Conventions constitutionnelles et manuels du Cabinet.

AuthorHarland, Fraser

Le bon fonctionnement de la démocratie parlementaire canadienne repose sur l'acceptation de nos conventions constitutionnelles. Or, les désaccords politiques entre les acteurs politiques durant la crise parlementaire de 2008 et la campagne électorale fédérale de 2011 font douter sérieusenlent de pareille acceptation. Dans le présent article, l'auteur pose la question: comment pouvons-nous clarifier nos conventions constitutionnelles pour prévenir de nouvelles crises à cet égard? Tant la Nouvelle-Zélande que le Royaume-Uni ont publié des manuels du Cabinet afin de codifier leurs conventions constitutionnelles dans un seul document. À partir de ces exemples, l'auteur préconise l'adoption d'un manuel du Cabinet canadien à titre de mesure de prévention des crises constitutionnelles et d'important outil d'information pour la classe politique, les fonctionnaires et le public.

Pour que la démocratie parlementaire canadienne fonctionne conectement, il importe que les principaux acteurs politiques s'entendent sur les fondements de la Constitution. Toutefois, compte tenu de la prédominance récente de gouvernements minoritaires, celte entente a été remise en question. Durant la crise parlementaire de décembre 2008 et la campagne électorale fédérale de 2011, le Parti conservateur du Canada, dirigé par le premier ministre Stephen Harper, semble avoir défendu, sur d'importantes conventions constitutionnelles, des points de vue qui étaient très différents de ceux des dirigeants de l'opposition et des experts constitutionnels. Cette absence de consensus en a amené plusieurs à craindre l'avènement, dans un proche avenir, d'une situation oø l'absence d'entente sur les conventions régissant les pouvoirs de réserve du gouverneur général provoquerait une grave crise constitutionnelle au Canada.

Mais, avant de parler de l'absence de consensus au Canada sur les conventions constitutionnelles et de la question de savoir s'il convient de les codifier, on doit d'abord définir ce que sont ces conventions et expliquer comment elles s'inscrivent dans notre cadre constitutionnel. Si les conventions constitutionnelles sont difficiles à comprendre et à interpréter, c'est parce qu'elles :

... servent de guides, mais n'indiquent pas de manière absolue une voie à suiwe de façon particulière. Elles n'ont pas non plus force exécutoire, comme les lois. Flexibles, elles sont constamment modifiées à mesure qu'évoluent les circonstances (1). La Constitution canadienne n'est pas énoncée dans un seul document, mais elle se compose d'un grand nombre de textes et d'une foule de principes et de règles non écrits qui les soustendent. Ces règles non écrites sont appelées conventions constitutionnelles, qu'Andrew Heard définit comme étant >

Par exemple, les conventions établissent l'existence et la fonction de premier ministre et du Cabinet, empêchent le gouverneur général d'embaucher et de congédier à son gré les membres du Conseil privé, obligent le gouvernement à démissionner ou à convoquer des élections s'il est battu sur une motion de censure claire et empêchent le gouvernement fédéral de rejeter des lois provinciales. En ce sens, >.

Une importante différence entre les conventions et les éléments écrits de la Constitution, c'est que l'application des conventions ne peut pas être imposée par les tribunaux. La peine infligée pour non-respect d'une convention est, par conséquent, strictement politique, le pouvoir d'exécution étant conféré à d'autres institutions gouvernementales, comme le gouverneur général, les chambres du Parlement ou, en dernier ressort, l'électorat. Cependant, soulignons que, si les tribunaux ne peuvent pas les faire appliquer, les conventions restent vitales pour les questions de constitutionnalité. Dans son arrêt historique de 1981, Renvoi relatif au rapatriement de la Constitution canadienne, la Cour suprême du Canada a statué succinctement et de manière non équivoque que >. De l'avis de la Cour, une loi qui viole une convention peut être correctement déclarée inconstitutionnelle, même si elle n'a aucune conséquence juridique directe.

La vaste majorité des conventions constitutionnelles au Canada font aujourd'hui toujours largement consensus. En toute logique, >. Toutefois, comme les conventions ne sont pas des règles écrites regroupées dans un seul document, il peut y avoir des mésententes sur ce qu'un acteur politique peut faire dans des circonstances particulières. Cette absence de consensus peut mener à des crises parlementaires réelles ou potentielles. C'est précisément ce qui s'est produit en 2008 et ce que nombre de gens craignaient qu'il n'arrive après la campagne électorale de 2011, lorsque le premier ministre Harper a dit clairement qu'il ne souscrivait pas à certaines conventions concernant la formation du gouvernement.

