Le role des hauts fonctionnaires du parlement : deux etudes de cas.

AuthorPond, David
PositionLe commissaire

Le Parlement, les dix assemblées provinciales et les trois assemblées territoriales comptent plus de 75 hauts fonctionnaires indépendants ou quasi indépendants. De nombreux politologues soutiennent que leur influence constitue un symptôme du déclin de l'institution parlementaire. Leur popularité auprès du grand public témoigne du cynisme corrosif de la culture politique canadienne à l'égard de la politique partisane. Le présent article traite du commissaire à l'environnement et au développement durable (CEDD) au niveau fédéral et du commissaire à l'environnement de l'Ontario (CEO).

**********

A près les élections de 1993, le Comité permanent de l'environnement et du développement durable a recommandé la création d"une charge de défenseur des politiques environnementales dont le vaste mandat aurait été celui de favoriser l'écologisation de la société canadienne. Le gouvernement libéral a préféré suivre l'avis du vérificateur général Denis Desautels en cantonnant le commissaire à la vérification des programmes environnementaux existants. Il valait mieux laisser la promotion de politiques aux députés.

En tant que vérificateur environnemental, il était logique de rattacher le nouveau haut fonctionnaire du Parlement au Bureau du vérificateur général (BVG). Aux termes du projet de modification de la Loi sur le vérificateur général (C-83) du gouvernement libéral, le vérificateur général nomme le commissaire à l'environnement et au développement durable (CEDD). Ce dernier surveille la mise en Luvre des stratégies de développement durable par les ministères fédéraux. La première génération de ces stratégies devait être déposée aux Communes dans les deux ans et des mises à jour devaient être présentées tous les trois ans par la suite.

Les porte-parole libéraux ont fait remarquer à l'époque que le rattachement du CEDD au Bureau du vérificateur général ferait rejaillir sur lui le prestige d'un haut fonctionnaire parlementaire de longue date. Les ministères prenaient au sérieux les vérifications du BVG. Il leur faudrait aussi désormais rendre compte à un commissaire externe du respect de leurs engagements environnementaux. La ministre libérale de l'Environnement, Sheila Copps, a admis que le CEDD/BVG pourrait embarrasser le gouvernement pour son présumé manque de progrès en matière environnementale, tout comme le vérificateur général le faisait couramment dans d'autres domaines de l'administration publique. Le fait est que cette solution de compromis plaisait davantage au gouvernement que la création proposée par le Comité permanent d'un haut fonctionnaire de prestige chargé de reprocher aux ministres leur répugnance à embrasser le paradigme du développement durable.

Le vérificateur général à propos du rôle du CEDD

Le vérificateur général Desautels a admis que, lorsque le Parlement a modifié la première fois la Loi sur le vérificateur général pour permettre la vérification législative non financière, on pouvait légitimement craindre que le mandat élargi >, La vérification législative allait au-delà de la vérification financière traditionnelle et il n'existait pas >. Il s'ensuivrait que >. La Loi sur le vérificateur général laissait au vérificateur général le soin de déterminer oø la frontière se situe, et celle-ci n'est pas >.

Ce contexte est indispensable pour comprendre la réaction stratégique du BVG à sa nouvelle responsabilité à l'égard du CEDD. M. Desautels a explicitement défini les paramètres du rôle du nouveau CEDD de manière à protéger l'intégrité de la fonction de vérification du BVG. Le projet de loi C-83 ne faisait pas du CEDD un défenseur de politiques parce que >. La responsabilité de dresser les plans de développement durable et les systèmes de gestion permettant de suivre la mise en Luvre de ces plans devait incomber aux ministères. Le CEDD ne pouvait pas intervenir à ces stades, car cela compromettrait l'indépendance des vérifications ultérieures.

Pour les députés libéraux mécontents du recul du gouvernement par rapport au programme vert promis pendant la campagne électorale de 1993, le développement durable était devenu l'otage de l'idée que le vérificateur général se faisait du rôle du commissaire en régime de gouvernement responsable. Le premier commissaire, Bilan Emmett, l'a confirmé lorsqu'il a invoqué la responsabilité ministérielle en réponse aux députés libéraux qui le pressaient de se faire plus militant. Dans son premier rapport annuel, il rappelle aux députés que le projet de loi C-83 respecte > (3). Les ministres sont responsables des choix stratégiques. Le rôle du commissaire était d'aider les parlementaires à surveiller les efforts déployés par les ministres pour protéger l'environnement et favoriser le développement durable.

