REMUER CIEL ET TERRE : LA DIGNITE ET L'AUTONOMIE APRES LA MORT AU REGARD DE L'EXHUMATION.

AuthorLessard, Michael

Introduction I. Le cadre juridique : entre volontes et considerations pratiques II. Les categories d'exhumation : volonte, logistique et recherche III. L'exercice de la volonte intime A. Une volonte claire des defunt-es B. Rechercher la volonte probable des defunt-es C. La volonte des substituts decisionnaires : qu'est-ce qu'un motif serieux? IV. Une jurisprudence propice a l'exhumation logistique Conclusion Introduction

> (1) Ainsi debute l'enquete journalistique menee par l'ancien policier Stephane Berthomet. On decouvre tout au long de sa populaire baladoemission > que le cadavre de Marie-Paule Rochette est celui de la noyee inconnue de la riviere des Prairies retrouvee en 1953 et inhumee dans une fosse commune du Repos Saint-Francois d'Assise, a Montreal. Git donc, dans le lot cimeterial B-24667, la depouille mortelle de MariePaule Rochette. Acceptera-t-on de l'exhumer a Montreal afin de l'inhumer aupres de ses proches a Quebec?

En 2016, une demande a ete presentee en ce sens a la Cour superieure, qui l'a rejetee (2). Tout en reconnaissant le caractere louable de la demarche, le tribunal souligne que, ne sachant pas exactement ou se trouve le cadavre de Marie-Paule Rochette, l'exhumation troublerait le repos eternel de plusieurs autres personnes decedees et inhumees dans la fosse commune. Le respect des defuntes prime ici sur la volonte des vivantes et sur l'interet de Marie-Paule Rochette d'occuper la place qui lui est reservee dans le caveau familial. Les cas similaires a celui de MariePaule Rochette sont rares. Bien souvent, le respect du repos eternel cede le pas a la volonte des vivantes. Comment comprendre alors les mecanismes qui encadrent l'exhumation?

L'objet de cet article est de retracer l'articulation du respect des personnes decedees en droit civil quebecois en prenant comme terrain d'exploration le droit relatif a l'exhumation. Notons d'entree de jeu que l'exhumation peut etre demandee pour d'autres raisons que celle de servir l'interet de la famille ou de la personne decedee. Je propose, dans ce texte, de diviser les exhumations en trois categories de fondements juridiques : (1) la volonte intime (de la personne decedee ou de ses substituts decisionnaires) relative a la disposition du corps, (2) la logistique funeraire (changement de destination du lieu d'inhumation ou reparation de la sepulture) et (3) la recherche (enquete du ou de la coroner ou recherche archeologique) (3).

J'observe que le droit civil quebecois accorde une haute importance aux volontes des personnes en ce qui concerne le mode de disposition de leur corps et leur lieu de sepulture (4). Dans la jurisprudence, celles-ci sont prises en compte et priment sur d'autres facteurs, meme lorsqu'elles n'ont pas ete clairement exprimees, puisque l'on tente alors de decouvrir les volontes implicites, voire probables, des personnes decedees en interpretant leurs gestes, leurs paroles et leurs ecrits--bref, leur vie. A cette fin, des juges emploient, selon mon analyse, une approche narrative pour determiner ce que la personne decedee aurait souhaite (5).

Je remarque egalement que l'interpretation du caractere permanent de l'inhumation est a geometrie variable. Les juges rappellent de maniere frequente l'importance de la permanence de l'inhumation et l'exigence corollaire d'un motif serieux justifiant l'exhumation. Bien que le critere du motif serieux s'applique a toutes les demandes en exhumation, il n'a en pratique d'effet que sur les demandes fondees sur la volonte des substituts decisionnaires. Les tribunaux scrutent ainsi la moralite des raisons qui fondent les demandes des substituts decisionnaires (6). A l'inverse, les tribunaux tendent a considerer que les exhumations a des fins logistiques sont toujours fondees sur des motifs serieux (7), bien que leur seriosite ne paraisse pas toujours evidente. Suivant ce raisonnement, ils ont autorise, depuis l'entree en vigueur du Code civil du Quebec, l'exhumation de plus de 3 875 cadavres. Ainsi, l'exigence du motif serieux s'articule de maniere plus stricte a l'egard de la volonte des substituts decisionnaires (qui s'appuie sur des motifs emotionnels ou symboliques) qu'a l'egard de celle des responsables de la logistique funeraire (qui s'appuie sur des motifs financiers).

Sur le plan methodologique, j'ai analyse aux fins de ma recherche ce qui m'apparait etre l'ensemble des jugements en exhumation rendus et publies depuis l'entree en vigueur du Code civil du Quebec (8). J'ai examine les raisons exposees par les juges pour justifier une exhumation ou la refuser, de sorte a offrir, dans une approche doctrinale, une conceptualisation des fondements et des motifs relatifs a l'exhumation judiciaire. Le contraste entre l'ancien droit relatif a l'exhumation et le droit nouveau, que nous examinerons dans la Partie I, justifie une cesure entre le Code civil du Bas-Canada et le Code civil du Quebec.