Dans les deux cas, il a remis en question la légitimité, pour le gouverneur général, d'appeler un groupe de partis de l'opposition à former le gouvernement, sans qu'il y ait eu d'abord d'autres élections. La plupart des experts ont fait valoir que pareille façon de procéder serait conforme aux conventions concernant la confiance et le gouvernement responsable et, donc, parfaitement légitime.

Les conventions en cause

Au Canada, la démocratie parlementaire est fondée sur la règle unique de la responsabilité ministérielle. > En vertu de ce principe, le Cabinet peut prendre des décisions au nom de la Couronne. Autrement dit, même s'ils sont investis de vastes pouvoirs par la loi, la Couronne et le gouverneur général ne peuvent les exercer que sur l'avis des ministres qui jouissent de la confiance de la Chambre des communes. Les dirigeants politiques adhèrent à ce principe depuis la fondation du Canada (6).

Néanmoins, il existe des exceptions majeures à cette convention, le gouverneur général disposant toujours d'un pouvoir de réserve ou du pouvoir découlant de la prérogative royale en vertu desquels il peut agir à son gré et même rejeter une demande du premier ministre. Un important exemple de l'exercice de ces pouvoirs nous est donné par le caractère constitutionnel généralement reconnu du refus du gouverneur général d'accéder à la demande de la tenue de nouvelles élections si un gouvernement perd la confiance de la Chambre dans les premiers mois d'une nouvelle législature, particulièrement si un gouvernement de rechange peut fonctionner. L'ex-gouverneure générale Adrienne Clarkson a même écrit dans ses mémoires qu'elle aurait rejeté une demande de dissolution pendant au moins six mois après les élections de 2004.

La chronologie de ce que l'on a appelé > de décembre 2008 est déjà bien connue et n'a pas à être répétée en détail dans le présent document (7). Essentiellement, après avoir constitué un gouvernement minoritaire renforcé à l'issue des élections fédérales de 2008, le premier ministre Stephen Harper a tendu la main à ses opposants dans un discours du Trône t'aisant appel à leur coopération. Un mois plus tard, toutefois, les conservateurs ont présenté une mise à jour financière qui n'off'rait aucune mesure de stimulation économique, tout en proposant de supprimer les subventions publiques aux partis politiques --une mesure qui aurait porté gravement préjudice aux partis de l'opposition. Peu de temps après, les trois partis de l'opposition ont signé un accord officiel précisant qu'une coalition libérale-néo-démocrate pourrait, avec l'appui du Bloc, former un nouveau gouvernement. Stephen Harper a ensuite demandé la prorogation du Parlement à la gouverneure générale Michaëlle Jean, qui a accédé à sa demande. Entre-temps, Michael lgnatieffest devenu chef du Parti libéral et a appuyé le budget conservateur lorsque le Parlement a repris ses travaux en janvier 2009, assurant la survie du gouvernement Harper.

Un sérieux désaccord s'est fait jour, le premier ministre y allant d'une charge mordante contre la possibilité de la formation d'un gouvernement de coalition. Peu de temps après la conclusion de l'accord de coalition, M. Harper a déclaré : > M. Harper a affiné son attaque moins d'une semaine plus tard, lorsqu'il a pris la parole devant ses partisans à une activité du Parti conservateur organisée pour la fête de Noël : > M. Harper semble dire que la Chambre des communes peut faire tomber le gouvernement, mais qu'elle ne peut le remplacer par un gouvernement issu de ses propres rangs sans la tenue de nouvelles élections.

Quelques jours plus tard, tin des principaux ministres de Harper, John Baird, a fait, durant une entrevue au réseau anglais de la SRC, une déclaration jetant un nouvel éclairage sur la façon dont les conservaleurs se sont écartés de la sagesse populaire au sujet du rôle du gouverneur général.

Ce que nous voulons faire, c'est essentiellement suspendre le jeu, et court-circuiter les députés et le gouverneur général et nous adresser directement à la population canadienne. Celle-ci parle haut et fort d'un bout à l'autre du pays comme je ne l'ai jamais entendue auparavant [...] Nous voulons court-circuiter les politiques et le gouverneur gèndral et nous adresser directement à la population canadienne. Nous...

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