Les Autochtones au Parlement : réamorcer le dialogue.

AuthorMorden, Michael
PositionArticle vedette

Les peuples autochtones jouent un rôle de plus en plus central dans la vie politique au Canada. Des éléments comme le mouvement Idle No More ou encore les différends constants au sujet de l'extraction des ressources suscitent dans les groupes non autochtones une attention et un investissement intellectuel d'un type nouveau. Plus que jamais, le défi de bâtir une communauté politique consensuelle après la période du colonialisme est une préoccupation qui se situe entièrement dans la société majoritaire. Mais, chose curieuse, la question de la réforme des institutions politiques a plutôt été reléguée dans l'ombre. On peut dire, plus particulièrement, que la réforme parlementaire et la > se situent dans des univers intellectuels distincts.

Dans les décennies précédentes, les élites canadiennes, devant les premières vagues de mobilisation autochtone, ont commencé à examiner le potentiel de la réforme du régime politique pour améliorer la représentation des peuples autochtones. L'expression > est entrée dans le vocabulaire commun des coloniaux dans les années 1980, et elle s'est fait entendre jusque dans les dernières étapes des bouleversements constitutionnels--dans les conférences constitutionnelles sur les droits des Autochtones, au milieu des années 1980, puis dans l'Accord de Charlottetown. Il s'agissait en grande partie d'échanges sur le renforcement des gouvernements des bandes, mais on envisageait aussi la réforme des institutions politiques centrales. Le fait le plus notable, du point de vue parlementaire, a été le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones. La proposition de ce rapport publié en 1996 prévoyant la création d'une troisième chambre du Parlement, celle des Autochtones, qui s'appellerait la Chambre des Premiers peuples, se présente comme une solution non moins radicale et saisissante qui devait émerger d'une voix quasi étatique, 20 ans plus tard. Voilà certes une indication qui montre le peu d'évolution qui s'est faite en ce sens, ou dans quelque autre sens, depuis cette époque.

À cela, plusieurs explications possibles. D'abord, les peuples autochtones au Canada n'ont pas fait une priorité de la réforme des institutions politiques centrales. Ils ont, de façon très majoritaire, préféré se concentrer sur l'édification de leurs propres nations, et il n'est pas difficile de comprendre pourquoi. En fait, cette réaction va beaucoup plus loin. Il existe un scepticisme très répandu, voire une opposition expresse, devant tout projet qui viserait à intégrer plus pleinement les peuples autochtones dans les institutions canadiennes. Les projets de cette nature sont souvent perçus comme un recul de l'identité nationale des peuples autochtones et la promotion du projet d'assimilation qui a poursuivi cet objectif : > (ce sont les propos de Duncan Campbell Scott, principal bureaucrate des Affaires indiennes au début du XXe siècle). Deuxièmement, nous sommes maintenant profondément habitués à voir l'expression politique des Autochtones s'affirmer, en grande partie, en dehors des institutions politiques officielles. Gouvernance des bandes mise à part, les manifestations les plus vigoureuses de la représentation politique des Autochtones à l'échelle nationale tiennent de l'action directe, comme le mouvement Idle No More, et des pressions des grandes organisations de défense comme l'Assemblée des Premières Nations. La représentation autochtone en marge des institutions canadiennes, c'est la règle.

Il n'est pas évident pour autant que ce seul fait épargne aux milieux politiques la tâche d'examiner sérieusement les moyens de rendre les institutions plus accueillantes, plus représentatives et plus informées de la présence autochtone. Il demeure que les choix politiques qui ont le plus de répercussions sur les collectivités autochtones sont faits par des politiciens canadiens des assemblées législatives de tout le Canada. On peut dire en des termes très simples que la relative absence des peuples autochtones au Parlement fédéral et dans les assemblées législatives des provinces constitue ainsi une question brûlante qu'on ne saurait éluder dans les échanges plus larges sur la réconciliation.

Pour la démocratie parlementaire, que veut dire, pour peu que cela veuille dire quelque chose, >? La présente étude aborde la question premièrement en esquissant le contexte historique et en examinant d'anciennes propositions de réforme, et notamment celle qui a été préconisée dans le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, il y a 20 ans; deuxièmement, en comparant le Canada grâce à l'étude d'autres modèles d'innovation dans les institutions parlementaires d'États coloniaux ayant des populations autochtones; troisièmement, en proposant quelques considérations préliminaires sur un programme de réforme possible. Je soutiendrai que le renforcement de la représentation autochtone dans les institutions centrales n'a pas à se faire au détriment des relations fondées sur des traités ni à entraver le projet d'une véritable autonomie pour les gouvernements autochtones. Il reste cependant plusieurs difficultés graves, sur le plan intellectuel et conceptuel, dont il faudra tenir compte si nous voulons éviter que la réforme ne devienne un acte de méconnaissance.

L'histoire malheureuse de l'intégration

Bien longtemps avant qu'on ne songe à la réforme des institutions, la question de la participation des Autochtones était posée en fonction de la citoyenneté : l'intégration de l'Autochtone par l'octroi du droit de vote. Au XIXe siècle, il s'agissait là, exclusivement et explicitement, d'un moyen d'assimilation. Lorsque les dispositions sur l'octroi de droit de vote ont été adoptées dans l'Acte pour encourager la civilisation graduelle des Indiens de 1857, elles étaient le produit d'une évolution des objectifs de la politique : au lieu de créer des collectivités autochtones > et capables de subvenir à leurs besoins, il s'agissait d'effacer la présence des Autochtones en les assimilant, une personne à la fois (1). L'octroi du droit de vote permettait à un homme autochtone instruit et libre de dettes de demander à renoncer à son statut d'Indien et à devenir sujet britannique à part entière. Dans les deux décennies suivantes, exactement une personne s'est prévalue de cette possibilité, ce qui a convaincu les décideurs des Affaires indiennes de se doter d'un moyen plus radical. Divers autres mécanismes ont été envisagés, dont l'Acte du cens électoral de 1885, proposé par Macdonald. Cette loi accordait le droit de vote aux hommes autochtones qui avaient des biens fonciers et habitaient à l'est du Manitoba. Elle a été farouchement combattue, puis révoquée par un gouvernement libéral. Par la suite, la Loi sur les Indiens a été modifiée pour permettre l'octroi non volontaire du droit de vote aux personnes jugées aptes par les bureaucrates des Affaires indiennes. Ce pouvoir extraordinaire a été brandi comme une arme. Par exemple, des fonctionnaires des Affaires indiennes ont conspiré pour accorder le droit de vote à Frank Loft, fondateur de la League of Indians, après qu'il se fut révélé un critique très convaincant et un organisateur efficace dans son opposition au ministère. Loft a violemment dénoncé cette mesure, qui l'aurait privé de son statut d'Indien, disant qu'il s'agissait d'une >. Pas étonnant, dans ces conditions, que, lorsque les Indiens ont reçu inconditionnellement le droit de voter aux élections canadiennes en 1960, ils aient été nombreux à accueillir cette mesure avec le plus grand scepticisme. Ils ont exigé de savoir si cela avait pour but de minimiser leurs relations avec l'État canadien fondées sur les traités.

Invariablement, les taux de participation des Autochtones aux élections aux institutions centrales sont faibles et, généralement, la participation des électeurs autochtones est moins élevée que celle des autres électeurs (2). Ce qui est probablement attribuable en partie à une opposition de principe à la participation aux institutions canadiennes, bien que des faits donnent à penser que la participation autochtone est entravée par les mêmes facteurs structurels (niveau d'éducation, ressources politiques, répartition par âges, etc.) qui freinent la participation d'autres segments de la population non autochtone (3). Fait anecdotique, la question de > suscite un débat vigoureux et complexe dans la sphère publique autochtone. C'est ce qu'on a vu au cours des élections fédérales de 2015 puisque, par exemple, le chef national Perry Bellegarde, de l'Assemblée des Premières Nations, s'est publiquement exprimé de façon équivoque, se demandant s'il devait voter ou non, mais incitant d'autres électeurs des Premières Nations à le faire (4). Les peuples autochtones sont constamment sous-représentés parmi les parlementaires. Avant 2015, selon la Bibliothèque du Parlement, il n'y avait eu que 34 députés et 15 sénateurs autochtones depuis la Confédération (5). Dans la législature actuelle, la représentation autochtone atteint un niveau inédit, avec 10 députés, soit environ 3 % de la Chambre des communes, alors que les peuples autochtones représentent plus près de 5 % de la population.

En somme, l'histoire des institutions représentatives centrales du Canada, par rapport aux Autochtones, conjugue exclusion délibérée et inclusion (parfois forcée) au nom de l'assimilation. En conséquence, l'histoire de la participation des peuples autochtones à ces institutions est un mélange d'ambivalence, de méfiance et d'antipathie expresse. Ces conclusions n'ont aucun caractère de nouveauté. Elles sont plutôt à l'origine de plusieurs propositions ambitieuses de réforme élaborées en réaction à la mobilisation autochtone dans les années 1970, 1980 et 1990, qui visaient à ouvrir un nouvel espace pour la représentation des Autochtones au Parlement. En une brève période, il...

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