens, puis l'egalite entre epoux est affirmee (4). Certains droits sont reconnus a l'enfant, tant legitime qu'illegitime (5).

Pour la premiere fois, dans le cadre du systeme de sante, des droits sont reconnus a tous les citoyens quebecois (6) : le droit de > (7), le droit de choisir son professionnel et son etablissement de sante, ainsi que le droit a la confidentialite du dossier medical (8). Autre fait majeur: la participation citoyenne est pour la premiere fois encouragee et un processus de plainte est mis en place (9). Il s'agit donc d'une veritable revolution par laquelle l'individu se voit mis au centre du systeme, dans une perspective egalitaire.

Dans les memes annees, la publication de l'ouvrage Les fous crient au secours (10) fait l'effet d'une bombe, devoilant les conditions d'hospitalisation dans les hopitaux psychiatriques (11). Des psychiatres appuient ouvertement les revendications des patients internes et l'enjeu devient rapidement politique et largement mediatise (12). Le gouvernement quebecois met sur pied la Commission d'etude des hopitaux psychiatriques (13), puis entreprend une reforme des services psychiatriques qui s'inscrit dans la reorganisation globale du systeme de sante. On favorise la mise en place de programmes therapeutiques et une premiere vague de desinstitutionnalisation est amorcee (14). En meme temps, les hopitaux generaux se dotent de departements de psychiatrie et la Loi instituant l'assurance-hospitalisation instaure la gratuite des traitements en milieu hospitalier (15). C'est la fin de l'asile tel qu'on l'avait connu jusque-la.

Au chapitre des droits des patients psychiatriques (16), des organismes voues a la reinsertion sociale et la defense des droits des personnes desinstitutionnalisees ou vivant avec une maladie mentale voient le jour. De meme, des comites de beneficiaires tentent, a l'interieur des hopitaux, de contribuer a la mise en place d'une culture des droits. Les premieres revendications concernent les droits negatffs et notamment la protection contre les arrestations et les detentions arbitraires et contre les traitements cruels, inhumains ou degradants (17). C'est surtout devant les tribunaux que les premiers debats concernant les droits fondamentaux des usagers des services de sante mentale ont lieu (18). Aussi, des ameliorations notables en ce qui a trait aux droits civils ainsi qu'a l'equite procedurale sont dues a la Charte canadienne des droits et libertes (19).

Au regard du refus de traitement, cependant, aucune disposition n'a prevu de mecanisme particulier jusqu'a la fin des annees 1980, malgre la reconnaissance dans le Code civil du Bas-Canada (20) des droits a l'inviolabilite de la personne et au consentement aux soins. La question des modalites de traitement est pourtant d'autant plus cruciale en psychiatrie que, depuis les annees 1950, le developpement et la disponibilite de medications variees ont radicalement change la pratique medicale (21). En effet, si, au depart, la medication a contribue a la sortie de l'asile de nombreux patients, > (22), un outil de desinstitutionnalisation, de prevention du syndrome de la porte tournante (23) et de rengorgement des urgences (24). Le debat sur le droit au refus de traitement des patients psychiatriques, tel qu'il s'est developpe au debut de la decennie 1970 (25), met en lumiere des positions antagonistes encore actuelles aujourd'hui (26). Pour les psychiatres, la loi ne doit pas constituer un obstacle au traitement, les confinant a un role de geolier difficilement conciliable avec leurs obligations ethiques (27). Pour les juristes, la loi confie aux psychiatres un role preponderant, paternaliste, oppose aux premisses du droit civil et des droits de la personne (28). Pour les malades, l'equilibre reste a trouver entre le respect des droits et le retour a la sante (29).

A la fin des annees 1980, une nouvelle vague de reformes de la justice et de la sante est initiee. Au coeur de ces changements, soulignons la place privilegiee attribuee a l'individu et au discours sur les droits, envisages comme autonomistes et emancipatoires. L'efficacite du systeme repose desormais, du moins en partie, sur la revendication des droits, ce qui justifie l'inflation legislative et la judiciarisation (30). Le tribunal, en tant que > (31), devient incontestablement l' > (32). Il constitue donc, dans ce contexte, l'ultime rempart contre l'atteinte aux droits fondamentaux (33).

Dans notre recherche doctorale, nous nous sommes interessee a l'application du regime d'autorisation de soins (34) par les juges de la Cour superieure du Quebec. Apres une analyse de contenu de la jurisprudence, nous avons rencontre des juges en entretien et en observation. Les donnees de la recherche empirique eclairent les tendances constatees dans les decisions judiciaires, notamment sur l'interpretation problematique du critere d'inaptitude a consentir aux soins. Plus globalement, notre etude souleve des questions sur reffectivite de la protection judiciaire du droit a rinviolabilite des patients psychiatriques et, consequemment, sur la possibilite pour ces derniers d'opposer un refus de soins. Nous ne nous prononcons cependant pas sur la necessite des traitements que l'on cherche a imposer dans le cadre des demandes d'autorisation de soins et nous ne remettons d'aucune facon en question le fait qu'il soit parfois necessaire d'imposer des soins a certains patients.

Nous developperons cette reflexion en deux temps. D'abord, nous exposerons le cadre juridique en matiere de refus et d'autorisation de soins (I). Ensuite, nous presenterons notre methodologie et nos resultats de recherche (II).

  1. Cadre juridique : du refus a l'autorisation de soins

    Le cadre juridique en matiere de soins, tel que nous le connaissons actuellement, est le fruit d'une riche evolution legislative et jurisprudentielle. En matiere psychiatrique, cependant, bien que les principes generaux en matiere de refus de soins soient applicables, certaines specificites doivent etre prises en compte. Dans un premier temps, nous exposerons les principes generaux du refus de soins en psychiatrie (A), puis, dans un second temps, nous nous attarderons au regime particulier d'autorisation de soins (B).

    1. Principes generaux : le refus de soins en psychiatrie

      C'est en 1971 que l'universalite de la personnalite juridique ainsi que les droits a l'inviolabilite de la personne et au consentement aux soins sont introduits au Code civil du Bas-Canada (35). Au regard de la pratique psychiatrique, pourtant, certains auteurs de l'epoque rapportent des pressions exercees sur les patients afin qu'ils acceptent d'etre traites (36). Les patients admis en cure fermee etaient le plus souvent consideres incapables de donner leur consentement, et leur medecin traitant pouvait adresser une requete ecrite au curateur public, permettant a un fonctionnaire d'approuver les soins sans meme avoir vu le patient (37). Il etait de pratique courante de traiter ces patients contre leur gre, et le fait de refuser un traitement entrainait le plus...

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