Crise

Après la nomination de Johanne Gélinas en 2001, l'échec évident du programme de développement durable devient un sujet de plainte constant dans les rapports annuels du CEDD. En 2002, elle rappelle que le Canada s'est engagé à mener un large programme de développement durable au sommet de Rio de 1992 et au sommet de suivi qui s'est tenu Johannesburg en 2002. Elle dit craindre que le manque de progrès enregistrés dans divers dossiers environnementaux importants n'entache la réputation mondiale du Canada comme pays qui tient ses engagements. En 2003, elle avertit que l'incapacité du gouvernement fédéral à combler le fossé entre sa parole et ses actes risque d'alourdir le fardeau des futures générations. En 2005, elle parle de déclin mondial de l'environnement et d'effondrement écologique. Après avoir comparé le développement durable à la plus grande transformation planétaire après les révolutions agricole et industrielle, elle déclare qu'il ne deviendra réalité que si les gouvernements engagent les citoyens et les industries dans cette voie.

Le rapport de 2006 sur la politique de lutte contre les changements climatiques adopte aussi un ton apocalyptique :

Les changements climatiques sont un problème mondial et leurs répercussions, qui se font sentir sur la planète entière, sont très grandes. [...] Les résultats de nos travaux [...] me font douter plus que jamais de la capacité du gouvernement fédéral de relever l'un des plus grands défis de notre époque. C'est notre avenir qui est en jeu (4). Tous les ordres de gouvernement, l'industrie, le monde des affaires, la science, le monde universitaire et les groupes de la société civile devaient collaborer pour venir à bout de cette vaste crise. La commissaire mettait en doute l'efficacité du plan du gouvernement Martin pour réduire les émissions dans les transports et l'industrie. Elle reprochait au gouvernement fédéral l'absence de politique d'adaptation aux changements climatiques. Enfin, dans une allusion claire au manque d'enthousiasme des conservateurs de Harper pour toute la question, elle déclarait : >

Ce rapport est paru dans le tumulte qu'a provoqué le gouvernement conservateur en désavouant les cibles de réduction des émissions de Kyoto négociées par le gouvernement Chrétien. Les changements climatiques devenaient un exemple paradigmatique de dossier oø le manque de progrès ne pouvait guère être attribué aux carences de l'appareil de mise en Luvre des politiques, mais bien plutôt à des problèmes fondamentaux d'économie politique et de répartition des pouvoirs dans la société canadienne. L'échec sur le front des changements climatiques découlait du refus du gouvernement canadien d'embrasser sincèrement le discours du développement durable.

En désavouant l'échéancier de réduction des émissions qu'il avait hérité de son prédécesseur, le gouvernement conservateur contestait, en somme, la validité du Protocole de Kyoto. Quand la commissaire demandait que soient fixées de nouvelles cibles, elle lançait donc un défi direct au Cabinet.

La commissaire a-t-elle franchi la frontière entre la politique et la gestion que M. Desautels a fixée au mandat de vérificateur? Selon lui, il fallait s'en remettre à la réaction du Parlement pour déterminer si une vérification allait trop loin. Or, la CEDD ne relevait pas directement du Parlement, mais de la vérificatrice générale.

En janvier 2007, la vérificatrice générale a renvoyé la commissaire Gélinas en justifiant sa décision dans les termes du débat de 1995 sur la création du CEDD. Le régime de gouvernement responsable imposait des limites à ce que le BVG ou le CEDD pouvait offrir aux parlementaires. La crédibilité de la fonction de vérification dépendait du refus du vérificateur de faire la promotion de politiques. Les députés et les écologistes faisaient toujours pression pour qu'on franchisse la ligne, mais cela reviendrait à enfreindre l'entente de 1995 en vertu de laquelle le BVG acceptait la responsabilité du CEDD (6).

Pour la...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT