Analyse du rôle sexuel dans la représentation politique au Canada.

AuthorO'Neill, Brenda
PositionArticle vedette

Au cours des dernières années, la majeure partie des recherches sur la représentation des femmes en politique était axée sur le fait que de plus en plus de pays, soit maintenant plus de 100, adoptent des quotas par sexe comme moyen d'accroître le nombre de femmes dans les assemblées législatives (1). Mais, en l'absence de tels quotas, comment les femmes se débrouillent-elles en politique? Dans quelle mesure, par exemple, la représentation politique des femmes varietelle au Canada, où il n'existe aucune exigence législative formelle quant au nombre minimum de candidates aux élections. Compte tenu de l'absence d'exigences formelles, quels critères principaux déterminent le moment et la pertinence de recruter des femmes en politique au Canada?

D'abord, pour mesurer le niveau national de représentation des femmes en politique, commençons par comparer leur nombre au sein de diverses assemblées législatives. À cette aune, la Chambre des communes du Canada compte 25,1 % de femmes, ce qui place le pays au 55e rang parmi les 189 pays faisant partie de la classification établie par l'Union interparlementaire, derrière des pays comme le Rwanda et le Sénégal (qui ont des quotas fondés sur le sexe) et la Suède et la Nouvelle-Zélande (qui n'ont en pas) (2). Cependant, un tel classement nous en dit peu sur le recrutement des Canadiennes en politique au fil du temps, ce qui peut nous donner l'impression que les niveaux de représentation des femmes en politique ont connu une progression constante. Le graphique 1 présente le pourcentage de femmes élues à la Chambre des communes depuis 1917. En général, on constate une progression doublée d'une croissance accrue entre 1980 et 1997. Mais, en y regardant de plus près, on distingue également des périodes de stagnation, la plus récente s'étant produite entre 1997 et 2006. Ainsi, malgré les progrès à certaines échelles politiques, ceuxci n'ont pas toujours été constants et soutenus.

Il convient aussi de souligner que les plus grandes avancées sont parfois de courte durée. Citons notamment la parité récente entre les hommes et les femmes à la tête des provinces. En effet, la victoire de la libérale Kathleen Wynne lors de la course au leadership de 2013, en Ontario, a beaucoup retenu l'attention puisqu'elle portait à cinq, un record, le nombre de premières ministres canadiennes. La succession rapide de démissions ou de défaites de trois premières ministres peu de temps après Kathy Dunderdale, à Terre-Neuve-et-Labrador, Alison Redford en Alberta et Pauline Marois au Québec--a rapidement mis fin aux célébrations.

Que cette parité ait été atteinte au poste le plus élevé des provinces met en lumière un troisième élément à prendre en considération quant à la représentation des hommes et des femmes en politique au Canada : on ne peut se limiter à célébrer les victoires remportées au niveau supérieur puisqu'elles ne sont que la pointe de l'iceberg et qu'elles peuvent facilement nous détourner des problèmes plus profonds qui se cachent sous la surface. Comme je l'ai mentionné plus tôt, à l>heure actuelle, un siège sur quatreest occupé par une femme à la Chambre des communes. Si l'on examine le pourcentage de femmes siégeant dans les assemblées législatives provinciales, on constate qu'il ne dépasse pas les 40 % (voir le graphique 2). En fait, seules deux provinces (la Colombie-Britannique et l'Ontario) comptent plus de 30 % de femmes parlementaires. Fait plus important encore, trois provinces (la Saskatchewan, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve-et-Labrador) en comptent moins de 20 %. Dans les cinq autres provinces, le pourcentage varie entre 20 et 30 %. Même un examen sommaire permet de conclure que la situation est meilleure dans certaines provinces que dans d'autres.

Puisque le vent peut tourner rapidement d'une élection à l'autre, il est impossible d'obtenir un portrait complet de la représentation des femmes en politique en se penchant seulement sur un moment particulier. Des recherches récentes sur le sujet révèlent des progrès lents et continus dans certaines provinces (ColombieBritannique, Manitoba, Nouvelle-Écosse et Ontario), des sommets records suivis de déclins importants dans d'autres (Terre-Neuve-et-Labrador, Île-du-PrinceÉdouard, Nouveau-Brunswick, Saskatchewan et Alberta), et des plateaux dans d'autres encore (Québec) (3).

Comme en témoignent les variations selon le moment, l'ordre de gouvernement et la province, il est faux de croire à une progression naturelle de la représentation des femmes en politique. Comment expliquer, alors, que le succès n'aille pas de soi?

L'une des hypothèses, largement discréditée, est que la représentation des femmes dépend des préférences des électeurs, c'estàdire que les femmes sont moins susceptibles d'être élues que les hommes parce que les électeurs auraient une préférence pour ces derniers. Des études ont démontré que les électeurs sont tout aussi susceptibles d'appuyer les femmes que les hommes (4). Les préférences des électeurs n'ont rien à voir avec la pénurie de femmes au sein des assemblées législatives canadiennes. Il faut trouver des explications ailleurs.

La théorie de l'offre et de la demande, présentée par Pippa Norris et Joni Lovenduski, est particulièrement utile pour comprendre les décisions relatives à la sélection et à la présentation de candidates en politique (5). Selon cette théorie, les résultats de la sélection politique découlent de l'interaction de deux éléments distincts, soit la demande de candidats par les partis politiques et l'offre de candidats, qui fait suite à la décision d'une personne de se présenter aux élections. En tant que gardiens du processus électoral, les partis politiques jouent un rôle particulièrement important dans le choix des candidats, des chefs de parti et, indirectement, des membres du cabinet. Cependant, l'offre de candidats prêts à se lancer dans la course et capables de le faire est tout aussi importante. Les données recueillies à l'échelle mondiale le confirment, le processus de sélection fait en sorte que certaines catégories de personnes sont privilégiées lors du choix de candidats, et possiblement de parlementaires : c'est-à-dire les personnes d'âge moyen, érudites, issues de milieu aisé et de sexe masculin. Le processus n'est donc pas neutre; il reflète les différences présentes, d'une part, au sein de ces groupes dans le désir de se porter candidats et, d'autre part, dans le choix des gardiens du parti à l'égard du > candidat. Les décisions s'interinfluencent aux deux plans: si un aspirant à un poste politique sent qu'un parti n'est pas susceptible ou désireux de l'accueillir comme candidat, il sera moins tenté de présenter sa candidature (6). Pour comprendre les variations dans la représentation des femmes au Canada, il est essentiel d'examiner les différences chez les personnes chargées de la sélection et chez celles prêtes à se porter candidates.

Dans le contexte de la représentation des femmes en politique, il importe de se pencher sur les facteurs qui incitent ou non les partis à chercher des femmes comme candidates aux élections (la demande). Il faut aussi se pencher sur les raisons qui poussent les femmes à se présenter aux élections ou les en dissuadent (l'offre).

Du côté de la demande : les candidats que choisissent les partis

Du point de vue de la demande en matière de recrutement politique, on peut supposer que les partis politiques sont plus susceptibles de choisir des candidats présentant, selon eux, un risque électoral réduit. L'évaluation du risque, c'est-à-dire l'établissement des chances du candidat de remporter le siège, est surtout fondée sur une perception puisque les résultats électoraux sont rarement joués...

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