Une autre voie pour la gouvernance d'entreprise ?

AuthorTchotourian, Ivan
PositionBook review

Recension critique de Lorraine Talbot, Great Debates in Company Law, Londres, Palgrave, 2014, pp 208. ISBN 9780230304451

Le droit de la gouvernance d'entreprise est a la croisee des chemins (1). Deja serieusement remis en cause au debut des annees 2000 suite aux scandales des entreprises americaines telles que WorldCom ou Enron (2), le voila de nouveau sur le devant de la scene comme il l'a finalement souvent ete par le passe (3). Faut-il s'en etonner?

Over the last 10 years, federal regulators have imposed, shareholders have pursued, and companies have voluntarily adopted an array of measures aimed at improving corporate governance of public companies. Despite these efforts--and the changes they have engendered--there is continued debate about the nature of the challenges confronting, and the efficacy of proposed improvements to, our corporate governance system. (4) La crise economico-financiere commencee en 2007-2008, couplee a l'importance prise par les preoccupations societales dans la societe ces dernieres annees, ravive le debat sur le sens et le contenu memes des regles definissant la gouvernance (5). Face a une crise de sens de la gouvernance d'entreprise, le droit se trouve interpelle, comme souvent, a chaque soubresaut economique ou scandale (6). Les rapports internationaux et nationaux (7) ont tous souligne les defaillances de la gouvernance d'entreprise et la necessite de resserrer le cadre reglementaire. En raison des lacunes et des insuffisances de ce cadre, les debats foisonnent sur les causes de cette defaillance et les solutions a y apporter. La ou > [notre traduction] (8), Company law apporte une contribution precieuse aux discussions sur la gouvernance d'entreprise, tant par son organisation que par ses objectifs, et sur l'encadrement des pouvoirs de la grande entreprise.

Company law de Lorraine Talbot est un ouvrage publie chez Palgrave dans la collection consacree aux grands debats du droit (Palgrave Great Debates in Law) (9). Cette collection vise a apporter aux etudiants un eclairage sur des concepts juridiques et a approfondir des interrogations contemporaines qui traversent le droit. L'objectif est atteint avec cet ouvrage. L'auteure y aborde plusieurs questions fondamentales et actuelles touchant le droit des societes et la gouvernance d'entreprise : qu'est-ce qu'une societe par actions (10)? Quel est son objectif? En vue de servir quels interets une entreprise doit-elle etre geree? Si ces questionnements sont aussi anciens que le droit des societes par actions lui-meme (11), renvoyant de profundis aux incertitudes entourant la nature juridique de l'entreprise (12), les enjeux demeurent considerables de nos jours. Les reponses a ces questions ont un impact direct sur la composition des organes decisionnels, sur la place respective de chacun de ces organes dans la prise de decision, sur le processus devant etre suivi et sur le contenu des decisions d'affaires.

Au plan formei, l'ouvrage de Lorraine Talbot recele d'indiscutables qualites. La premiere d'entre toutes est a notre sens d'avoir reussi, en sept chapitres et 188 pages, le tour de force de synthetiser les grands debats qui agitent le droit actuel des societes par actions et la gouvernance des entreprises. Par ailleurs, l'auteure ne surcharge pas ses developpements d'un nombre trop important de references, ce qui facilite la lecture de l'ouvrage. II faut egalement souligner le soin avec lequel professeure Talbot amenage, pour le lecteur, la possibilite de poursuivre ses reflexions en fournissant en fin de chapitre une dizaine de references complementaires (13). Enfin, cet ouvrage est redige dans un style clair, concis et comprehensible, qui repond parfaitement a l'un des buts que se donne l'auteure : initier les etudiants a une perspective differente du droit des societes par actions, amorcant une reflexion depassant un point de vue strictement technique sur la matiere (14). Le contenu de l'ouvrage denote un effort pedagogique non negligeable. Pour s'en tenir a une illustration, le chapitre 1-->--, qui traite de la delicate question de la definition de la >, distingue les modeles economique, organisationnel (lui-meme multiple--modeles d'essence liberale, institutionnels et axes sur les salaries) et juridique, offrant par ce moyen aux lecteurs un tableau synthetique et unique des differentes propositions theoriques, en soulignant parallelement leurs points de convergence et de divergence (15).

Au plan substantiel, les sept chapitres sont relies entre eux par une meme finalite : demontrer le necessaire rejet de l'approche neo-liberale et le fait que la societe par actions peut etre concue comme une > [notre traduction] (16). L'auteure explore a travers chacun de ces chapitres une thematique liee a la gouvernance d'entreprise--thematique qui fait echo a l'actualite la plus recente. La definition de la societe par actions, le role des actionnaires et du conseil d'administration, la composition de ce dernier, l'interrogation de l'effectivite du droit lorsqu'il s'agit de faire respecter les droits de l'homme par des entreprises multinationals et la place de la morale et de la responsabilite societale comme instrument de regulation sont autant de sujets traites dans Company law et ce, en passant par des sujets plus originaux (mais qui y trouvent parfaitement leur place), tels l'histoire allemande relative a la place des juifs dans les conseils d'administration des grandes banques avant la Seconde Guerre mondiale (17) ou l'etat du systeme d'education aux Etats-Unis (18).

Le premier chapitre met en perspective les multiples definitions dont la societe par actions est l'objet, suivant qu'il est fait appel a l'economique, au politique, aux sciences de l'organisation, ou encore au droit. En depit de certaines variations, cette definition oscille entre une organisation hierarchique dirigee par un conseil d'administration et la simple expression d'un marche d'investisseurs faisant appel au contrat et a la negociation individuelle (19). Les enseignements d'auteurs aussi connus qu'Alchian, Bainbridge, Berle, Blair, Chandler, Coase, Commons, Demsetz, Easterbrook, Fischel, Jensen, Keay, Lazonick, Marx, Meckling, Stout et Williamson sont presentes de maniere synthetique a cette occasion. Le chapitre 1 pose dans sa seconde partie la question de savoir si le droit joue un role dans la determination de la nature de la societe par actions. Sans donner (malheureusement) de reponse claire (si ce n'est que de ne pas nier ce role), Lorraine Talbot souligne que ce sont les implications politiques qui rendent le debat complexe (20).

Le deuxieme chapitre revient sur la qualite de proprietaire de l'entreprise qu'auraient les actionnaires (21). L'auteure critique vertement cette qualite : ils ne sont pas les proprietaires de leur entreprise (22) et ce, que ce soit en raison des droits que le legislateur leur accorde ou de leur contribution au capital-actions. Lorraine Talbot le demontre avec les affaires Percival v. Wright (23) et Dodge v. Ford Motor Co. (24): > [notre traduction] (25). Talbot s'appuie non seulement sur l'argument de Susan Watson (26) pour observer que la source des pouvoirs du conseil d'administration reside dans la loi et non dans les dispositions statutaires (de la meme maniere finalement que les autres pays de tradition de common law), excluant consequemment que ne soit rattache le qualificatif d'agent au conseil d'administration (27), mais etablit de surcroit que les actionnaires ne possedent que...

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