Une lecture du systeme normatif de l'Eglise catholique par un pluraliste comparatiste aux personnalites multiples.

AuthorVanderlinden, Jacques P.
PositionCanada

As part of their work as comparatists, legal scholars have sought to uncover all that was "legal", that is, everything linked to law, without questioning what it is exactly that they were comparing. The pluralist conception of law has progressively modified this state of affairs, reasoning in reference to the idea of a monist state inherent in classical positivism, which in turn has led to the classification of normative orders as law, sublaw, and non-law. Nevertheless, the author seeks to part with the notion of the state as a reference point by extending the study of pluralism to "all societies". Such an approach serves as an essential premise to the enquiry the author suggests, which asks whether it is possible to perceive the Catholic Church's normative system as a pluralist system, both from the point of view of "classical'" pluralisms and "critical" or "radical" pluralism. Confronted to the fact that canon law has been forgotten if not dismissed in the comparative study of laws, the author adopts in tutu an essentialist and a nonessentialist perspective to discuss the true question: is canon law a law or a theology?

Dans leur travail de comparaison, les juristes se sont attardes a rechercher tout ce qui etait >, c'est-a-dire qui avait un rapport avec le droit, sans se poser la question de ce qu'etait, tres exactement, ce qu'ils comparaient. L'hypothese pluraliste de la conception du droit a progressivement modifie cet etat de choses, raisonnant en reference au monisme etatique du positivisme classique, ce qui mena par consequent a une classification des ordres normatifs en droit, infradroit et non-droit. Pourtant, l'auteur est soucieux de rompre avec la reference etatique et cherche a elargir l'examen du pluralisme a >. Cette approche sert de premisse indispensable a l'etude que propose l'auteur, qui cherche a determiner s'il est possible de percevoir le systeme normatif de l'Eglise catholique comme un systeme pluraliste aussi bien sous l'angle des pluralismes > que celui du pluralisme > ou >. Se rendant a l'evidence que le droit canonique a ete oublie et meme ecarte dans la comparaison des droits, l'auteur adopte tour a tour une perspective essentialiste et nonessentialiste pour debattre de la vraie question : le droit canon est-il un droit ou une theologie ?

Introduction I. Le pluraliste face au systeme normatif de l'Eglise II. Le comparatiste face au systeme normatif de l'Eglise A. Le droit canonique > dans la comparaison des droits B. Le droit canonique ecarte sciemment de la comparaison des droits C. Le droit canonique, une theologie ou un droit ? D. Du droit canonique vers d'autres droits Conclusion Introduction

Avant de sortir de son propre droit pour aborder ceux des autres, le juriste qui nourrit une vocation de comparatiste se doit de se faire une certaine idee--a defaut d'une idee certaine--de l'objet auquel s'interesse cette comparaison particuliere relative a un domaine privilegie, celui du droit. Ce faisant, il est tente de transferer, sur le plan scientifique, un adage populaire : >. Le droit est sa pomme et, pense-t-il, il importe qu'il puisse trouver, aux fins de pratiquer l'exercice comparatif, d'autres pommes et surtout pas des poires, ou d'ailleurs, toute autre espece de fruit. Mais ce faisant, il se place au sein d'une categorie de fruits--relie que le cuisinier appelle les fruits a pepins, par opposition aux agrumes, aux baies, aux fruits a noyaux ou aux fruits a coque. Et il n'ignore pas qu'au sein de chacun de ces fruits a pepins, il existe d'infinies varietes de pommes et de poires. En fait, quiconque compare des fruits definit le niveau auquel il choisit d'effectuer la comparaison de maniere a assurer une certaine commensurabilite (1) entre les choses qu'il souhaite comparer.

Le juriste choisit, lui, de rechercher tout ce qui est >, donc >. Ce qu'il compare n'est pas constitue de choses, mais bien d'idees, celles qui relevent d'une categorie exprimee dans le mot >. Pendant longtemps, les juristes, et donc parmi eux l'espece particuliere formee par les comparatistes, ne se sont guere pose la question de savoir exactement ce qu'etait ce qu'ils comparaient. Issus de systemes juridiques positivistes, donc etatiques, et convaincus que seule la conception qu'ils se faisaient de ceux-ci fournissait les criteres permettant une approche universelle du droit, ils limitaient leurs considerations aux systemes presentant des similitudes essentielles avec les leurs, etant entendu qu'ils etaient euxmemes a l'origine de la conception des traits essentiels.

