Regles parlementaires concernant les projets de loi emanant de deputes.

AuthorMacKay, Robin
PositionArticle vedette

Au Parlement du Canada, on remarque depuis quelques annees que les projets de loi emanant de deputes qui recoivent la sanction royale sont de plus en plus nombreux et complexes. Ces projets de loi vont souvent au dela de simples dispositions consistant a modifier le nom d'une circonscription ou a instituer une journee commemorative. Ils s'attaquent desormais a la modification de mesures legislatives d'une grande complexite, comme le Code criminel. Devant la multiplication des projets de loi de ce type et leur importance grandissante, le present article aborde la question suivante: les regles du Parlement concernant les projets de loi emanant de deputes sont elles adaptees a la nouvelle realite? Ces regles donnent au gouvernement au pouvoir un controle enorme sur l'avancement des mesures legislatives qu'il propose, mais elles n'en font pas de meme pour les projets de loi emanant de deputes. Compte tenu des ressources relativement limitees consacrees a ces projets de loi, nous sommes en droit de nous demander si la structure institutionnelle actuelle permet de composer avec leur poids toujours plus grand. Le present article propose donc quelques mesures pour que les projets de loi emanant de deputes soient debattus de maniere franche et exhaustive, comme ils le meritent.

Introduction

Ces dernieres annees, la facon dont le Parlement du Canada discute des politiques publiques et les applique s'est considerablement transformee. Cela tient a l'augmentation du nombre et de la complexite des projets de loi emanant de deputes qui ont recu la sanction royale. Au cours des deux mandats de Brian Mulroney comme premier ministre du Canada (1984-1993), 32 projets de loi emanant de deputes ont recu la sanction royale, et 18 d'entre eux portaient sur la modification du nom d'une circonscription (1). En comparaison, durant les trois mandats de Stephen Harper a titre de premier ministre (2006-2015), 63 projets de loi emanant de deputes ont recu la sanction royale, mais aucun ne visait le changement du nom d'une circonscription. Bien sur, les projets de loi emanant de deputes se sont multiplies, mais ce n'est pas tout; ils portent de plus en plus souvent sur des mesures legislatives d'une grande complexite, comme le Code criminel (2). De 1910 a 2005, 13 projets de loi emanant de deputes sur la politique en matiere de justice criminelle ont ete adoptes. De 2007 a 2015, il y en a eu 20 de plus (3). Le nombre que l'on a mis presque un siecle a atteindre a ete depasse en moins d'une decennie. Compte tenu de l'augmentation du nombre et de l'importance des projets de loi de ce type, le present article aborde la question suivante: les regles actuelles du Parlement concernant les projets de loi emanant de deputes sontelles adaptees a la nouvelle realite?

Le traitement des affaires emanant des deputes

Les regles parlementaires regissant le traitement des projets de loi emanant de deputes ont evolue tout au long de l'histoire du Canada. Au debut de la Confederation, la Chambre consacrait une grande partie de son temps a l'etude des projets de loi d'interet prive ou aux projets de loi emanant de deputes. Or, les gouvernements successifs ont trouve que le temps dedie a l'avancement de leurs propres programmes legislatifs n'etait pas suffisant, et le Reglement a ete modifie au fil des ans pour que la Chambre accorde davantage de temps aux affaires du gouvernement (4). Ensuite, pour repondre aux recommandations formulees par le Comite special sur la reforme de la Chambre des communes (le > cree en decembre 1984), une plus grande place a ete donnee aux affaires emanant des deputes (5).

Dans son rapport final presente a la Chambre en juin 1985, le Comite resume le probleme des affaires emanant des deputes de la facon suivante:

La procedure actuelle est telle que la Chambre n'attache pas une grande importance a ces mesures [...] Aussi les deputes sont-ils peu enclins a se prevaloir du droit qui leur echoit par suite du tirage au sort qui determine l'ordre des affaires emanant des deputes. Ce manque d'interet tient surtout au fait que ces projets de loi et ces motions se rendent rarement a l'etape de la mise aux voix (6) Le Comite a recommande que l'on fasse une place plus grande au role de legislateur des simples deputes en soutenant que: > On estimait que le renforcement du role des deputes etait essentiel au retablissement de la confiance des citoyens envers la Chambre des communes comme principale institution democratique du pays. Les recommandations du Comite McGrath appuyaient les modifications apportees au Reglement et qui constituent la base des regles modernes concernant les affaires emanant des deputes, dont l'etablissement de l'ordre de priorite et la facon de debattre des differentes questions (8).

