Bricolages anthropologiques pour promouvoir, en Afrique et ailleurs, un dialogue entre univers juridiques.

AuthorLe Roy, Etienne

Anthropologue et juriste, l'auteur confronte et conjugue differentes logiques, non seulement les traditions differentes comme le droit civil et la common law dans l'espace juridique canadien, mais aussi des univers juridiques reputes chacun comane formant un tout, clos et autosuffisant, prenant l'exemple plus particulier de l'Afrique.

Ayant recours dans un premier temps a l'exigence d'homeomorphisme, l'auteur explique dans une demarche de comparaison et de traduction la difficulte a passer d'un univers qui repose sur une representation plurale du monde a l'univers occidental d'origine judeo-chretienne qui repose sur le monisme. Ensuite, il adopte une approche qui concoit le pluriel des experiences africaines dans le singulier du droit occidental, perspective qui pose l'hypothese d'ouvrir la theorie en usant de categories interculturelles, chaque culture s'ouvrant aux autres pour dialoguer, donc partager son experience de la juridicite. Ces objectifs de dialogue juridique s'inscrivent dans le contexte de la mondialisation du droit, qui ne doit desormais plus reposer sur l'imposition d'un ordre juridique. L'auteur insiste sur le fait que pour qu'il existe un

As both anthropologist and jurist, the author confronts and combines different disciplines. In so doing, not only does the author address the civil law and common law traditions within Canada but also legal worlds reputed to be forming a whole, closed and self-sufficient, taking Africa as an example.

By first addressing the constraints of homeomorphism, the author appeals to the approach of comparison and translation to explain the difficulty of leaving a pluralistic world for a Judeo-Christian Western world that relies on monism. He then adopts another approach, one that views the plurality of African experiences within the singularity of Western law--a perspective that requires opening the theory by using intercultural categories, each culture opening up to the other in a dialogue about juridicity. The objective of legal dialogue falls within the ambit of legal globalization, which must no longer rely on the imposition of a single legal order. The author insists that for a worldwide "common law" to exist, its formulations must be shared yet outside of the traditions from which it arose.

Prolegomenes I. L'anthropologue et les aleas de l'homeomorphisme II. La question de l'Etat > III. Le juriste et le recours a l'analogie : ouvrir le droit occidental a l'alterite Que retenir en conclusion de ces analyses ? Prolegomenes

Pour contribuer a ce numero sur "les approches pluralistes et multi-systemiques du droit", j'ai ete amene a revisiter mon parcours scientifique sur une quarantaine d'annees et a faire, a partir d'un titre deja trop long, des choix cruciaux (1).

Le premier, et le plus determinant ici, est de proposer des exemples africains pour illustrer, et c'est un deuxieme choix, ce que je denomme des "bricolages", entendant par la, selon le Robert, > (2). Ces bricolages sont dits anthropologiques non point parce qu'ils contiennent quelque exotisme, mais en raison de leur pretention a la generalite et donc de leur applicabilite hors des circonstances de temps et d'espaces ou ils nous ont ete suggeres. Enfin, le dernier choix, celui qui necessitera le plus d'attention, est de recourir a la notion de "dialogie >>, d'origine grecque. Le terme est construit a partir du prefixe dia, qui signifie "ce qui traverse >> ou "ce qui fait se rencontrer >>, et logos, qui n'est pas seulement la "parole >> ou le > mais aussi la logique, la rationalisation.

Mon propos est ainsi de faire se rencontrer des logiques differentes et d'apprendre a les conjuguer. Pour ce faire, j'ai mobilise particulierement deux termes, homeomorphisme et analogie, qui seront precises plus loin et qui ont ete, durant ces annees, la part de l'outillage conceptuel que j'ai mobilisee, en anthropologue du droit, pour tenter de repondre a l'impossible defi, traduire sans trahir. Il s'agit en effet de confronter non seulement des traditions differentes, comme le droit civil et la common law dans l'espace juridique canadien, mais des univers juridiques reputes chacun comme formant un tout (3), clos et auto-suffisant.

Ces choix sont cruciaux parce que les difficultes a resoudre ne le sont pas moins. Parler de l'Afrique est aussi malaise dans les milieux academiques canadiens que francais. Quelle est, chez le lecteur de ce numero special qui tente d'explorer des voies peu frequentees, la part de connaissances, de presupposes, de stereotypes, de prejuges, donc d'ethnocentrisme ? a quel niveau situer la barre pour n'etre ni trop simple ni abscons ?

Parler ensuite d'univers (au pluriel) pour traiter des experiences juridiques des Africains est, au moins, aborder quatre nouvelles difficultes. C'est d'abord supposer que les differences sont plus importantes que les ressemblances, que la communication entre ces univers peut etre fragile ou rompue et, pour oser une metaphore cinematographique, que nous risquons quelque > de l'argumentation. C'est aussi, deuxiemement, mettre au pluriel ce que notre tradition juridique, qu'elle soit de common law ou civiliste, conjugue au singulier. C'est affirmer le multijuridisme (4) la ou le monisme juridique va prevaloir >, donc culturellement et sans recul critique necessaire. C'est ensuite, troisiemement, presupposer qu'on peut inscrire ces experiences dans une meme categorie, > africains, ce que nous appelons > s'appliquant aux autres civilisations et ces autres civilisations se retrouvant dans ce que nous appelons >, ce qui, malheureusement pour la clarte du propos, n'est pas le cas. Enfin et quatriemement, les experiences de plusieurs milliers de societes, dans la diversite des ecologies et des histoires, l'anciennete des phenomenes d'>, l'impact divers des traites negrieres et les effets deleteres des colonisations peuvent-elles avoir pour denominateur commun un critere geographique : leur appartenance commune au continent africain ? Ici, au moins deux mots d'ordre, que j'emprunte au titre de l'ouvrage que les disciples de Georges Balandier ont dedie a leur maitre, conduiront mon analyse : > (5). Foin des archaismes, c'est l'ici et le maintenant que nous devons considerer comme resultant d'une tres longue histoire.

En outre, de quel type d'experiences des Africains doit-on parler? De l'experience de nos homologues universitaires que nous avons formes--donc deforrnes--pour qu'ils soient les missionnaires du > (comme jadis on parlait de la >) ? La science du droit qu'ils produisent est la notre. Au mieux, c'est une sorte de pidgin juridique qu'on decouvre dans les tres rares publications qui s'interessent encore a > (6). Sur une base fondamentalement occidentale, dans la langue de l'ancien colonisateur, on y introduit quelques annotations sur les applications locales de la science pure du droit, comme autant de variations musicales sur un theme impose. Le jugement est severe, mais c'est la quasi-totalite du droit au quotidien qui est ainsi ignoree, meprisee et abandonnee, renforcant la dependance de l'Afrique a l'egard de l'exterieur. Preferer le droit-qui-se-fait au droit des manuels (7), le droit pratique a l'hermeneutique juridique, peut paraitre peu credible en derogeant aux demarches du > juriste. Adopter aussi une posture qui, en critiquant l'occidentalisation de la vie juridique, devoile les limites et les contradictions du > peut etre considere comme une trahison de la part d'un universitaire parisien, au moment ou on fete avec majeste le bicentenaire du Code Napoleon (8).

Enfin, adopter le langage et les points de vue anthropologiques pourrait paraitre relever de l'imposture. Quelle legitimite un anthropologue peut-il avoir pour, selon les temaes de l'appel a contribution de ce numero, non seulement comparer les traditions juridiques mais identifier et evaluer > ? >, ai-je pu ecrire, citant ce vieux proverbe en commentant l'oeuvre d'un des plus grands comparatistes africanistes, Rodolfo Sacco (9). On ne peut comparer qu'avec prudence et selon des protocoles precis des experiences qui se situent selon des presupposes fondamentalement divergents. Notre conception du droit est fondee sur une philosophie idealiste alors que celle des > (comme on dit parfois pour lever le prejuge associe au traditionalisme) est realiste (10). Les trois attributs de cette philosophie idealiste, soit l'abstraction de la norme, l'anhistoricisme du referent et la supposee neutralite des effets sociaux du corpus ainsi constitue, ont autorise le developpement d'une science du droit, du moins aux yeux de ceux qui la pratiquent. Rien de tel n'est possible dans une perspective realiste, non en raison de quelque infirmite intellectuelle, mais parce que la constitution d'une science du droit suppose de penser ce droit comme une instance specifique et originale, a la maniere de l'economie ou de la religion (11). C'est reproduire une lecture qui privilegie cosmologiquement et depuis le livre de la Genese que le monde (notre monde) a ete cree par une instance exterieure, omnipotente et omnisciente, denommee Yahve ou Dieu. Et des lors que l'etat, la justice ou le droit ont ete percus comme ses avatars, ce sont bien les memes representations qui associent le droit a un ordre impose de l'exterieur et ne trouvant sa legitimite que dans son exogenese. Cette lecture de la legitimite est difficilement concevable dans une interpretation > de la creation du monde qui privilegie l'endogenese, ou tout vient de l'interieur et obeit au principe de la differenciation progressive des instances multiples, specialisees et interdependantes, selon l'exigence de la complementarite des differences. Dans cette endogenese, chaque groupe fait son droit au...

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