L'emprisonnement avec sursis au Quebec: impact de l'arret Proulx.

AuthorLehalle, Sandra
PositionReport

Introduction

L'emprisonnement avec sursis a ete introduit dans la legislation canadienne en 1996 dans le cadre de la reforme de la determination des peines. Cette mesure fut creee dans le but de reduire l'utilisation de l'incarceration en permettant, sous certaines conditions, aux condamnes d'effectuer leur sentence d'emprisonnement inferieure a deux ans au sein de la communaute. En effet, le delinquant condamne a une peine d'emprisonnement avec sursis est automatiquement soumis au respect de cinq conditions obligatoires (1a) ainsi qu'a des conditions facultatives et personnalisees qui peuvent etre imposees par le tribunal. Si le legislateur mentionne quelques exemples de conditions facultatives telles que s'abstenir de consommer de l'alcool ou des drogues, suivre un traitement ou encore accomplir des travaux communautaires, il est clairement mentionne que le tribunal peut ajouter toute autre condition raisonnable pour assurer la bonne conduite du delinquant et eviter qu'il ne recidive. En cas de non-respect des conditions imposees, que celles-ci soient obligatoires ou facultatives, le delinquant comparait devant le tribunal qui peut alors ordonner son incarceration jusqu'a la fin de sa peine. Comme le mentionnent Roberts et Gabor (2004), le condamne, en purgeant un emprisonnement avec sursis, vit non pas dans les murs de la prison, mais bien dans l'ombre de celle-ci.

En 2000, la Cour supreme du Canada (R. c. Proulx (2)) s'est prononcee sur la nature de l'emprisonnement avec sursis ainsi que sur les objectifs de cette nouvelle peine. Concernant les objectifs, la Cour mentionne que la peine d'emprisonnement avec sursis vise a la fois des objectifs punitifs et de reinsertion sociale. Cette peine permettrait en effet, de realiser plus efficacement que l'incarceration, les objectifs de justice corrective tels que la reinsertion sociale du delinquant, la reparation des torts causes aux victimes et a la collectivite ainsi que la prise de conscience par le delinquant de ses responsabilites. Uarret precise cependant que l'emprisonnement avec sursis doit etre > (R. c. Proulx au para. 22). En constatant, en effet, que l'emprisonnement avec sursis doit avoir un effet plus punitif qu'une ordonnance de probation, la Cour affirme que l'ordonnance de sursis doit etre assortie de conditions a caractere punitif restreignant la liberte du delinquant. Uarret Proulx fait appel a la creativite des juges pour imposer des conditions a la fois adaptees au delinquant et a l'infraction commise et egalement propres a assurer la securite de la societe. a ce titre, les conditions punitives comme la detention a domicile ou un couvre-feu strict devraient, selon la Cour, etre la regle plutot que l'exception. La Cour supreme demande egalement aux juges de veiller a ce qu'il soit possible de faire respecter les conditions imposees en tenant compte des ressources existantes dans la collectivite au sein de laquelle la peine sera purgee.

En plus d'exiger l'imposition de conditions tres strictes, la Cour precise que > (R. c. Proulx au para. 52) et que par consequent il n'y a pas necessairement > (au para. 104). Enfin, la Cour tient aussi a marquer le caractere punitif de l'emprisonnement avec sursis en precisant que > (au para. 39).

C'est avec la volonte de creer les ressources necessaires au bon fonctionnement des sentences d'emprisonnement avec sursis que le gouvernement du Quebec annonce en 2001 la mise en place d'un nouveau cadre de gestion de la surveillance de l'ordonnance de sursis. Le Quebec aurait ete la premiere province a adapter son programme de surveillance pour se conformer aux exigences de la Cour supreme dans l'arret Proulx (Ministere de la Securite publique du Quebec 2001). La dualite d'objectifs de punition et de reinsertion sociale developpee dans le jugement de la Cour se retrouve en effet dans le cadre de gestion qui prevoit un controle plus etroit du respect des conditions imposees par les tribunaux, notamment dans les cas d'assignation a domicile ou de couvre-feu. Le volet > de la surveillance donne pour mission a des agents des services correctionnels (ASC verificateurs) d'exercer des verifications telephoniques hebdomadaires ainsi que des verifications a domicile de facon aleatoire afin de veiller au respect des couvre-feux et des assignations a domicile. Le volet > prevoit qu'un intervenant designe (agent de probation ou agent communautaire) assure une action et un suivi personnalise au moyen de rencontres bimensuelles ayant parfois lieu dans le milieu de vie de la personne contrevenante. Uoriginalite du dispositif residait donc en une dualite d'acteurs repondant a l'objectif double proclame par la Cour supreme; l'ASC-verificateur etait charge des activites d'encadrement et surveillance liees aux objectifs punitifs et l'intervenant etait charge, lui, des activites d'accompagnement et d'encadrement rattachees a l'objectif de reinsertion sociale. (3) Il s'agit donc, avec la mise en place de ce cadre de surveillance, d'assurer > pour que l'emprisonnement avec sursis ne soit plus qualifie de mesure insuffisamment punitive, mais qu'il joue pleinement son role de solution de rechange a l'incarceration.

Les etudes empiriques existantes sur l'emprisonnement avec sursis au Canada couvrent toute une serie de problematiques rattachees a la nouvelle mesure penale. Les recherches recensees (4) ont notamment comme point commun de mettre l'accent sur l'absence ou le caractere partiel des donnees disponibles sur le sursis au moment de la realisation de ces etudes. Ces carences sont mentionnees par certains auteurs comme un obstacle reel a l'etude de l'impact de l'emprisonnement avec sursis (Roberts et La Prairie 2000).

Dans le cas du Quebec, province ou le sursis est le plus intensivement utilise, on constate en effet qu'aucune donnee n'est disponible sur les conditions facultatives ordonnees par les juges, le taux de manquement a ces conditions ou encore les consequences de ces manquements. Suite a l'arret Proulx qui vient apporter des clarifications importantes pour l'utilisation de l'emprisonnement avec sursis, la pertinence de recueillir de telles donnees se trouve renforcee puisque, en plus de fournir des outils de travail aux juges, il s'agit egalement d'evaluer l'impact de la decision de la Cour supreme. De nombreux auteurs (5) insistent, en effet, sur la necessite, au niveau provincial, de prendre des mesures adaptees pour repondre aux exigences de la Cour supreme. Au Quebec, la mise en place du cadre de gestion en septembre 2001 visait a repondre aux besoins mentionnes dans la litterature par les scientifiques et les professionnels. Il est donc utile d'examiner dans quelle mesure le cadre de surveillance implante a effectivement influence l'evolution de l'emprisonnement avec sursis.

Methodologie et population etudiee

Notre recherche avait donc pour objectif d'analyser, pour le Quebec, l'evolution de l'emprisonnement avec sursis en fonction de deux evenements cles que sont l'arret Proulx de la Cour supreme et la mise en place du cadre de gestion par le ministere de la Securite publique. En particulier, nous voulions verifier si ces deux evenements avaient eu un impact sur l'evolution quantitative et qualitative de la clientele et si les directives de la Cour Supreme relatives au caractere punitif de l'emprisonnement avec sursis (p. ex. la duree de l'ordonnance de sursis, la frequence des conditions d'assignation a domicile et de couvre-feu ou la presomption d'incarceration pour le reste de la peine en cas de manquement aux conditions imposees) avaient modifie la pratique judiciaire.

La population etudiee fut divisee en trois cohortes distinctes (A, B et C). La cohorte A regroupe les personnes condamnees a une sentence d'emprisonnement avec sursis l'annee precedant l'arret Proulx. II s'agit des sursis prononces entre le ler fevrier 1999 et le 31 janvier 2000 (N = 4658). La cohorte B regroupe les personnes condamnees a une sentence d'emprisonnement avec sursis apres l'arret Proulx et avant la mise en place du nouveau cadre de gestion. Cette cohorte B reunit donc les condamnations a emprisonnement avec sursis prononcees entre le ler fevrier 2000 et le 3 septembre 2001 (N = 6965). La cohorte C regroupe finalement les personnes condamnees a une sentence d'emprisonnement avec sursis pendant la premiere annee d'operation du cadre de gestion soit les sursis prononces entre le 4 septembre 2001 et le 4 septembre 2002 (N = 4973). Nous avons par la suite assure le suivi de ces dossiers jusqu'au 4 septembre 2003.

Pour analyser les transformations de la clientele, deux sources de donnees furent utilisees: le systeme informatise DACOR et les dossiers des contrevenants. Le systeme informatise des services correctionnels quebecois, DACOR, nous permit en premier lieu de recenser les cas de sursis pour chaque periode concernee et d'en extraire un certain nombre de variables presentes telles que les caracteristiques sociodemographiques et penales des personnes condamnees ainsi que le profil des mesures imposees. Certaines variables pertinentes aux objectifs poursuivis telles que les conditions du sursis et les manquements observes n'etant pas presentes de facon systematique dans DACOR, il a faliu chercher ces informations dans les dossiers correctionnels. Nous avons donc recueilli l'information manquante au moyen de questionnaires compilant les informations sur les conditions de l'ordonnance de sursis, les manquements a ces conditions et les nouvelles infractions commises par les contrevenants durant la periode du sursis.

Evolution de l'emprisonnement avec sursis et de sa clientele

Des sa premiere annee de mise en ceuvre, l'emprisonnement avec sursis fut largement utilise par les juges dans la province du Quebec. En 1997-1998, 3983 condamnations sont rapportees par Statistique Canada (Hendrick, Martin et Greenberg 2003) et pendant la periode 1996-1999, Roberts et LaPrairie (2000) demontrent que le Quebec est la province du Canada...

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