En attendant le grand tournant : les femmes au Parlement du Canada.

AuthorGodwin, Matthew K.

En 2009, la Chambre des communes du Canada comptait 69 députées (environ 22 % des sièges). Le Canada est classé, après la Mauritanie, au 48e rang quant au nombre de femmes à son assemblée nationale, d'après une étude de l'Union interparlementaire. Certains pays ont prouvé que les États peuvent accroître le nombre de législatrices pratiquement du jour au lendemain. Ce processus, qui consiste à augmenter rapidement la représentation féminine à l'occasion d'un seul scrutin, a été désigné sous le nom de >. Le présent article porte sur la possibilité de mettre en Luvre des politiques viables pour créer un grand tournant sur le plan de l'équilibre entre les sexes au Canada. Il examine les questions d'ordre philosophique et éthique liées à la représentation des femmes, ainsi que les divers déterminants de l'élection de celles-ci à une charge publique, d'après les ouvrages sur ce sujet. Enfin, l'auteur soutient que, si certaines conditions se maintiennent, un grand tournant sur le plan de l'équilibre entre les sexes est possible au Canada.

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Il est presque certain qu'un grand tournant se présentera sous forme de quota par sexe, ce qui soulève encore des questions éthiques au Canada. C'est pourquoi il est nécessaire d'explorer la question de la représentation des femmes de manière plus large, en se reportant aux écrits d'un des plus influents penseurs du régime parlementaire.

L'éthique et la philosophie de la représentation

Écrivant dans la deuxième moitié du XIXe siècle, John Stuart Mill est un réformiste qui plaide avec force, dans son ouvrage De l'assujettissement des femmes, pour que celles-ci possèdent exactement les mêmes droits que les hommes et soient sur un pied d'égalité avec eux. Il ajoute que c'était la sujétion des femmes aux hommes qui avait empêché la Grande-Bretagne de devenir une société plus éclairée. Toutefois, dans son traité intitulé Considérations sur le gouvernement représentatif, il soutient mieux la thèse voulant qu'un système vraiment démocratique doit être le reflet de la société et des électeurs qui le constituent. En premier lieu, il accepte l'argument de Burke, selon lequel les systèmes démocratiques doivent évoluer lentement, mais il ajoute qu'ils doivent aussi changer pour être légitimes. Il affirme qu'un gouvernement légitime doit être appuyé par le peuple symboliquement, et non simplement par le fait de voter. Les gouvernements vraiment représentatifs doivent incarner la confluence des idées les meilleures et les plus convaincantes. Enfin, Mill soutient que les intérêts des citoyens ne peuvent être représentés efficacement que si ces citoyens sont eux-mêmes représentés au Parlement.

Avançant des arguments semblables à ceux de Thomas Paine, Mill écrit que les gouvernements sont le produit de circonstances sociales présentes au moment des élections. Ceux qui gagnent et forment le gouvernement le font en vertu de l'autorité qui leur est conférée par les électeurs. Ni les politiciens, ni les philosophes, comme il le dit, ne peuvent altérer cette décision. Toutefois, Mill complète cette affirmation en ajoutant qu'une fois que ce pouvoir est conféré par l'attribution de l'autorité, des modifications du système peuvent avoir lieu. En outre, le gouvernement est une création du peuple et, de ce fait, il peut être changé par le peuple. Il ne devrait jamais être une entité stagnante, moribonde qui ne peut jamais être modifiée par la volonté de ceux qui la composent.

Selon Mill, le gouvernement et le système par lequel on le forme reposent sur trois piliers. Le premier, c'est l'acceptation. La population doit accepter le gouvernement et l'autorité qu'il représente pour qu'ils soient considérés légitimes. Un concept plus moderne, celui de la représentation symbolique, découle de la conviction de Mill que l'acceptation est essentielle pour qu'un gouvernement soit fort. Si l'on veut que les femmes appuient un gouvernement ou un système, on peut faire valoir qu'elles doivent être représentées de manière efficace. Le soutien accordé à un gouvernement est tributaire du nombre de femmes représentées. Pour obtenir l'assurance que les femmes appuient le système qui élit leur gouvernement, il faut une présence considérable de représentants de sexe féminin.

Des chercheures féministes ont souvent soutenu que les femmes apportent une approche des politiques publiques qui leur est propre et qui diffère de celle des hommes. La recherche de Pelletier et Tremblay estime que le fait d'avoir davantage de représentantes confère aux politiques publiques une vision qui rehausse leur légitimité, car le corps législatif correspond davantage à la société dans son ensemble (1). Mill souscrirait à cette façon de voir. Il soutient que l'harmonie des conceptions et des idées venant de tous les secteurs de la société est essentielle à une institution démocratique et que

Le premier élément d'un bon gouvernement, donc, étant la vertu et l'intelligence des êtres humains composant la collectivité, la plus importante forme d'excellence que tout gouvernement puisse posséder consiste à promouvoir la vertu et l'intelligence du gouvernement lui-même. Sans représentation adéquate des femmes au Parlement, on ne peut pas dire que le plein potentiel de la société se reflète dans les politiques publiques (2).

Mill emprunte aux idées de David Hume et remet en question la capacité des députés de prendre des décisions au nom de membres de la population qui sont mal représentés dans leurs rangs. Il donne l'exemple des manLuvres de la classe ouvrière. Sur des questions comme celle des grèves, les députés prennent presque toujours parti pour les maîtres plutôt que pour les travailleurs, car les manLuvres sont mal représentés au Parlement. C'est l'incapacité des députés de s'identifier aux personnes sous-représentées qui porte atteinte à l'aptitude du Parlement à faire preuve d'empathie et, ainsi, à adopter des politiques publiques qui correspondent à la société. On peut également appliquer le concept de distance professionnelle à la question des femmes au Parlement. Dans une assemblée oø si peu de femmes sont représentées, il est possible que le Parlement ne soit pas en mesure de ressentir une empathie efficace et de prendre des décisions en tenant compte de leurs intérêts supérieurs.

Mill soutiendrait que les quotas par sexe sont nécessaires, car l'accroissement du nombre de femmes rehausserait la légitimité du Parlement et de ses politiques. Les Canadiens ne devraient pas avoir peur de modifier leur système, puisque l'absence de femmes nuit aux politiques publiques.

Obstacles socioéconomiques, politiques et électoraux à la représentation des femmes

De nombreux chercheurs estiment que les femmes à la recherche d'une charge élective continuent de se heurter à des obstacles importants. On peut les regrouper dans trois catégories générales : déterminants socioéconomiques, déterminants politiques et déterminants électoraux.

Le déterminant socioéconomique le plus évident est le rôle des femmes comme première aidante naturelle et principale responsable de l'éducation des enfants. De nombreux femmes ont réussi à concilier carrière politique et responsabilités...

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