Le tribunal des droits de la personne devant la cour d'appel du Quebec: appel a plus de deference.

AuthorSenecal, Sebastien
PositionAbstract into II. Le concept de la specialisation des fonctions B. Les limites de la specialisation des fonctions, p. 475-500

As a specialized court, the Quebec Human Rights Tribunal is protected by an ouster clause that is intended to keep it free from the exercise of judicial review by the Superior Court of Quebec. However, any final decision of the Tribunal may be appealed, with leave, to the Court of Appeal. In exercising this appellate jurisdiction, the Court tends to show very little deference to the Tribunal, questioning not only its conclusions of law, but also, quite frequently, its assessment of facts. The authors argue that this form of interference defies the principle of specialization of duties observed in Supreme Court of Canada jurisprudence, which in turn undermines the Tribunal's ability to implement and enforce a reasoning based on human rights and freedoms in accordance with its mandate under the Quebec Charter of Human Rights and Freedoms.

A titre de tribunal specialise, le Tribunal des droits de la personne du Quebec est protege par une clause privative qui le met, en principe, a l'abri de l'exercice du controle judiciaire par la Cour superieure du Quebec. Toutefois, les decisions finales du Tribunal peuvent etre l'objet d'un appel, sur permission, devant la Cour d'appel du Quebec. Dans l'exercice de cette competence d'appel, la Cour tend a faire preuve de tres peu de deference envers le Tribunal, n'hesitant pas a remettre en cause non seulement ses conclusions de droit, mais aussi, assez frequemment, son appreciation des faits. Les auteurs soutiennent que cet interventionnisme bat en breche le principe de la specialisation des fonctions, observe dans la jurisprudence de la Cour supreme du Canada, et compromet ainsi la capacite du Tribunal a appliquer et imposer un raisonnement propre aux droits et libertes de la personne, conformement au mandat qui lui echoit en vertu de la Charte des droits et libertes de la personne du Quebec.

Introduction I. L'exercice de la competence d'appel de la Cour d'appel du Quebec a l'encontre des decisions du Tribunal des droits de la personne : d'une certaine confusion a un interventionnisme certain A. Les arrets Quebec Cartier et Dliawan B. Retour eu arriere : nonne applicable a un simple appel d'une decision d'un tribunal general C. L'arret Commission scolaire des Phares D. L iuret Association des pompiers de I aval E. Les arrets Gallardo et Saguenay (Ville de) F. In propension a intervenir de la Cour d'appel du Quebec II. Le concept de la specialisation des fonctions : remettre en question l'exclusion des tribunaux des droits de la personne A. In developpement du concept de la specialisation des fonctions B. Les limites de la specialisation des fonctions : les droits de la personne ? 1. L'arret Zurich Insurance 2. L'arret Mossop C. In concept de la specialisation des fonctions post-Dunsmuir 1. In specialisation des fonctions dans le contexte des droits de la personne post-Dunsmuir 2. L'exception de la competence concurrente (huis le contexte des droits de la personne 3. Les lecons a tirer de l'arret Wliatcott Conclusion Addenda Annexe [L]orsque le legislateur a confere a un tribunal [...] une competence specialisee, l'expertise de ce tribunal ou de l'organisme en question doit etre respectee (1).

Introduction

Avant que ne soit institue le Tribunal des droits de la personne en 1990 (2), certains critiquaient la relative timidite des tribunaux de droit commun dans leur application de la Charte des droits et libertes de la personne (3) (ci-apres >). Depuis, l'impulsion qu'a donnee le Tribunal a la Charte quebecoise, en general, et a sa norme d'egalite, en particulier, fait largement consensus (4). Il arrive meme que les tribunaux de droit commun et les tribunaux administratifs s'inspirent de la jurisprudence du Tribunal fondee sur la Charte quebecoise, notamment en matiere de harcelement et de discrimination (5).

Qu'il s'agisse du president du Tribunal, d'un autre juge de la Cour du Quebec appele a y sieger ou des assesseurs qui les assistent, tous sont nommes du fait qu'ils > (6). Cette specialisation averee explique sans doute pourquoi, aux termes de l'article 109 de la Charte quebecoise, une cour superieure ne peut exercer son pouvoir de revision et de controle contre le Tribunal > (7).

Toutefois, l'article 132 de la Charte quebecoise prevoit la possibilite d'en appeler > (8). De l'entree en fonction du Tribunal, le 10 decembre 1990, au 15 avril 2015, les juges de la Cour d'appel ont refuse trente-trois (33) requetes pour permission d'en appeler a l'encontre de decisions finales du Tribunal et en ont accueillies quarante-sept (47) (9). Pendant cette meme periode, la Cour a tranche l'appel sur le fond dans quarante-cinq (45) cas. A trente (30) de ces occasions, c'est-a-dire dans plus des deux tiers des cas (66,7 %), la Cour a infirme, en tout ou en partie, la decision finale du Tribunal a la faveur de la personne ou de l'organisme a qui la discrimination avait ete imputee. Cette proportion demeure considerable compte tenu du fait que, dans l'exercice de son role general de traitement, de gestion et de filtrage des plaintes de discrimination (10), la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse ne saisit le Tribunal que des demandes pour lesquelles elle n'est pas parvenue a obtenir un reglement (11) et qui lui paraissent, apres enquete (12), suffisamment bien fondees (13).

