Les contributions politiques et l'égalité démocratique au Canada.

AuthorCarmichael, Brianna

L'essence même de la démocratie réside dans l'égalité (1). L'équité en politique fait indéniablement partie des aspirations des Canadiens. Depuis l'élection fédérale de 2011, ces deux principes ont été mis à l'avant-plan, lorsque différents problèmes relevés dans le déroulement des élections ont fait la manchette et alerté les Canadiens inquiets de la qualité de la démocratie dans notre pays. Curieusement, tout au long de cette période, une mesure importante est presque passée inaperçue, à savoir l'élimination graduelle des subventions proportionnelles au nombre de votes versées chaque année aux partis politiques (2).

Ces subventions ont vu le jour en 2004 dans la foulée d'un vaste train de réformes réglementaires touchant le financement des partis, qui visaient entre autres à interdire les contributions des entreprises et des syndicats et à imposer un plafond à l'égard des contributions politiques des particuliers. Au départ, les subventions annuelles étaient censées compenser le manque à gagner découlant des nouvelles limites imposées à l'égard des contributions. Toutefois, plusieurs y ont vu aussi une façon de rendre le régime de financement des partis plus égalitaire, étant donné que chaque électeur allait exercer un certain contrôle sur la répartition des fonds publics entre les différents partis.

En 2015, ces subventions seront abolies et la principale source de financement des partis politiques proviendra des contributions versées par les Canadiens à titre personnel (actuellement assujetties à un plafond de 1 200 $ par année (3)). Les partis continueront à bénéficier d'un financement public considérable : non seulement existe-til des crédits d'impôt généreux à l'égard des contributions, mais une part importante de leurs dépenses électorales leur est aussi remboursée. À compter de 2015, par contre, plutôt que d'être en partie tributaire des préférences exprimées par l'ensemble des électeurs, le financement public dépendra entièrement de l'appui individuel des donateurs.

Si ces changements ont suscité peu de discussions, c'est peut-être simplement que la plupart des intervenants croient au bien-fondé du système de financement par contributions envisagé. Plutôt que de recevoir automatiquement de l'argent du Trésor public, comme cela se fait avec le système de subventions proportionnelles au nombre de votes, les partis devront mobiliser leurs partisans pour aller chercher les fonds dont ils ont besoin. Le système semble aussi assez égalitaire, puisque les partis doivent accumuler plusieurs petites contributions pour réussir à amasser un montant appréciable plutôt que de dépendre d'une poignée de grosses contributions.

La présomption d'égalité mérite toutefois d'être examinée de plus près. Même si le plafond de 1 200 $ peut sembler relativement modeste, il représente une somme d'argent importante pour bien des Canadiens prêts à soutenir financièrement un parti politique. Il est raisonnable de supposer que des contributions de cette ampleur sont hors de portée de bon nombre de donateurs potentiels issus de groupes à faible revenu. Par ailleurs, les grosses contributions peuvent avoir un impact bien plus important que les petites contributions : recevoir 1 000 $ d'une seule personne revient au même que de recevoir 50 $ de 20 personnes différentes. Dès lors, il y a lieu de se demander si le système ne crée pas des inégalités importantes en influençant de façon générale la répartition des contributions d'un niveau de revenu à l'autre. La présente étude vise à déterminer si ces préoccupations au sujet de possibles inégalités, en particulier les inégalités de revenu, sont justifiées.

Contributions aux partis politiques canadiens : ce que nous savons

L'état de la recherche sur le financement politique au Canada est assez limité. Malgré les changements importants apportés à la réglementation au cours des 15 dernières années, notamment l'interdiction visant les contributions par des entreprises et des syndicats, l'imposition de plafonds à l'égard des contributions de particuliers, de même que la mise en place (et maintenant l'abolition) des subventions proportionnelles au nombre de votes, il n'y a guère eu d'études sur la répartition des contributions politiques.

L'étude récente la plus pertinente, menée par les politologues Harold J. Jansen, Melanee Thomas et Lisa Young, s'intitule >. Jansen et ses collègues constatent effectivement que les personnes à revenu élevé sont plus susceptibles de contribuer aux partis politiques, mais il ne s'agit pas là d'un facteur dominant de leur analyse. L'âge est une variable démographique plus déterminante--les Canadiens âgés sont considérablement plus susceptibles de contribuer aux partis--tandis que d'autres facteurs comme l'adhésion à un parti politique et l'intérêt politique sont ceux qui ont le plus d'effet sur les contributions politiques. La principale limite de l'étude tient au fait qu'elle repose sur un questionnaire qui demande uniquement aux répondants d'indiquer s'ils ont ou non contribué à un parti politique. L'enquête effectuée ne comporte pas de question au sujet du montant des contributions versées et, par conséquent, cette dimension importante ne peut être prise en considération dans l'analyse.

Selon une étude réalisée aux Ãtats-Unis qui prend en considération le montant des contributions politiques, le revenu jouerait un rôle plus significatif. Dans leur ouvrage publié en 1995 et intitulé Voice and Equality : Civic Voluntarism in American Politics, Sidney Verba, Kay Lehman Schlozman et Henry Brady s'intéressent à différentes formes de participation politique aux Ãtats-Unis et mettent particulièrement l'accent sur la façon dont la tangibilité des ressources influence les taux...

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