Le wampum

AuthorMercer, Tim

Dans le présent article--qui est une version abrégée et révisée d'un rapport de recherche universitaire--l'auteur met en lumière certaines caractéristiques de l'Assemblée législative de type consensuel des Territoires du Nord-Ouest. 11 examine où ce type d'assemblée se situe tant dans les traditions culturelles politiques des peuples autochtones des Territoires du Nord-Ouest (les Dénés, les Métis et les Inuvialuits) que dans la culture politique canadienne inspirée du régime parlementaire de Westminster. Selon l'auteur, le gouvernement de type consensuel des Territoires du Nord-Ouest a une structure unique qui lui permet de répondre aux besoins des résidents. Sans conclure que l'on pourrait ou devrait entièrement exporter ce système au sein des gouvernements autochtones ou des parlements canadiens, il démontre qu'en poursuivant un objectif commun et en faisant preuve de créativité politique, on peut trouver de nouvelles façons de définir un troisième espace normatif partagé, étincelant tels les joyaux qui forment les eaux du wampum à deux rangs.

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Le Gus-Wen-Tah, ou wampum à deux rangs, a été initialement négocié entre les colons néerlandais et les nations de la Confédération de Haudenosaunee. Il a servi de modèle aux traités ultérieurs conclus avec les Britanniques, notamment celui adopté à Niagara en 1764, à la suite de la Proclamation royale de 1763 (1). Les rangs de perles pourpres du wampum symbolisent les deux peuples distincts, chacun naviguant à bord de sa propre embarcation sans essayer de diriger ou d'entraver celle de son voisin. Les trois rangs de perles blanches symbolisent quant à elles la rivière commune, ainsi que la paix, le respect et l'amitié (2).

Le wampum à deux rangs renvoie à une interprétation du premier traité et des traités ultérieurs par les peuples autochtones qui diffère radicalement de l'interprétation moderne qu'en font les Canadiens non autochtones. Il ne symbolise pas un abandon de la souveraineté aux mains de la Couronne, l'abolition des titres fonciers ni le consentement à se conformer aux lois d'une autre nation. Il évoque la vision de deux peuples distincts et indépendants qui cheminent ensemble, où chacun respecte la souveraineté et l'indépendance de l'autre, et qui ont une volonté commune de vivre en paix, d'entretenir des relations amicales et d'adhérer au principe de noningérence.

Les rapports qu'entretient le Canada avec les peuples autochtones deux siècles et demi plus tard--et le triste passé qui en est à l'origine--n'ont pas grandchose à voir avec cette métaphore fondamentale. Alors même que les peuples autochtones et non autochtones font de véritables efforts pour créer une relation postcoloniale, ils se retrouvent devant un dilemme : la voie vers la décolonisation et l'autonomie gouvernementale consiste-t-elle à faire de l'espace aux peuples autochtones au sein des institutions actuelles du gouvernement canadien (à l'image du navire des colons, qui laisse de la distance entre lui et l'embarcation de ses voisins) ou si ces institutions communes vont fondamentalement à l'encontre de la relation de nation à nation imaginée dans le wampum à deux rangs et du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale?

Le présent article propose une interprétation possible de la métaphore du wampum à deux rangs qui respecte la particularité de chacun des rangs de perles pourpres de la ceinture wampum, mais met l'accent sur la rivière formée de perles blanches reliées les unes aux autres sur laquelle naviguent les deux nations. Le gouvernement de consensus des Territoires du Nord-Ouest a adapté le système parlementaire de Westminster pour tenir compte des aspects communs de la culture politique des Autochtones. Cette forme de gouvernement public adhère également au principe d'autonomie gouvernementale des Autochtones et repose sur la collaboration avec les gouvernements autochtones afin de servir les intérêts d'une population qui pourrait être représentée par l'un ou l'autre gouvernement. L'exemple des Territoires du Nord-Ouest montre que l'autonomie gouvernementale des Autochtones et le partage des institutions publiques ne sont pas incompatibles; ils peuvent coexister, s'adapter et réussir. Même si elles sont loin d'être parfaites, les institutions du gouvernement public des Territoires du Nord-Ouest montrent qu'une interprétation plus globale du wampum à deux rangs est à la fois possible et instructive, et qu'elle pourrait également être inévitable.

L'Assemblée législative de type consensuel des Territoires du Nord-Ouest

On dit souvent que les Territoires du Nord-Ouest sont la mine d'où est née la plus grande partie du Canada. Les territoires de l'ancienne Compagnie de la Baie d'Hudson, soit la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest, ont été exclus de la Confédération en 1867 en raison de la rébellion de la rivière Rouge, mais cédés au Canada en 1870, lors de la résolution du conflit et de la création de la province du Manitoba. Ses frontières politiques englobaient jadis l'actuel territoire de l'Alberta, de la Saskatchewan, du Manitoba, de vastes portions de l'Ontario et du Québec, ainsi que le Yukon et le Nunavut. Aussi l'Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest comptetelle parmi les institutions parlementaires les plus anciennes au Canada.

Frederick Haultain est le premier ministre des Territoires du Nord-Ouest de 1897, année où ils accèdent à un gouvernement responsable, jusqu'à 1905, au moment de la création des provinces de l'Alberta et de la Saskatchewan. Haultain est une figure de proue du mouvement en faveur de la création d'une seule province du Nord-Ouest dépourvue de partis politiques, qui, selon lui, sont incompatibles avec le fonctionnement efficace d'un gouvernement responsable. Bien qu'il soit exagéré d'attribuer à Haultain le type de gouvernement de consensus adopté dans les Territoires du Nord-Ouest aujourd'hui, sa vision témoigne d'un malaise naturel à l'égard des affrontements propres à la culture politique qui ne sont pas ancrés dans cette tradition.

Après 1905, l'Assemblée législative des Territoires a été abolie et remplacée par un commissaire et un conseil nommés, des postes qui ont tous été comblés par des fonctionnaires fédéraux d'Ottawa. Le conseil demeure largement inactif jusqu'en 1921, année de la découverte de pétrole à Norman Wells et de la naissance du besoin de négocier de toute urgence des traités avec les peuples autochtones de la vallée du Mackenzie. Dans les années qui suivent, un gouvernement représentatif et responsable est rétabli très progressivement dans les Territoires du Nord-Ouest, à commencer par l'ajout de trois députés élus du district de Mackenzie en 1951. Le commissaire et l'administration territoriale à Ottawa sont alors relocalisés d'Ottawa à Yellowknife en 1967. Dès lors, la taille et le pouvoir du conseil élu s'étendent lentement mais sûrement jusqu'à ce que, en 1975, ses 15 membres soient tous des résidents du Nord élus. Fait à noter, c'est la première fois dans l'histoire canadienne qu'un organe législatif est composé d'une majorité de députés autochtones. Et c'est toujours le cas aujourd'hui. Ce n'est qu'en 1987 que la présidence du Conseil exécutif, ou Cabinet, passe des mains du commissaire, encore un fonctionnaire fédéral, à celles d'un député élu choisi par ses collègues de l'Assemblée. La politique de parti ne s'est pas enracinée dans un groupe aussi hybride où se mélangeaient des députés nommés et des députés élus. Des candidats affiliés à des partis politiques se...

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