Les agents du Parlement: un nouveau pouvoir?

AuthorGraham Bell, Jeffrey
PositionDes institutions qui ne s 'int

Récemment, des universitaires américains et canadiens ont mis en doute les conceptions traditionnelles du gouvernement. Ils ont attiré l'attention sur certaines institutions, existantes ou naissantes, qui ne s 'intègrent pas facilement dans le paradigme des trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire). L'auteur analyse brièvement cette question, puis traite de l "histoire, du rôle et des attributions de divers agents du Parlement. Il examine ces derniers en fonction du type de surveillance exercé et conclut que le rôle de plus en plus influent qu'ils jouent ne met pas en péril la souveraineté du Parlement ni la responsabilité ministérielle.

**********

Aux États-Unis, le constitutionnaliste Bruce Ackerman a soutenu que la bureaucratie constitue, de facto et depuis longtemps, un << quatrième pouvoir >> au sein du gouvernement. À ce titre, elle doit bénéficier de protections et de pouvoirs constitutionnels suffisants pour résister aux nombreux petits conflits de compétence avec les autres pouvoirs. Il souligne que la bureaucratie présidentielle se retrouve au milieu de rivalités auxquelles les bureaucraties de type britannique ne sont jamais exposées :

 Étant donné que la présidence est séparée du Congrès, les hauts fonctionnaires doivent apprendre à survivre dans un champ de forces dominé par des dirigeants politiques rivaux. Parce que le président et les leaders du Congrès disposent d'armes puissantes pour punir la désobéissance de leurs serviteurs, seul le plus na?f des fonctionnaires supposerait que le principe de la << compétence neutre >> constituerait la meilleure stratégie de survie [...] Plutôt que de répondre aux attentes de son ministre,

te fonctionnaire doit avant tout traduire une mission politique

qui lui permettra de gagner l'appui des pouvoirs rivaux qui prennent les décisions législatives et de financement (1).

Dans les systèmes de type britannique, les fonctionnaires sont exposés à une dynamique différente : ils travaillent au service d'un seul maître, qui est variable, et risquent de perdre leur emploi s'ils ne donnent pas l'impression d'appuyer le régime au pouvoir. Toutefois, comme Ackerman le fait remarquer, ils peuvent se permettre d'adopter une perspective à plus long terme :

 Un jour, le cabinet perdra une élection et le groupe de politiciens qui lui succédera prendra sa revanche sur les fonctionnaires qui ont fait montre de leur attachement à

l'idéologie du régime précédent. [...] Par conséquent, si le fonctionnaire veut éviter ces sanctions, il doit cultiver une réputation d'employé neutre (2).

Au Canada, le professeur David Smith, s'inspirant d'Ackerman, affirme que les changements majeurs survenus au cours des trente dernières années lui ont permis de conclure que l'État s'oriente de plus en plus vers ce qu'il appelle une << société de vérification >>. La principale manifestation institutionnelle de cette tendance a été l'évolution du rôle des agents du Parlement (AP) : en effet, ces serviteurs du Parlement en sont devenus les maîtres. S'inspirant des idées de M. Ackerman, le professeur Smith écrit que les AP << risquent de devenir la conscience du gouvernement >> (3).

Le modèle à quatre pouvoirs représente un point de départ conceptuel pour Ackerman. Celui-ci prône ensuite la reconnaissance constitutionnelle de plusieurs autres pouvoirs, qu'il a conçus à partir des fonctions sous-évaluées des quatre premiers pouvoirs et d'autres fonctions tout à fait nouvelles, afin de renforcer la dynamique démocratique au sein de l'État moderne. Ses idées novatrices visent à provoquer un débat sur les possibilités que pourrait offrir une utilisation progressiste de la séparation des pouvoirs sur le plan constitutionnel. Il n'est pas surprenant que ses idées soient liées à son analyse des droits individuels. Comme on le verra nettement plus loin, le recours constant à ces institutions au Canada a fait l'objet de critiques parce qu'on aurait remplacé une constitution axée sur le Parlement par des principes individualistes étrangers qui compromettent la reddition de comptes. Ce qui est peut-être plus étonnant, c'est le nombre des idées d'Ackerman -- qui sont originales aux yeux des Américains -- qui ont déjà été adoptées par les AP au Canada.

Ackerman propose d'abord l'ajout d'un << pouvoir démocratique >> qui aurait pour mission de veiller à l'impartialité du processus électoral. Toute démocratie doit prendre très au sérieux le fonctionnement de ses élections. Selon Ackerman, il faut que l'équité des élections soit garantie par un organe indépendant, protégé par la constitution. Des tâches aussi minimes que la surveillance impartiale des élections, ou aussi importantes que la révision des limites des circonscriptions et l'examen du financement des élections (et même le financement public des partis politiques) pourraient être confiées à des organismes relevant de ce pouvoir. Ackerman souligne que, peu importe l'idéal incarné par cette structure, la constitution doit garantir l'existence d'un << mécanisme qui préserve la force de cette démocratie idéale malgré les efforts prévisibles déployés par les politiciens au pouvoir pour se protéger d'un revers aux élections >>.

Sur le plan constitutionnel, un << pouvoir de l'intégrité >> reflète la conviction qu'une véritable démocratie est fondée sur un respect constant de la primauté du droit. À l'inverse, la corruption constitue une grave menace à la légitimité et, donc, à la viabilité d'un régime démocratique. Et, aujourd'hui, comme les citoyens du Canada (et, d'ailleurs, de toute démocratie) le confirmeraient, les élus sont soumis à de telles pressions électorales qu'on ne peut être certain qu'ils ne se livreront jamais à des pratiques financières synonymes de corruption. La corruption représente une menace continuelle et fondamentale, soutient Ackerman, et c'est pourquoi les constitutions modernes doivent prévoir la création d'un << pouvoir de l'intégrité >>, << doté de pouvoirs et de mesures incitatives garantissant une surveillance constante >>.

Le troisième organe qu'Ackerman créerait est le << pouvoir réglementaire >>. Dans ce cas, la constitution d'un pays pourrait garantir la compétence bureaucratique et légitimer le processus décisionnel normatif d'une bureaucratie théoriquement << neutre >>. Un des mécanismes qui pourrait s'avérer utile à ce pouvoir est la participation du public à l'élaboration de la réglementation ou à la surveillance judiciaire. Ackerman reste plutôt vague sur la façon de réunir ces fonctions dans ce nouveau pouvoir, mais il donne l'exemple de l'Administration Procedure Act des États-Unis pour illustrer le type de loi qu'il envisage pour un régime présidentiel.

La quatrième idée d'Ackerman, et la plus controversée, est la création d'un << pouvoir de justice distributive >> protégé par la constitution, en raison notamment des éternelles injustices économiques commises systématiquement dans tous les États envers une certaine classe de citoyens, et de l'incapacité à mobiliser les politiciens pour résoudre ce problème. Ackerman avance que la solution consiste à verser directement aux personnes les plus démunies un certain pourcentage du produit intérieur, ce pourcentage étant prévu par la constitution. Puisque ce genre d'injustice économique structurelle ne sera jamais pris au sérieux par les politiciens parce que leurs commettants sont, pour la plupart, aisés, il faut appliquer de manière créative la séparation des pouvoirs pour défendre un pouvoir de redistribution simple et efficace.

La prochaine section portera sur la gamme des AP responsables des nouveaux pouvoirs proposés par Ackerman. Les éléments constitutionnels qu'il propose peuvent être considérés comme un ensemble de quatre pouvoirs distincts, ou davantage comme des variations sur le thème unique d'un cinquième pouvoir. Compte tenu du pluralisme institutionnel que connaît le Canada, cette question n'est peut-être pas encore résolue ici au pays.

Agent du Parlement ou non?

Les auteurs d'ouvrages canadiens récents sur les AP s'entendent fondamentalement sur une chose : la difficulté de déterminer les caractéristiques communes de la présente cohorte d'agents. L'utilisation du terme << haut fonctionnaire du Parlement >> pour désigner les << AP >>, c'est-à-dire les responsables des commissions et bureaux sur lesquels porte le présent article, a créé beaucoup de confusion. Les premiers << hauts fonctionnaires du Parlement >> servaient la Chambre des communes et la Chambre des lords en Grande-Bretagne, à commencer par les greffiers, dont la tradition remonte à 1363. Une certaine confusion linguistique et conceptuelle demeure quant à la différence entre ces fonctionnaires internes et non partisans, et les autres fonctionnaires indépendants qui ont vu le jour par la suite et qui nous intéressent ici.

Le mandat et l'importance des serviteurs non partisans justifient certes l'utilisation du titre de << haut fonctionnaire >>, mais on dirait qu'au Canada, et dans tout le Commonwealth, l'ensemble des ouvrages contemporains, tant politiques qu'universitaires, appliquent ce terme aux deux catégories de fonctionnaires déjà mentionnées. En voici un bon exemple : en 1985, le rapport du Comité spécial sur la réforme de la Chambre des communes (le rapport McGrath) qualifiait le greffier et le sergent d'armes de << hauts fonctionnaires de la Chambre des communes >>, et les fonctionnaires indépendants << d'autres hauts fonctionnaires >>. Autre exemple : le rapport de 2001 du Comité spécial sur la modernisation et l'amélioration de la procédure à la Chambre des communes appelait << hauts fonctionnaires du Parlement >> tous les titulaires de postes non partisans ou indépendants. Presque tous les ouvrages universitaires mentionnés ci-dessous se servent du terme << hauts fonctionnaires du Parlement >> pour désigner les dirigeants des organes indépendants.

Il est intéressant de noter toutefois que le Règlement sur les documents officiels précise qui est un haut...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT