La Chambre d'assemble'e de Terre-Neuve-et-Labrador.

AuthorMarland, Alex

Le présent article a pour objet de décrire et d'analyser la Chambre d'assemblée de Terre-Neuve-et-Labrador. Il vise à sensibiliser davantage le public à ses fonctions procédurales et constitue la base d'une analyse comparative avec d'autres assemblées législatives. Il comprend un historique de l'assemblée, les caractéristiques sociodémographiques des députés, les ressources dont les députés et les caucus des partis disposent et les relations entre le gouvernement et l'opposition. L'analyse s'étend au rôle du président et des comités législatifs, à la procédure d'examen des projets de loi et à la difficulté d'organiser une opposition efficace en présence d'écrasantes majorités gouvernementales.

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On dit que la Chambre d'assemblée de Terre-Neuve-et-Labrador a probablement connu plus de crises constitutionnelles que toutes les autres assemblées législatives provinciales réunies (1). Comme beaucoup des routes de la province, le parcours de Terre-Neuve vers la démocratie a été cahoteux, sinueux et embrumé. La période politique de l'influence européenne a commencé lors de l'arrivée de pêcheurs vers la fin du XVe siècle. Jusqu'en 1610, la région est << une sorte de terre inoccupée sans foi ni loi ni gouvernement [...] sur laquelle régnaient plus ou moins >> des marchands et des pirates (2). La colonisation s'est faite entre le début du XVIIe siècle et le début du siècle suivant, période qui s'est caractérisée par des luttes pour le pouvoir entre les amiraux de la pêche et les colons. Cette période est suivie par celle des gouverneurs navals. En 1711, une assemblée de gouverneurs navals est convoquée et définit un code de lois. Les gouverneurs nommés par la Grande-Bretagne règnent sur les capitaines de navires, plus connus sous le nom d'amiraux de la pêche, qui dirigent les villages de pêcheurs.

L'agitation politique de certains résidents de St. John's tels que William Carson, au début du XIXe siècle, persuade le Parlement britannique d'accorder à Terre-Neuve une assemblée bicamérale en 1832. Les électeurs admissibles de sexe masculin sont dès lors en mesure d'élire 15 représentants à la chambre basse, la Chambre d'assemblée, en annonçant publiquement leur choix aux responsables des élections. La chambre haute, connue sous le nom de Conseil législatif, se compose du gouverneur et de sept membres nommés. Ces hommes non élus détiennent le contrôle politique et prennent les décisions relatives aux dépenses pour les 75 000 habitants de l'île, mais ils ont l'obligation de prendre en considération le point de vue des représentants élus. Les neuf districts électoraux se situent tous du côté est de l'île, le long des péninsules d'Avalon, de Bonavista et de Burin.

La formation de la Chambre d'assemblée pose une question intéressante : quand la démocratie est réalisée pour la première fois, oø les représentants élus peuvent-ils se réunir en l'absence d'un édifice législatif? La réponse à cette question et les nombreux déplacements subséquents de l'Assemblée symbolisent l'évolution de la politique terre-neuvienne.

Dès le départ, le gouvernement représentatif de Terre-Neuve est désordonné, son organisation étant plus ou moins laissée au hasard. La première session de l'assemblée se tient en 1833 dans une taverne-pension de St. John's (en face de l'actuel monument aux morts). Le Conseil nommé se réunit, bien entendu, au premier étage, tandis que les représentants élus siègent au rez-de-chaussée. Toutefois, la propriétaire de l'établissement, Mary Travers, ne reçoit pas le loyer mensuel convenu. Pour récupérer son dû, elle aurait, raconte-t-on, vendu aux enchères le fauteuil du président, un bureau et toute la panoplie du sergent d'armes, y compris la masse, l'épée, l'habit et le chapeau (3).

La deuxième session a lieu la même année à un autre endroit, l'ancien palais de justice de St. John's. Toutefois, non Seulement le bâtiment est trop petit, mais il faut retarder les délibérations parce que l'assemblée a besoin de documents qui se trouvent dans le bureau dont Mary Travers a pris possession. La tenancière de la taverne refuse de les restituer à moins de récupérer les cinq mois de loyer qui lui sont dus. Elle obtient finalement gain de cause, apparemment sans révéler que le bureau, papiers compris, a en fait été vendu. Beaucoup des documents sont en définitive restitués par l'acheteur, ce qui permet de poursuivre les réunions dans l'ancien palais de justice pendant qu'un édifice permanent est conçu et construit.

L'assemblée bicamérale dure une décennie. Au départ, la chambre basse est " un corps très respectueux ", mais le Conseil législatif et les représentants élus " ont immédiatement pris des positions contraires ", même au sujet de << détails insignifiants >>, les deux chambres se montrant intransigeantes (4). Cela occasionne des conflits de religion, de classe et de parti qui dégénèrent en émeutes au cours des élections et provoquent de nombreuses impasses législatives. Après tout, les districts électoraux ont été répartis en fonction de la religion des habitants (5). Fatiguée par toutes ces querelles, la Grande-Bretagne suspend la constitution de Terre-Neuve en 1842 et réunit les représentants nommés et élus au sein d'une assemblée monocamérale.

L'assemblée fusionnée commence à se réunir en 1843 avec la participation des 10 membres nommés du Conseil législatif et des 15 représentants élus, le Conseil conservant son pouvoir exécutif. Cette formule se révèle beaucoup plus productive, mais les habitants de Terre-Neuve restent très désireux d'avoir un gouvernement responsable. En 1846, ils font parvenir à la Grande-Bretagne une pétition faisant état de leurs voeux. La même année, le vieux palais de justice est détruit par un des incendies qui ont dévasté St. John's, ce qui oblige l'assemblée à se réunir dans un orphelinat pendant deux ans ... jusqu'à ce que les propriétaires expulsent les législateurs pour que les locaux soient de nouveau utilisés comme salles de classe.

L'expérience monocamérale ne dure qu'une demi-décennie. En 1848, la Grande-Bretagne rétablit l'assemblée bicamérale, tout en rejetant les demandes de gouvernement responsable, parce qu'elle estime que la colonie n'est pas encore prête. Pendant les deux années suivantes, l'assemblée se réunit dans un bâtiment appartenant à l'un de ses membres. Finalement, en 1850, elle peut siéger dans le nouvel édifice Colonial, construit sur Military Road à St. John's. Près d'un siècle plus tard, il faut débarrasser les fresques du plafond de la fumée de tabac qui les imprègne lors d'un effort de restauration. La structure néo-classique est alors désignée comme << l'édifice public le plus important de Terre-Neuve (6) >>, en raison de son architecture et, surtout, de son histoire politique.

Gouvernement responsable

Le gouvernement responsable fait son apparition dans la colonie de Terre-Neuve en 1855. Cela signifie que l'exécutif politique doit rendre compte de ses activités à l'assemblée. Les administrateurs du gouvernement (<< le Cabinet >>) seront désormais essentiellement des députés élus, y compris le premier premier ministre (Philip Francis Little), le secrétaire de la colonie, un receveur général et un arpenteur général. Ces hommes sont, en principe, placés sous les ordres d'un gouverneur nommé, leurs activités étant soumises à la surveillance des 12 membres nommés du Conseil législatif. La Grande-Bretagne garde le contrôle des affaires internationales. Trente députés représentent 15 circonscriptions, surtout côtières, qui s'étendent maintenant jusqu'au sud-ouest de l'île, dont la population atteint près de 124 000 habitants.

Malgré l'avènement du gouvernement responsable, les luttes politiques et religieuses persistent, tant au sein de l'assemblée bicamérale que dans le public. Les factions s'affrontent au cours des élections et, en 1861, des soldats tirent à St. John's sur des émeutiers qui ont assiégé l'édifice Colonial, tuant trois d'entre eux. Malgré tout, les habitants se rallient autour de l'identité terre-neuvienne qui se développe petit à petit et se hérissent à l'idée d'une union officielle des colonies de l'Amérique du Nord britannique. Deux délégués terre-neuviens participent en 1864 à la conférence de Québec sur la confédération, mais les conditions de l'union suscitent des inquiétudes. En 1869, deux ans après que l'Ontario, le Québec, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick s'unissent sous la bannière du Dominion du Canada, des candidats favorables à la confédération sont défaits à plate couture au cours d'élections générales tenues à Terre-Neuve, confirmant officiellement le rejet, par le public, de l'union avec le Canada.

Les relations entre Terre-Neuve, le Canada et la Grande-Bretagne donnent inévitablement lieu à des frustrations politiques, surtout lorsque la colonie se montre désireuse de signer un accord commercial avec les États-Unis. Une fois de plus, des tensions internes se manifestent. En 1886, une foule de travailleurs cherchant à se faire embaucher par le chemin de fer envahit la chambre de l'édifice Colonial. En 1874, les institutions financières terre, neuviennes s'effondrent et sont remplacées par des banques canadiennes, mais il y a encore de l'opposition à l'union avec le Canada. Terre-Neuve avance d'un autre pas pour se sortir de son statut colonial en devenant un dominion britannique semi autonome en 1907. Lorsque le Statut de Westminster entre en vigueur en 1931, le Dominion de Terre-Neuve, comme le Dominion du Canada, se voit offrir la possibilité de se soustraire légalement aux lois britanniques s'il le souhaite. Toutefois, l'assemblée, contrairement à celle du Canada, n'adopte pas le Statut et semble donc se contenter de rester soumise au Parlement britannique. À ce moment, les hommes politiques de Terre-Neuve ont suffisamment de difficultés à affronter la dette écrasante d'après-guerre, surtout en présence des signes avant-coureurs de la Grande Crise. Les Terre-Neuviens ont alors besoin de leadership...

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