Il faut donc reconnaitre qu'il existe une tension entre la Cour d'appel du Quebec et le Tribunal et, plus generalement, entre les cours de justice et les tribunaux des droits de la personne. Certains juges mettent en doute l'expertise reelle de ces tribunaux puisque, traditionnellement, la deference a l'egard de l'interpretation d'une loi s'acquiert parce que certains organismes possedent une expertise dans l'administration de regimes legislatifs juges complexes (14). Il faut dire que la retenue judiciaire a l'egard des instances specialisees s'explique plutot par la reconnaissance, par la Cour supreme du Canada, du fait que l'interpretation des lois n'est pas une science exacte et qu'une meme disposition legislative peut mener a plus d'une interpretation valide. Des 1979, dans l'arret S.C.F.P. c. Societe des Alcools du Nouveau-Brunswick, le juge Dickson, au nom de la Cour supreme, incite les juges generalistes a faire preuve de deference a l'egard des tribunaux specialises lorsque ceux-ci interpretent une loi qui ressort de leur expertise particuliere (15). Selon l'arret S.C.F.P., les tribunaux specialises sont aptes a rendre des decisions parfaitement rationnelles lorsqu'ils interpretent leur propre loi constitutive parce que leurs membres ont acquis une expertise et une experience en la matiere et non parce que le regime qu'ils mettent en oeuvre est complexe. C'est un signal puissant voulant que les cours de justice ne disposent pas du monopole de l'interpretation des lois et qu'evaluer la justesse des conclusions du tribunal specialise ne soit pas toujours souhaitable.

La these que nous defendrons part de cette idee centrale, developpee par le juge Dickson dans l'arret S.C.F.P., selon laquelle les tribunaux judiciaires devraient faire preuve de retenue lorsqu'il existe de bonnes raisons de le faire, l'expertise etant le facteur le plus important a prendre en compte. Ainsi, notre these veut que le critere de la raisonnabilite doive s'appliquer aux decisions du Tribunal malgre la presence, dans la Charte quebecoise, d'un droit d'appel. Comme l'a affirme le juge Iacobucci dans l'arret Canada (Directeur des enquetes et recherches) c. Southam Inc., l'appel a l'encontre d'une decision d'un tribunal specialise ne saurait etre confondu avec l'appel d'un jugement d'un tribunal civil de premiere instance (16).

Pour etayer notre position, nous exposerons d'abord la jurisprudence de la Cour d'appel en ce qui concerne la norme de controle appliquee aux decisions du Tribunal. Cette analyse revelera que cette cour ne fait, pour ainsi dire, preuve d'aucune retenue judiciaire a l'egard des decisions du Tribunal (I). Nous examinerons ensuite la jurisprudence de la plus haute cour du pays, plus particulierement celle ayant trait au concept de la specialisation des fonctions. Tout en reconnaissant l'expertise des differents tribunaux specialises, une majorite de juges de la Cour supreme du Canada hesite a se laisser guider pleinement par ce concept a l'egard des decisions des tribunaux des droits de la personne. Enfin, nous terminerons cette analyse en suggerant que cette vision restrictive de la specialisation des tribunaux des droits de la personne, dont celle de la Cour d'appel du Quebec a l'egard du Tribunal des droit de la personne, a ete affaiblie par l'arret Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott dans lequel la Cour supreme pave la voie au developpement d'une nouvelle relation entre les tribunaux des droits de la personne et les cours de justice (17), decision dont devrait imperativement s'inspirer la Cour d'appel du Quebec (II).

  1. L'exercice de la competence d'appel de la Cour d'appel du Quebec a l'encontre des decisions du Tribunal des droits de la personne : d'une certaine confusion a un interventionnisme certain

    1. Les arrets Quebec Cartier et Dhawan

      La Cour d'appel du Quebec s'est prononcee pour la premiere fois sur la question de la norme de controle applicable aux decisions finales du Tribunal dans l'arret Quebec (Commission des droits de la personne) c. Cie miniere Quebec Cartier (re Blais) (18). Apres 29 ans de service au sein de l'entreprise, un salarie age de 60 ans, a ete licencie en raison de la fusion de son poste avec un autre. Il a ete admis en preuve que le titulaire de cet autre poste ne pouvait pas accomplir l'ensemble des taches qui y etaient liees. L'employeur a du confier une partie des taches a un subalterne du plaignant. Il a ete aussi admis en preuve que l'employeur avait licencie, ces dernieres annees, des salaries ages de 53 a 62 ans. La juge Rivet a donc conclu que le licenciement du salarie etait un acte discriminatoire fonde sur l'age...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT