Le Cabinet du Premier ministre de l'Ontario de 1945 à 2010 : qui conseille réellement?

AuthorDutil, Patrice

Pendant près de deux générations, des observateurs de tout genre ont déploré presque à l'unanimité l'influence croissante des conseillers du premier ministre. Des députés et des fonctionnaires se sont récriés que de jeunes conseillers arrogants aient eu la prétention de parler au nom du << pouvoir >> et d'affirmer que leurs << vérités >> avaient plus de poids et de pertinence que tous les autres conseils. Des universitaires ont conclu que la force des conseillers du premier ministre constitue un indicateur de la volonté de << centraliser le pouvoir >>. Au Canada, le défenseur le plus reconnu de ce modèle a été Donald Savoie, qui a décelé une tendance croissante à la << centralisation des pouvoirs >> et l'émergence d'une nouvelle forme de << gouvernement de cour >> qui doit s'entourer d'un grand nombre de conseillers (1).

Dans l'étude qu'elle a menée pour la Commission Gomery, Liane Benoit a noté que le personnel ministériel (ou << personnel exonéré >>) jouait un rôle important dans ses conseils aux premiers ministres. Paul Thomas s'est montré plus dur à l'égard des attachés politiques, estimant qu'ils devraient rendre des comptes et que leur fonction devrait être réglementée (2). Plus récemment, Ian Brodie a défendu le rôle du personnel ministériel, mais a admis qu'une formation sur ce plan lui serait profitable (3). En Ontario, Graham White a retracé l'évolution du rôle non officiel de conseiller du premier ministre, mais il n'a pas examiné en détail la nature du travail des attachés politiques (4).

Dans la foulée des conclusions présentées par Savoie et dans celle de la Commission Gomery sur le scandale des commandites, qui a mis au jour des cas d'ingérence politique indue dans un programme gouvernemental (5), Peter Aucoin a présenté un nouveau concept, la << nouvelle gouvernance publique >>, qui sous-entend << la concentration du pouvoir chez le premier ministre et son entourage de quelques ministres, aides politiques et fonctionnaires choisis (6) >>. Aucoin remarque que ces pressions, issues des exigences croissantes en matière de reddition de comptes, de cohérence, de transparence et d'ouverture, placent un fardeau sans précédent sur les épaules du premier ministre (7). Le modèle d'Aucoin, qui a permis de décrire une réalité qu'observaient de nombreux journalistes depuis des décennies, n'était toutefois pas étayé de preuves empiriques. Comment mesurer la << concentration du pouvoir >>? Peut-on démontrer que le personnel ministériel a acquis plus de poids et de pouvoir? Peut-on prouver que les premiers ministres passent aujourd'hui plus de temps à examiner les compétences des mandarins qui relèvent de lui? Existe-t-il des preuves que l'on contraint davantage les fonctionnaires à se conformer à la ligne tracée par le gouvernement ou à se montrer enthousiastes à l'égard des projets et des priorités du gouvernement?

Leadership du secteur public au sein du Cabinet du Premier ministre

Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, le << Cabinet du Premier ministre >> est bien installé dans l'aile est du palais législatif de Queen's Park. George Drew, premier ministre de l'Ontario d'août 1943 à octobre 1948, est entouré d'un petit nombre d'employés de bureau. Les fonctionnaires les plus haut placés relèvent officiellement du secrétaire provincial, un poste du Cabinet, et non du premier ministre lui-même.

Le court passage de Thomas Kennedy au pouvoir modifie clairement la structure en place : un << Bureau du Conseil des ministres >> officiel est créé au sein du ministère du secrétaire provincial, et Lorne R. McDonald est nommé sous-ministre et secrétaire du Cabinet. Lui qui occupait auparavant le poste d'adjoint au secrétaire provincial relève alors techniquement de Dana Porter, le secrétaire provincial. Il est essentiel de noter que les titres, bien qu'importants, ont toujours fait l'objet de manipulations et qu'ils peuvent induire en erreur. Ce qui compte réellement n'est pas le titre du poste occupé, mais bien la personne qui prodigue des conseils (8). McDonald conseille de plus en plus le premier ministre directement, une pratique qui diffère fortement de celle de ses prédécesseurs.

Leslie Frost devient premier ministre en 1951 et agrandit largement son cabinet, tant sur le plan du personnel que du budget, afin d'obtenir systématiquement de meilleurs conseils. M. McDonald est officiellement reconnu comme << sous-ministre du premier ministre et secrétaire du Cabinet >>. Il est maintenant évident qu'il relève du premier ministre. En outre, l'ancien poste de << greffier du Conseil exécutif >> (occupé par H. A. Stewart), qui faisait partie du Bureau du secrétaire provincial, est intégré au Cabinet du Premier ministre. Dans les faits, le Cabinet du Premier ministre devient le secrétariat du Cabinet, ce qui démontre le désir de centraliser la prise de décision dans l'aile est de Queen's Park. (M. Frost ajoute même à son cabinet la Commission des courses de l'Ontario en 1952-1954 afin de gérer les dossiers personnellement. (9))

En 1954, W.M. McIntyre remplace M. McDonald comme secrétaire du Cabinet sans toutefois hériter du titre de sous-ministre du premier ministre. M. Frost ajoute plutôt à son cabinet en 1955 le poste d'attaché de Cabinet, confié à D.J. Collins. En 1958, M. Frost lui-même s'accorde officiellement le titre de << président du Conseil >>. Selon Allan Grossman, ministre sans portefeuille au cours de la dernière année du gouvernement Frost, le premier ministre << faisait cavalier seul (10) >>. En 1960, on ajoute un secrétaire adjoint du Cabinet et, en 1961, on modifie le titre du fonctionnaire le plus haut placé : W. M. McIntyre devient secrétaire du Cabinet et directeur du Bureau du Conseil exécutif.

John Robarts devient premier ministre en 1961 et adopte au départ la structure établie par son prédécesseur. En 1963, M. McIntyre occupe officiellement trois postes : celui de secrétaire du Cabinet, de sous-ministre et de directeur du Bureau du Conseil exécutif. L'année suivante, on crée le ministère du Premier ministre, qui divise officiellement le Bureau du Conseil des ministres et le Cabinet du Premier ministre. M. McIntyre, à titre de sous-ministre, devient chef administratif du ministère, mais il concentre son travail sur ses fonctions de secrétaire du Cabinet.

En 1965, on nomme Keith Reynolds, un autre fonctionnaire, au nouveau poste de chef de Cabinet. Il dirige en réalité le groupe des collaborateurs personnels du premier ministre et de ses conseillers. Plus particulièrement, il coordonne les demandes adressées au premier ministre << de manière à réduire au minimum les demandes que doit traiter le premier ministre et à produire les meilleurs résultats possibles (11) >>. Toutefois, comme M. Frost, M. Robarts aime recevoir des conseils de nombreuses sources. Comme le note l'un de ses biographes, << le réseau politique [de M. Robarts] dépassait les limites du Cabinet pour s'étendre à son cercle politique ainsi qu'au personnel de son bureau.

M. Frost avait peu de conseillers et beaucoup de connaissances, tandis que M. Robarts, lui, a plutôt tendance à s'entourer d'un plus grand nombre de conseillers sur lesquels il exerce un contrôle beaucoup moins serré que son prédécesseur (12). >> Par conséquent, le nombre d'employés à temps plein du Cabinet du Premier ministre demeure sensiblement le même, et le budget comporte des augmentations ne dépassant que légèrement le taux d'inflation. La création du poste de chef de Cabinet provoque certaines tensions, puisque M. Reynolds devient la principale personne-ressource en ce qui concerne les dossiers politiques. Il acquiert ainsi une grande influence auprès du premier ministre, malgré le fait qu'il relève techniquement de M. McIntyre. Au départ à la retraite de ce dernier en 1969, M. Robarts promeut M. Reynolds au poste de secrétaire du Cabinet et abolit le poste de chef de Cabinet, ce qui met fin à une période d'expérimentation où le Cabinet comprenait deux conseillers principaux. Keith Reynolds est qualifié << d'adjoint principal >> et ses fonctions le mènent vers le...

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