Le rapport du Comite McGrath reconnaissait l'importance des projets de loi emanant de deputes, et pour cause. Les projets de loi de ce type donnent aux deputes l'occasion d'agir de leur propre chef et d'attirer l'attention du Parlement sur un enjeu qui leur tient a coeur ou qui est important pour leur circonscription. Pour un depute, c'est aussi un moyen de se distinguer et de ne pas se fondre parmi les membres d'un caucus qui peuvent etre parfois nombreux. De plus, le gouvernement au pouvoir peut etre tente de reprendre pour son compte un enjeu souleve dans un projet de loi emanant d'un depute. Par consequent, la mise en place d'un cadre efficace pour le traitement des projets de loi emanant de deputes peut contribuer a legitimer le Parlement aupres de l'electorat qui, rappelons-le, vote de maniere concrete, pour des personnes, et non de maniere abstraite, pour une legislature.

Il importe ici de preciser ce qui distingue les differents types de projets de loi emanant de deputes (9). Certains servent a attirer l'attention sur un sujet particulier en demandant la proclamation d'une journee commemorative (10). Les regles parlementaires qui regissent les projets de loi emanant de deputes semblent tout a fait appropriees pour ce type de mesure legislative. Mais d'autres projets de loi emanant de deputes ont beaucoup plus de portee sur le plan juridique, comme ceux visant a modifier le Code criminel. Par exemple, si un projet de loi emanant d'un depute porte sur la creation d'une nouvelle infraction criminelle, il aura certes des repercussions sur la societe en general, mais aussi une incidence d'envergure sur les services de police, les procureurs de la Couronne et les avocats de la defense, les juges ainsi que les systemes correctionnel et de liberation conditionnelle. Tous les intervenants du systeme de justice penale devront recevoir une formation au sujet de cette nouvelle infraction. L'augmentation recente du nombre projets de loi emanant de deputes et le fait qu'on utilise de plus en plus souvent ces projets de loi pour faire de grands changements dans la justice penale souleve la question suivante: les pratiques de la Chambre des communes et du Senat en la matiere doivaitelles etre reformees, afin que ces projets de loi recoivent toute l'attention parlementaire qu'ils meritent?

Controle du processus legislatif

L'une des taches les plus importantes qui incombent au Parlement en vertu de la Loi constitutionnelle de 1967 est de definir le droit penal du pays (11). L'Etat s'acquitte principalement de cette tache au moyen du Code criminel, mais il y a des dizaines d'autres lois, comme la Loi regleinen tan t certaines drogues et autres substances (12), qui definissent les activites criminelles et prevoient l'imposition d'amendes ou de peines d'emprisonnement a ceux qui les commettent. Le fait de priver des Canadiens de leur liberte ou de leurs biens doit etre traite avec le plus grand serieux, et le gouvernement federal se doit de garantir que ses propres projets de loi en matiere de droit penal seront debattus dans l'ordre qu'il aura choisi. Comme le precisait un ancien legiste et conseiller parlementaire: > Cela ne s'applique toutefois pas aux projets de loi emanant de deputes, qui sont appeles conformement au rang qu'ils occupent dans l'ordre de priorite, lequel est etabli en fonction du rang d'un depute dans la liste portant examen des affaires emanant des deputes.

Les deputes ne peuvent modifier d'euxmemes le rang qu'ils occupent dans cette liste, puisque l'ordre y est determine de facon aleatoire au debut de la premiere session d'une legislature (14); pour changer ce rang, il faut le consentement unanime de la Chambre des communes. En outre, les deputes n'ont pas le droit de changer de rang entre eux (15). De plus, les deputes n'ont pas beaucoup de controle sur le...

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