Cet article se divise en quatre parties. Dans la premiere, je dresse le cadre juridique dans lequel s'effectue cette recherche, en accordant une attention particuliere aux changements relatifs a la volonte intime survenus avec l'entree en vigueur du Code civil du Quebec. Dans la deuxieme partie, j'offre une categorisation des divers fondements juridiques des exhumations qui permettra de mieux orienter le reste de la reflexion. Dans la troisieme partie, j'aborde de front la question du traitement de l'autonomie corporelle et de la volonte intime apres la mort. Je detaille comment des juges determinent la volonte probable des defuntes en recourant a une approche narrative. Je brosse egalement le portrait de la notion du > mise de l'avant par la jurisprudence. Dans la quatrieme partie, j'expose la facilite avec laquelle les tribunaux acceptent les demandes d'exhumation a des fins logistiques.

  1. Le cadre juridique : entre volontes et considerations pratiques

    Le droit civil quebecois accorde generalement a toute personne le droit de decider de la disposition de son corps apres sa mort. Voila la concretisation posthume des principes de l'autonomie corporelle (9) et de l'inviolabilite du corps humain (10) qui sont aux fondements de notre droit civil. Une personne peut donc regler ses funerailles (11); donner son corps, ses organes et ses tissus a des fins medicales ou scientifiques (12); consentir a une autopsie (13); et, ultimement, decider du mode de disposition de son corps (14). A defaut de volontes connues, un mecanisme de substitution decisionnaire se met en place : les heritiers et heritieres ou successibles peuvent decider des funerailles et determiner le mode de disposition du corps (15), et la personne qui pouvait, ou aurait pu, consentir aux soins peut autoriser un prelevement d'organes et de tissus ainsi qu'une autopsie (16). Notons que, dans son rapport jaune, le Comite des droits et devoirs civils de l'Office de revision du Code civil proposait que les substituts decisionnaires decident des funerailles et de la disposition du corps > (>) de la personne decedee, mais cette formulation rattachant la substitution decisionnaire a la volonte de la personne decedee n'a pas ete reprise dans le libelle du Code civil du Quebec (17). Les substituts decisionnaires sont donc responsables de prendre des decisions relatives au corps de la personne decedee sans toutefois etre tributaire des volontes de cette derniere, de sorte qu'on ne peut dire qu'ils poursuivent l'exercice de son autonomie corporelle en son nom. En resume, si le droit reconnait la primaute aux volontes de la personne decedee (18), un regime de substitution permet aux vivantes de combler l'absence de telles volontes (19).

    Dans le contexte precis de l'exhumation, ce principe general de l'autonomie corporelle s'applique en vertu de l'article 42 du Code civil du Quebec (C.c.Q.), sous le chapitre > (>), qui permet a toute personne de regler ses funerailles et le mode de disposition de son corps, et, subsidiairement, s'en remet aux heritiers, heritieres ou successibles qui deviennent alors des substituts decisionnaires :

    42. Le majeur peut regler ses funerailles et le mode de disposition de son corps ; le mineur le peut egalement avec le consentement ecrit du titulaire de l'autorite parentale ou de son tuteur. A defaut de volontes exprimees par le defunt, on s'en remet a la volonte des heritiers ou des successibles. Dans l'un et l'autre cas, les heritiers ou les successibles sont tenus d'agir; les frais sont a la charge de la succession.

    42. A person of full age may determine the nature of his funeral and the disposal of his body; a minor may also do so with the written consent of the person having parental authority or his tutor. In the absence of wishes expressed by the deceased, the wishes of the heirs or successors prevail. In both cases, the heirs or successors are bound to act; the expenses are charged to the succession.

    [Soulignements ajoutes] (20)

    L'article 42 C.c.Q., qui ne traite pas explicitement de l'exhumation, pourrait sembler ne pas s'appliquer aux demandes en exhumation. Cependant, la jurisprudence se fonde sur cet article pour affirmer qu'une exhumation peut etre autorisee dans l'objectif de respecter la volonte de la personne decedee. Par exemple, dans Lapolla Longo c. Lapolla, le juge Clement Gascon, alors a la Cour superieure, est saisi d'une demande en exhumation d'un defunt enterre au Quebec pour une nouvelle mise en terre en Italie (21). Il explique que (22). Le juge Gascon analyse ensuite les actes du defunt et conclut que > (23). Le juge Gascon motive donc l'exhumation par la regle de l'article 42 C.c.Q., qui prevoit le respect de la volonte de la personne decedee.

    La jurisprudence se fonde egalement sur l'article 42 C.c.Q. pour etablir qu'une exhumation peut etre autorisee afin de respecter la volonte des substituts decisionnaires. En ce sens, dans Malutta, la Cour d'appel s'exprime sur la demande d'un substitut decisionnaire souhaitant reunir ses parents dans le meme lot cimeterial (24). Les juges...

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