L'apparition de l'hypothese pluraliste de la conception du droit a progressivement modifie cet etat de choses. Toutefois, les premiers concepteurs du pluralisme juridique--et ils ont encore des disciples de tres grande qualite--ne le concevaient que par rapport aux droits positifs ou seulement comme existant necessairement au sein de ceux-ci. Ils rejetaient certes le monisme etatique du positivisme classique, mais n'en raisonnaient pas moins par reference a celui-ci, qu'il s'agisse de Santi Romano lorsqu'il analyse les systemes institutionnels de l'Eglise catholique ou de la maria, tels qu'ils fonctionnent face au systeme etatique italien (2), ou d'autres pionniers, comme par exemple Ehrlich (3) et Gurvitch (4), lorsque le premier se refere aux groupes et associations pratiquant le > ou du second lorsqu'il aborde les >, ou enfin certains anthropologues du droit lorsqu'ils etudient les droits autochtones africains, amerindiens, asiatiques ou oceaniens > au titre de champs normatifs semi-autonomes (5) par les colonisateurs (6). Pour la facilite de l'expression, je qualifierai ces divers pluralismes de >, au sens de ceux que concoivent le plus grand nombre des juristes qui s'interessent a cette idee.

Dans les pluralismes classiques, les analyses s'organisent par reference au cadre etatique dans la mesure ou l'interet des chercheurs se concentre sur les mecanismes normatifs derives du droit positif etatique ou que celui-ci incorpore, comme dans le cas du pluralisme >. Cette conception a logiquement amene l'un des sociologues du droit francais les plus eminents, Jean Carbonnier, a repartir les ordres normatifs rencontres par lui en droit, infra-droit et non-droit, etant entendu qu'il n'existe a ses yeux qu'un seul > droit, celui, positiviste, de l'Etat et ses derives directs, dont la source par excellence est la loi (7). Tout au plus peut-on reconnaitre aux phenomenes situes hors du systeme etatique global, la qualite d'infra-droit. D'apres Carbonnier, ceux-ci > (8). Or le juridique et l'infra-juridique ne font pas un pluriel, parce qu'ils ne sont pas d'identique nature (9). Tout est dit, et par le pere de la sociologie juridique francaise contemporaine, qui en definit ainsi les limites.

Quiconque s'interroge sur la nature du droit ne peut s'empecher de se sentir mal a l'aise devant ce recours a des prepositions introduites dans des syntagrnes (comme sous ou infra) ou a des adverbes impliquant l'exclusivite (tel que >). La tentation est grande de poursuivre dans cette logique et de se demander si l'existence d'un > droit implique que tout ce qui n'est pas inclus dans le systeme global etatique est donc du >. Mais alors pourquoi l'appeler du droit, pas plus qu'il n'est question d'une Rolex, lorsqu'on envisage les contrefacons de cette marque qu'ecrasent les rouleaux compresseurs de la douane simplement parce qu'elles ne sont pas > ?

Ainsi, le doute eventuel quant a ce qu'il convenait d'entendre exactement par l'adjectif > n'effleure pas les premiers pluralistes dans la mesure ou ils demeurent, nous venons de le voir, enfermes dans une demarche integralement conditionnee par la reference a l'Etat ou aux structures sociales qui peuvent y etre assimilees. Leur demarche s'organise entierement au sein du juridique, toutes especes d'autres ordres normatifs etant exclues de la reflexion et chassees dans l'infrajuridique ou le non-juridique. Se perpetue ainsi, sous des etiquettes plus >, la dualite classique entre droit d'une part et conscience individuelle, convenances, morale, politesse, religion, etc. d'autre part ; celle-ci a marque, avant et apres la mienne, la formation de bien d'autres juristes ayant aborde leur discipline au cours du vingtieme siecle. C'est aussi celle qui caracterise, pour l'essentiel et sans grands etats d'ame, les participants au volume intitule Le pluralismejuridique publie sous la direction de Glissen (10).

Par ailleurs, dans la mesure ou je me suis a l'epoque retrouve charge de proposer une synthese de leurs travaux par le responsable de ce volume, je ne me suis pas pose davantage la question de ce que pouvait etre exactement le sens de l'adjectif juridique accole a une espece de pluralisme pour la qualifier. Cependant, une contribution, presentee sous forme de resume, m'y invitait, celle de Van den Bergh (11). Elle est en effet consacree a un phenomene spontane et, comme tel, inorganise, celui du charivari se produisant dans des villages des Pays-Bas, a l'egard de la personne responsable presumee d'une rupture de fiancailles ; ainsi cette contribution relevait-elle clairement de l'anthropologie juridique. Ce texte tranchait nettement sur tous les autres qui etudiaient des phenomenes qui relevaient, eux, soit de l'infra-droit, soit du non-droit, si nous reprenons les distinctions posees par Carbonnier. Il aurait donc ete necessaire de se pencher sur les justifications permettant d'inclure le charivari dans le champ de l'anthropologie ou du pluralisme dits >, ce que je ne ris pas, en pur produit de la formation des juristes de ce temps.

De meme, dans mon > (12), si je proclame mon intention d'elargir l'examen du pluralisme a > dans le souci evident de rompre avec la reference etatique, je ne me rends pas compte qu'en me referant dans le meme texte a des mecanismes >, je postule un accord de mes lecteurs au sujet de ce qu'il faut comprendre par cet adjectif, alors que j'aurais du savoir que pareil consensus...

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